Annonce
Annonce
- Environnement -

Pesticides : Québec ne fera rien

Pierre Lefrançois

L’année dernière à pareille date, André Lamontagne, ministre de l’Agriculture, venait de provoquer une crise en congédiant l’agronome lanceur d’alerte Louis Robert. On se souviendra que cet employé du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) avait dévoilé et dénoncé une ingérence inacceptable de l’industrie des pesticides dans le monde de la recherche scientifique financée par des fonds publics.*

Devant l’indignation généralisée des médias, du public et de la société civile, le gouvernement avait finalement dû réembaucher Louis Robert et commander une commission parlementaire sur l’usage des pesticides en agriculture, laquelle s’est tenue l’été dernier.** Lors des consultations tenues en septembre dans le cadre des travaux de cette commission, pas moins de 76 mémoires ont été déposés et plus de 700 recommandations ont été formulées. Par ailleurs, les parlementaires ont eu la possibilité de participer à une tournée sur des fermes québécoises ainsi qu’à une mission en France et en Belgique où ils ont rencontré près d’une centaine de personnes, dont des experts, des scientifiques, des chercheurs, des ministres et les députés de six parlements.

Le rapport de cette commission parlementaire devait être livré à l’Assemble nationale avant l’ajournement des travaux en décembre, mais on l’attend toujours au moment d’écrire ces lignes. Le président de la commission et député de la CAQ, Mathieu Lemay, a récemment indiqué que ce rapport ne contiendrait pas de recommandations. Nous avons tenté de le joindre pour avoir des explications à ce sujet mais, pour l’heure, il n’a pas répondu à nos appels. Un de ses attachés de presse a toutefois expliqué que monsieur Lemay comptait produire un rapport sous peu.

De son côté, Marie Montpetit, vice-présidente de la commission et députée libérale, nous a fait savoir qu’elle trouvait « inacceptable qu’un rapport dilué sans aucune recommandation ferme soit déposé après tout le travail qui a été mené ». Elle dit s’interroger sur le « sérieux que la CAQ accorde à cet enjeu qui a des conséquences sur la santé des agriculteurs et des consommateurs. Est-ce que cette commission parlementaire a été une mise en scène et une opération de relations publiques pour sauver le ministre de l’Agriculture ? »

Des risques bien réels

Les consultations publiques de l’automne dernier ont mis en lumière le fait que si les recherches produites avec l’argent de l’industrie des pesticides abondent, celles sur les risques associés à ces produits manquent cruellement. « Vous seriez étonnés de voir à quel point il y a peu d’études qui sont faites sur les risques à l’exposition aux pesticides », a souligné la chercheuse Maryse Bouchard en s’adressant aux membres de la commission parlementaire afin de présenter les résultats d’une étude qu’elle a menée avec deux de ses collègues. Les données recueillies indiquent que certaines affections sont associées à l’exposition aux pesticides, comme la maladie de Parkinson, divers cancers et des troubles de la reproduction.

« Il est donc crucial, écrivent les chercheurs dans leur mémoire, qu’une évaluation robuste de la toxicité de ces produits et de l’exposition humaine soit faite afin de s’assurer que les risques à la santé de la population soient minimisés. Or, les processus d’évaluation et d’homologation actuels comportent des failles qui réduisent considérablement la capacité des scientifiques et des décideurs à prendre position de façon à protéger adéquatement la santé de la population. »

Dans un autre mémoire, Louise Hénault-Éthier, chef des projets scientifiques à la fondation David Suzuki mettait l’accent sur les effets méconnus des pesticides sur la santé humaine, notamment l’interaction entre plusieurs produits. « Au quotidien, la population ne sait même pas qu’elle est exposée aux pesticides dans différents endroits dans son propre milieu de vie. On sait qu’il y en a dans nos aliments, mais on ne sait pas à quelle concentration et on ne sait pas s’il y a un enjeu réel pour la santé. » Elle aussi souhaite qu’on effectue davantage de recherche indépendante afin que les citoyens et les gouvernements aient l’heure juste.

Réduire l’usage des pesticides

L’agronome Louis Robert s’est également adressé aux commissaires. En essence, il leur a expliqué que « c’est parce que l’État a été faible que l’industrie des pesticides a réussi à s’ingérer dans le travail des agronomes et dans la recherche en agriculture ».

Selon lui, il serait relativement simple, de « débarrasser le système » de cette ingérence et réduire ainsi l’utilisation des pesticides de 30 à 40 % en cinq ans. Pour y parvenir, il recommande aux élus que la vente de ces produits toxiques et les services-conseils fournis par les agronomes soient indépendants l’un de l’autre, tout comme il est interdit au médecin de vendre les médicaments qu’il prescrit. Il recommande également que le MAPAQ embauche, pour aider les agriculteurs, davantage d’agronomes indépendants des fabricants et distributeurs de pesticides.

De plus, selon lui, les vendeurs de pesticides comme la Coop fédérée ne devraient pas siéger au conseil d’administration d’organismes de recherche. « Il y a au moins deux membres de la Coop fédérée qui sont encore au conseil d’administration du CEROM, ce qui est une brèche, quant à moi, au principe d’indépendance », a-t-il précisé. Rappelons que cette entreprise est le fournisseur de pesticides le plus important au Québec et qu’elle est également l’un des bailleurs de fonds du CEROM, dont la majeure partie du budget provient toutefois de fonds publics, c’est-à-dire de nos poches.

Force est de constater que le ministre de l’Agriculture, qui est toujours en poste malgré ses bévues, n’a aucune intention d’intervenir pour initier un changement dont la nécessité a été clairement exposée en commission parlementaire par une nette majorité d’intervenants crédibles. Il faut croire qu’il a l’aval du premier ministre Legault à ce sujet. Si c’est bien le cas, cela est de nature à alimenter les doutes relativement au sérieux du gouvernement caquiste en matière d’environnement et de santé publique.

*    Ne tirez pas sur le messager !, Pierre Lefrançois, paru dans Le Saint-Armand, févr-mars 2019.

 Le loup serait-il encore dans la bergerie ? Pierre Lefrançois, paru dans Le Saint-Armand, avril-mai 2019.

** Pesticides : l’industrie aux commandes, Pierre Lefrançois, paru dans Le Saint-Armand, octobre-novembre 2019.

 

 

  • Autre

Laisser un commentaire

Nous n’acceptons pas les commentaires anonymes et vous devez fournir une adresse de courriel valide pour publier un commentaire. Afin d’assumer notre responsabilité en tant qu’éditeurs, tous les commentaires sont modérés avant publication afin de nous assurer du respect de la nétiquette et ne pas laisser libre cours aux trolls. Cela pourrait donc prendre un certain temps avant que votre commentaire soit publié sur le site.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Avez-vous lu?
Consulter un autre numéro: