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L’embouchure de la rivière aux brochets

Charles Lussier

Le dernier kilomètre de la rivière aux Brochets et son embouchure (Photo : Charles Lussier)

Notre région possède des lieux d’une grande beauté naturelle aux abords de la baie Missisquoi. Au printemps, rien de mieux que d’aller en canot ou en kayak dans les hautes eaux près des forêts inondées de l’embouchure de la rivière aux Brochets.

Il y a 12 500 ans, la fonte accélérée des glaciers créa le lac proglaciaire Vermont (400 m d’altitude) puis, 500 ans plus tard, la mer de Champlain est formée et couvre l’ensemble des basses terres du Saint-Laurent (altitude régionale de 140 m). Son retrait progressif dans la région de Bedford forme des estuaires qui sont à l’origine de la formation de la rivière aux Brochets. Il y a 8 000 ans, ce sont les derniers assèchements des terrasses basses. Les cuvettes et les dépressions se paludifient, s’eutrophisent et sont comblées par la décomposition des premières colonisations végétales. Les milieux humides et autres terrains organiques sont ainsi créés.

Le pourtour québécois de la baie Missisquoi est ceinturé de six principaux milieux humides, reliquats des derniers remaniements postglaciaires. Du sud-ouest au sud-est de la baie : la tourbière de Clarenceville, le marécage tourbeux du ruisseau East Swamp (baie Chapman), la tourbière de Venise-Ouest, le marécage tourbeux de Venise- Est (ruisseau Black), le marécage tourbeux de la rivière aux Brochets et le marais de l’étang Streit près de Philipsburg.

Le marécage tourbeux de la rivière aux Brochets est situé à l’embouchure de cette rivière qui le divise en deux parties quasi symétriques. Il a une altitude de 31 mètres au-dessus du niveau moyen de l’Atlantique. En période de crues, il reçoit et forme la zone de passage des lourdes charges chimiques et de matières en suspension des 667 km2 de son bassin versant des substrats schisteux plus en amont (Frelighsburg, Stanbridge East, Saint-Ignace-de-Stanbridge) et sableux, limoneux et argileux des bonnes plaques des milieux agraires. Sa voisine, la pointe Jamieson est bien dure par ses affleurements faits de shales ardoisiers (roches très plissées en feuillets). Les vents dominants de septembre/octobre soufflent du sud-ouest/nord-est venant de la direction de l’état de New York vers Granby et, sur le front de la grande baie, forment une barre sableuse issue du remaniement des sédiments du littoral peu profond (moins de 1 mètre). L’action des grandes vagues pousse jusque dans l’emprise riveraine de l’érablière argentée des minces dépôts sableux qui s’accumulent à chaque année et créent un cordon longeant les rivages où le scirpe américain et la spartine pectinée dominent.

Pour protéger ce site unique au Québec, de grandes épées grises sont couchées sur les plages de la grande baie et dirigées vers les États-Unis. Ce sont les chablis de grands érables argentés et des saules noirs arborescents qui sont tombés au combat contre les grands vents et l’action cumulée de l’érosion par le sapement des vagues.

Lorsqu’on pénètre et qu’on remonte la rivière aux Brochets en embarcation, on aperçoit ces deux milieux humides situés de chaque côté et qui abritent des communautés végétales et animales parfois uniques, dont une florule singulière, voire unique, et une faune très diversifiée, notamment en ce qui a trait aux poissons. Les groupements forestiers occupent de minces zones tourbeuses où les matières organiques ont moins de 2,1 mètres d’épaisseur. Outre les érablières argentées des pourtours, les érablières rouges (plaine) et les chênaies rouges sont accompagnées des frênes de Pennsylvanie et des frênes noirs, des tilleuls d’Amérique et du caryer ovale, un arbre à noix relativement rare au Québec. Des chênes bicolores et des chênes blancs, qui pourraient être classés parmi les espèces menacées du Québec, sont présents sur certains rivages et terrasses plus sèches des environs.

Les grands milieux ouverts, navigables au printemps en périodes de crues, offrent à l’étiage (période sèche), une flore subaquatique riche dominée par les émergentes tels le typha (quenouille) et le rubanier à gros fruits, de même que la sagittaire à larges feuilles. Certaines zones, maintenant protégées par le gouvernement du Québec et l’organisme Conservation de la Nature, offrent un habitat à plusieurs espèces de plantes rares, dont certaines ont déjà disparu, par exemple la lipocarphe à petites fleurs, une herbacée vivant sur les plages sableuses.

La faune associée à ce triangle horticole bien mouillé au printemps est spectaculaire. Les jeunes balbuzards fluviatiles du crique noir, large de plus de 500 mètres (en été, 3 à6m), quittent le nid vers le mois de mai/juin. Le petit blongios (Ixobrychus exilis), une espèce de petit héron ou de butor rare et typique du sud du Québec (vallée des Outaouais), y trouve ici un refuge. La liste des beautés de cet Éden est longue, très longue. Pour les poissons, le couloir lac Champlain, baie Missisquoi, rivière aux Brochets jusqu’au ruisseau Morpions (Sainte-Sabine) était le corridor, voire l’autoroute de fraye du doré jaune dans les belles années de la baie et de son grand tributaire.

De 1942 jusqu’à environ 1964, trois sites de pêche commerciale furent exploités avec grand succès pour le doré jaune et le grand corégone à près de 200 mètres dans la grande baie, au sud de l’embouchure de la rivière aux Brochets. Ces emplacements de captures étaient de véritables barrages écrans d’interception lors de la remontée naturelle des poissons. À titre d’exemple, en 1953, le Département de la Chasse et de la Pêche du Québec inventorie 133 000 livres de dorés capturés à la baie et qui ont rapporté 26 000 $ aux 16 pêcheurs impliqués.

Aujourd’hui, ces pêches massives laissent moins de poissons pour les pêcheurs qui continuent cette tradition missisquoienne. La pêche aux poissons appâts y est encore active et semble assez dynamique. Déjà en 1830 une route existait le long de la grande baie, soit de Philipsburg à Venise (Venice), qui passait par la Mandiga tavern (aujourd’hui Saint-Sébastien), puis Henry’s Ville. C’était la Great Montreal road (Joseph Bouchette, géographe 1831). Dans quelques années, le pont de l’autoroute 35 passera sur la rivière aux Brochets près de l’extrémité sud du chemin Molleur.

C’est une invitation à faire du canot ou du kayak, sinon de la chaloupe dans un des plus beaux plans d’eau du Québec. Bonnes découvertes aquatiques de printemps en Missisquoi !

SOURCE :

Gratton, L., 1995. Caractérisation écologique des sites voués à la conservation.  Terres noires de la région du lac Champlain.  Gouvernement du Québec, ministère de l’Environnement et de la Faune, Direction de la conservation et du patrimoine écologique et Conservation Baie Missisquoi, 106 p.

Lussier, C. 2004.  Profils historiques du bassin versant de la baie Missisquoi. Corporation Bassin Versant Baie Missisquoi.  Portrait du bassin versant de la baie Missisquoi, 100 p.

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