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Saint-Armand, c’est aussi ça la vie !

François Renaud

Ça y est, ça achève ! Pour la première fois depuis une éternité, je peux enfin rouler la fenêtre grande ouverte sur le chemin de la Grande Ligne : direction Saint-Armand. Après trois semaines d’exil urbain involontaire, il était temps ! Pour fêter ça, je mets Vivaldi dans le lecteur CD et, à partir de Notre-Dame-de-Stanbridge, je lève le pied.

Arrivé sur le rang Saint-Henri, les trompettes attaquent nerveusement La primavera et je croise mon premier tracteur de l’année, en me faisant la réflexion que, jamais, avant de fréquenter Saint-Armand, je n’avais été aussi sensible aux signes annonciateurs du printemps. Comme si la vie était moins vigoureuse à la ville.

Arrivé downtown, je note que, pour marquer l’arrivée du beau temps, Nancy a accroché des grappes de ballons colorés aux poteaux de sa terrasse, et que son voisin d’en face a sorti sa moto. Au Magasin général, le père Benoît présente les symptômes volubiles de la fièvre printanière : durant quinze minutes, il me trace un parallèle convaincant entre les révélations de la commission Gomery et les tactiques électorales des partisans d’Adélard Godbout. Un petit gars du coin, l’Adélard, qui vivait juste à côté, en banlieue de Saint-Armand, quoi ! Chapeaux feutre, costumes trois pièces, chaînes de montre barrant leurs abdomens, les organisateurs libéraux fédéraux de la fin des années 30 circulaient, l’air prospère, à bord de grosses voitures, s’arrêtant de ferme en ferme pour offrir une petite shot de gin et un billet de 2 $ en échange de la promesse d’un vote pour leur poulain provincial. « Un deux piastres dans l’temps, c’était presque quinze jours de salaire. Moi, j’avais quinze ans quand j’ai vu mon premier cinq piastres ! » Au fond, plus ça change, plus c’est pareil. La vie se contente de tourner en rond, en roulant dans les ornières laissées par les morts.

En roulant vers la maison, même si les cahots du chemin Chevalier me donnent l’impression d’être un madelinot parti en excursion de pêche par gros temps, ma vision idyllique du printemps tient bon. En bordure de la route, les gros érables de monsieur Dalpé portent leurs colliers annuels de chaudières et, à l’horizon, seule la pointe de Jay Peak est encore enneigée. En moins de dix kilomètres, je viens de traverser une bonne demi-douzaine des plus beaux tableaux de Lemieux.

Encore émerveillé par la beauté du spectacle, je prends le dernier virage et j’aperçois, en bordure du chemin, un chevreuil recroquevillé dans le fossé.  Sur ces entrefaites, la radio prend le relais du lecteur CD et une voix radio-canadienne fait le bilan de l’actualité : le Pape, Terri Schiavo, le prince Rainier, Gérard Filion… À l’autre station, c’est pas mieux : Brel nous informe que c’est pas drôle de mourir au printemps, tu sais. Qu’est-ce qui leur prend tout à coup ? Fuck la radio !

En sortant de l’auto, mon pied s’enfonce dans la boue jusqu’à la cheville. Pas grave. Rien ne me fera perdre ma bonne humeur. Dans notre grand saule, les oiseaux piaillent à tue-tête ; devant les fenêtres, les mésanges se chamaillent autour des mangeoires vides ; et, dans le buisson de chèvrefeuille, j’entrevois la silhouette rosée et furtive d’un cardinal. Le printemps dans toute sa splendeur ! Vive la vie !

Dans la maison, les mouches et les coccinelles sont définitivement sorties de leur hibernation, mais c’est ça aussi, la vie. Du moins, c’est ce que je suis en train de me dire quand le téléphone sonne et que l’infirmière du CHSLD m’annonce que le pouls de ma mère est subitement passé de 55 à 28 au cours de la nuit. Ses chances de profiter d’un 92e printemps sont minces. Dire que dans trois jours c’est la fête de la Résurrection. Prostré sur ma chaise, je mets un bon moment avant de remarquer les serpentins encore accrochés au plafond : trois semaines plus tôt, on a fêté le trente-troisième anniversaire de notre fille cadette et, demain, c’est celui de son fils. Quatre ans, notre petit bonhomme ! À Saint-Armand, le printemps est une école de vie.

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