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- Édito -

Du gaz sous nos pieds ?

Le gaz de schiste représente-t-il une opportunité ou une menace pour notre région ?
Pierre Lefrançois

Poussés par une demande toujours croissante de sources d’énergie, nous en sommes actuellement à envisager sérieusement l’exploitation des réserves souterraines de gaz naturel là où, jusqu’à présent, cela semblait impensable. La prospection a débuté. À nos portes, notamment dans la vallée du Richelieu. Qu’en est-il exactement ?

Le gaz de schiste est un gaz naturel emprisonné dans du schiste, une roche sédimentaire déposée à l’origine sous forme d’argile et de limon, comme c’est le cas des terrains ayant autrefois constitué le fond la mer Champlain qui, en se retirant il y a très longtemps, nous a laissé le lac du même nom. Le schiste est donc abondant dans notre région. Mais le gaz qui s’y trouve est si solidement emprisonné qu’il est difficile à extraire. Les schistes constituent donc une source « non classique » de gaz naturel. Les réservoirs naturels classiques sont plutôt en grès, matériau dont il est plus facile et moins coûteux d’extraire le gaz naturel.

Cependant, les réservoirs c l a s s i q u e s commencent à manquer et les besoins en énergie continuent d’augmenter. Afin de contourner ce problème, l’industrie pétrolière et gazière se tourne vers des combustibles fossiles dont la production était auparavant jugée trop coûteuse et difficile. On estime que le potentiel de gaz de schiste au Canada s’élèverait à 1 000 billions (1 000 fois 1 000 milliards) de pieds cubes. Une source de profits juteux qui en font saliver plusieurs.

Émergente au Québec, l’industrie gazière envisage de réaliser près d’un millier de forages de puits de gaz de schiste, dont un nombre important dans les vallées du Saint-Laurent et du Richelieu. Les droits d’exploitation de ces ressources en hydrocarbures du pays ont déjà été accordés à 27 compagnies, majoritairement étrangères, sous forme de permis, appelés communément « claims ». Depuis 2007, le gouvernement du Québec a émis de nombreux permis de prospection de ce gaz, lesquels couvrent la quasi-totalité des zones habitées de la vallée du Saint-Laurent. Notamment le long de la faille Logan, une formation géologique qui va de Philipsburg à l’Île d’Orléans. La compagnie qui possède la plupart des droits dans les territoires longeant la faille Logan, y compris à Saint-Armand, a pour nom MOLOPO, une firme australienne ayant une filiale albertaine et dont le financement provient principalement de l’Alberta, de l’Australie et des États-Unis.

Les activités de prospection ont déjà débuté, notamment à Farnham, à Saint-Barnabé-Sud et à Saint-Mathias-sur-Richelieu. On s’attend à ce que, suite à cette prospection, des demandes de permis d’exploitation permanente soient prochainement faites. Faut-il s’en réjouir ou s’en inquiéter ?

Un cadre réglementaire pratiquement inexistant

Sans avertissement, des prospecteurs se sont pointés un matin avec leurs camions pour effectuer un test de vibration près de la résidence de Lise Perrault à Saint-Mathias-sur-Richelieu, afin de déterminer si le sous-sol environnant contenait du gaz de schiste. Les murs de sa maison se sont mis à trembler, les fenêtres à vibrer.

« Ils ne nous ont avertis de rien. Si je n’étais pas sortie pour aller voir ce qui se passait, si je n’avais pas été chez moi, je ne l’aurais pas su, je n’aurais rien su ! », dit-elle. Yanik Mathieu, maire de la ville, avoue qu’il n’était même pas au courant que les travaux de prospection venaient de commencer dans sa municipalité. Il juge « préoccupant » que les prospecteurs ne soient nullement tenus d’informer la ville et ses résidents. De son côté, le porte-parole de Squatex, l’entreprise chargée de la prospection à Saint-Mathias, assure que tout se fait dans le respect des règles.

Les municipalités se sentent mises de côté

La Fédération québécoise des municipalités (FQM), dont la municipalité de Saint-Armand fait partie, exprime sa profonde inquiétude devant l’évolution du dossier de l’exploitation du gaz de schiste au Québec. Elle interpelle la ministre des Ressources naturelles et de la Faune, Mme Nathalie Normandeau, et lui demande de tenir rapidement une rencontre de la table de concertation sur le sujet et d’y associer le milieu municipal, comme elle s’est engagée à le faire lors de son passage à l’assemblée des MRC organisée par la FQM en mai dernier.

« Tous les signes indiquent que le gouvernement désire aller de l’avant avec cette nouvelle filière, mais lorsque nous nous rendons sur le terrain, nous constatons de réelles inquiétudes de la part des municipalités et des populations concernées », indique M. Bernard Généreux, président de la FQM. « Certains maires ont même eu la surprise d’apprendre que des compagnies minières étaient déjà installées chez eux depuis plusieurs semaines sans même en avoir été avertis ».

La FQM tient à préciser qu’elle ne s’oppose pas à l’exploitation du gaz de schiste. Bien au contraire, elle reconnaît le potentiel économique indéniable de ce nouveau type d’exploitation pour de nombreuses régions du Québec. Cependant, l’absence d’information claire et objective quant aux impacts environnementaux et à la sécurité publique soulève bien des questions auprès de ses membres, particulièrement en ce qui a trait à l’utilisation de l’eau et à la contamination des nappes phréatiques.

Quelles sont les règles du jeu ?

Au Québec, l’obtention d’un permis de prospection ou d’extraction du gaz de schiste n’est pas sujette au Règlement sur l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement. Les citoyens ou les groupes environnementaux ne peuvent donc exiger une audience du BAPE sur un tel projet. Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) ne dispose pas encore de directives pour encadrer l’octroi de certificats d’autorisation environnementale, d’autant plus que ceux-ci ne sont pas toujours nécessaires pour les puits d’exploration. Par ailleurs, la Loi sur les mines empêche les municipalités de s’opposer à des projets de prospection ou d’exploitation, ou de limiter de tels projets par des règlements de zonage.

En fait, l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste se sont développées très rapidement, sans que l’on dispose d’un contexte réglementaire qui soit adapté à cette nouvelle technique et sans étude d’impact sur l’environnement, l’économie et les populations.

L’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) s’inquiète de cette insuffisance du cadre réglementaire. Elle croit que la santé, la sécurité et la possibilité de vivre en toute quiétude doivent avoir priorité sur une production énergétique dont il n’est pas prouvé hors de tout doute qu’elle soit sécuritaire, ni qu’elle réponde à un besoin réel de la population du Québec. L’Association souhaite donc que le gouvernement du Québec décrète un moratoire sur l’émission des permis de prospection du gaz de schiste et n’émette aucune autorisation d’exploitation de ce gaz au Québec tant qu’une audience générique du BAPE n’aura pas été tenue, ceci dans le but d’identifier les impacts de cette activité et permettre aux commissaires recommander une réglementation adéquate pour encadrer une telle activité.

Le mandat de la commission du BAPE, qui vient de démarrer ses travaux, vise justement à préciser les règles du jeu. Mais il n’est pas question de remettre en cause la pertinence de procéder rapidement à la mise en exploitation des réserves québécoises de gaz de schiste. En octobre 2009, la ministre Nathalie Normandeau promettait aux représentants de l’Association pétrolière et gazière du Québec de « leur faciliter la vie ». En septembre 2010, elle déclarait : « Je ne perdrai pas mon temps avec les Greenpeace de ce monde ». On a décidé d’y aller et on y va.

Qu’avons-nous donc à y gagner ?

Les promoteurs du développement d’une industrie « québécoise » du gaz de schiste évoquent l’avenir et la sécurité énergétique du Québec. Selon la ministre Normandeau, le gouvernement du Québec pourrait toucher chaque année 230 millions de dollars en redevances et la création d’emplois payants pourrait se faire ici, plutôt qu’en Alberta ou aux États-Unis. On utiliserait, chez nous, du gaz naturel d’ici plutôt que d’acheter celui de l’Alberta. Et on pourrait même envisager d’en vendre aux autres provinces et aux États américains

À cela, les opposants répliquent en rappelant que le Québec est actuellement en surplus de production d’électricité… pour encore au moins 13 ans. Ce qui ne nous empêche pas de payer, chaque année depuis 2007, une somme de 150 à 200 millions de dollars aux propriétaires albertains de la centrale au gaz naturel de Bécancour afin qu’ils ne produisent pas l’électricité qu’Hydro-Québec s’était engagée à leur acheter. Parce que produire de l’électricité dans une centrale au gaz, ça produit davantage de gaz à effet de serre (GES) que dans une centrale hydraulique. Ce qui compromettrait le bilan énergétique québécois en matière de GES, lequel fait actuellement rougir d’envie les autres provinces et les Américains. Selon monsieur Denis L’Homme, ex-sous-ministre associé à l’Énergie au ministère des Ressources naturelles (aujourd’hui retraité), « si on avait une vision à long terme, on ne se précipiterait pas dans le dossier du gaz de schiste. On ne manquera pas de gaz naturel, même si on ne met pas le gaz de schiste à contribution aujourd’hui ».

De son côté, la ministre Normandeau explique : « Ce qu’on veut faire, comme société, c’est se donner 10 ans pour opérer une reconversion entre le pétrole et le gaz naturel. Dans notre portefeuille de consommation, on souhaite que le gaz naturel prenne davantage de place que le pétrole. Derrière la filière gazière, il y a l’enjeu de réduction des émissions de GES. On milite en faveur d’une économie moins dépendante des hydrocarbures polluants. On a l’opportunité de consommer notre gaz et de faire en sorte qu’on contribue à diminuer les émissions de GES ».

Une technologie déjà remise en question

Scott McKay, député péquiste de L’Assomption et porte-parole en matière de développement durable et d’environnement, s’interroge sur les conséquences environnementales liées à cette exploitation. « Ça prend d’énormes quantités d’eau mélangée à des produits chimiques et du sable pour faire jaillir le gaz, dit-il.

« Quels seront les impacts environnementaux de telles exploitations sur l’eau, l’air et la santé publique ? Le ministre Arcand doit donc absolument se mêler de ce dossier car il a la responsabilité d’assurer la protection de l’environnement au Québec. Les seules réponses que nous avons présentement sont celles des compagnies qui nous assurent qu’il n’y a pas de problème, c’est inquiétant ! ».

Il faut souligner que l’extraction du gaz de schiste suscite de nombreuses inquiétudes aux États-Unis et dans les autres parties du monde où elle est déjà entreprise.

D’abord, chaque exploitant doit posséder un grand nombre de puits. Aux États-Unis, en 2007, il existait déjà au total 449 000 puits, répartis dans 32 États. Ces opérations comportent des risques d’émissions fugitives de méthane et des fuites de sulfure d’hydrogène (H2S), un gaz explosif et toxique, potentiellement très dangereux pour la santé humaine et animale.

Par ailleurs, elles nécessitent de grandes quantités d’eau pour procéder à l’extraction du gaz, ce qui entraîne inévitablement une diminution de celle qui sera accessible à la population pour d’autres usages. Il faut également procéder à des injections de solvants chimiques dans le sol afin de fractionner le schiste et en extraire les bulles de gaz, ce qui implique des risques de contamination des sols et de la nappe phréatique. Il faut aussi prévoir de vastes bassins de récupération de l’eau contaminée, dont le mode de disposition demeure incertain.

Sans compter les dommages à la surface des sols et aux équipements routiers, en raison de la circulation continue de camions citernes, et les inconvénients causés par le bruit continu des équipements.

Dans plusieurs États américains, les autorités envisagent des moratoires sur l’extraction de gaz de schiste afin d’en examiner davantage les impacts et d’établir une réglementation appropriée. C’est la décision qu’a prise l’état de New York le 2 avril 2010. Le 18 mars dernier, l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA) s’est lancée dans une étude approfondie qui durera près de deux ans dans le but de répondre aux nombreuses préoccupations liées à de multiples « incidents ».

La suite des choses

Le rapport du BAPE sur les moyens à prendre pour encadrer les activités de l’industrie naissante du gaz de schiste au Québec est attendu en février prochain. Au printemps, le gouvernement québécois devrait déposer son projet de loi sur les hydrocarbures. Au cours des trois années qui suivront, vraisemblablement dès 2011 et jusqu’à la fin de 2013, il est à prévoir qu’une soixantaine de puits seront mis en exploitation.

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