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Portrait des gens … qui viennent ici

François Renaud

Nathalie, Michèle, Gilles, André, Daniel, Emmanuel (… et les autres, comme l’aurait probablement titré Claude Sautet).  (Photo François Renaud)

Juste à côté de l’église de Saint-Armand, tous les six sont assis sur le pourtour de l’abri qui protège la grosse cloche de bronze historique des dernières ardeurs du soleil. Tandis qu’une bouteille d’eau fraîche circule de main en main, ils se détendent les jambes, en discutant et en rigolant des commentaires de Gilles, qui semble, du moins en ce moment, jouer le rôle d’animateur du groupe.

Déjà accrochés à leurs voitures, leurs vélos ont le profil réservé des engins débusqués chez Canadian Tire ou chez Rona, voire dans une vente de garage. Pas de chandails fluo, de shorts en lycra super-moulant ou de chaussures “cyclo-pédiques” ; leur tenue vestimentaire témoigne discrètement de leur credo sportif : de simples cyclistes du dimanche. Des amateurs, au sens premier du terme : d’authentiques amoureux du vélo. Cette “bande des six” nous arrive de Saint-Bruno, où ils se sont inventé un club cycliste archi-privé : le C.K.P.B., le Club des Kilomètres de Pur Bonheur.

Une création toute théorique, axée, comme son nom l’indique, sur le simple plaisir de rouler entre amis, dans la campagne. Mais attention ! Avec ses couleurs modestes de cyclistes en civil, il est redoutable, le team CKPB : Gilles, le leader du groupe, roule dans la région depuis… 1960. Quelque chose comme 20 ans av. PF1. Au fil des ans, il a mis au point une recette toute personnelle qu’il partage maintenant avec sa bande : ils stationnent leurs bagnoles devant l’église de Saint-Armand et c’est à partir de là qu’ils rayonnent dans la région : Philipsburg, Mystic, Stanbridge East, Dunham, Frelighsburg ou encore le Vermont, en passant par le minuscule poste frontière de Morse’s Line. Pas tout ce circuit d’une claque, bien sûr. On est pas au royaume de l’exploit sportif, mais dans celui de la détente, de la curiosité et de la complicité amicale. Ce qui compte à leurs yeux, c’est de rouler pépère sur nos petites routes cabossées, pour découvrir et jouir ensemble du charme discret des villages, des perspectives ondoyantes du paysage ou des terrasses ombragées qui leur tendent les bras. Leur dernière découverte : Chez Brin de Folie Café, à deux pas du stationnement de l’église, où ils terminent invariablement leurs balades. Comme quoi les plus belles surprises sont souvent sous notre nez. Alors, si vous apercevez les membres du team CKPB attablés chez Nancie, adressez-leur un petit signe amical de la main, mais, de grâce, ne leur demandez pas de vous signer un autographe, ça pourrait les faire fuir. Ils appartiennent à une espèce que la célébrité risque d’intimider.

Denise et Louis  (Photo François Renaud)

Louis, je le connais depuis une demi-saison. Une demi-saison de Formule 1. Depuis le début de l’été, à chaque deux dimanches, nous nous retrouvons, à 08:00 h précises, attablés à L’Interlude, à Bedford, pour assister au départ du GP. Six courses, ça représente une douzaine d’heures à regarder tourner les bolides à l’écran. Comme Schum’ domine outrageusement la F 1, une large portion de cette demi-journée de cohabitation sportive a été détournée de ses fins et nous a permis de faire plus ample connaissance, Louis et moi. J’ai appris qu’il était ingénieur et que sa passion pour la voile l’avait amené à installer sa confortable roulotte au camping de Philipsburg. Vous me direz que je n’en ai pas appris beaucoup en douze heures, que dans le même laps de temps les policiers ou les inspecteur de Revenu Québec sont nettement plus efficaces. C’est probablement parce que je ne suis ni l’un ni l’autre, que Louis s’est arrêté chez moi l’autre dimanche. Avec Denise, son épouse. Et ils sont arrivés à vélo. Un seul vélo, pour deux. Pas comme dans certains films romantiques, avec la gonzesse assise en amazone sur la barre du bicycle, son ample jupe de cotonnade flottant au vent. Non. Un derrière l’autre, casqués de plastique et vêtus de tenues ajustées comme un gant chirurgical. Présenté comme ça, c’est intéressant l’anatomie, surtout celle de la femelle du cycliste. Toujours est-il que, en une petite heure, j’en ai appris davantage sur eux qu’au cours des six premières courses de F 1 de la saison. Si Louis est passionné de voile, (ça on le savait), Denise, elle, est passionnée tout court. Passionnée par les voyages, la nature, les fleurs et surtout par Louis, son ingénieur de mari.

Alors, tout naturellement, le vélo est devenu le symbole de leur vie conjugale : Denise et Louis roulent en tandem et, comme dans un concerto pour pignons à quatre pieds, c’est ensemble qu’ils poussent en cadence sur les pédales … depuis 28 ans. C’est en 1976, en Europe, qu’ils ont découvert ce formidable engin, si représentatif de l’harmonie de leur vie de couple. Depuis, ils ont sillonné les Pays-Bas, la France, de larges pans des U.S.A. et plusieurs régions du Québec. Depuis deux ou trois ans, ils se contentent de circuler autour de Saint-Armand, car ils sont encore émerveillés par l’architecture de certaines maisons anciennes, les transformations hebdomadaires du paysage et la variété des fleurs sauvages qu’on trouve au creux des fossés. Mais il n’y a pas que la poésie qui les intéresse, il y a la dimension sportive également. Un de leurs circuits favoris consiste à se rendre jusqu’à Frelighsburg, puis à revenir par le chemin Saint-Armand : dans la longue descente qui mène vers Pigeon Hill, Louis m’avoue qu’il est contraint de freiner un peu les ardeurs de Denise… question de ne pas dépasser les 120 km/h !

En voyant repartir mes deux tourtereaux, casqués et pédalant en parfaite synchronicité sur leur bizarre d’engin, je me suis mis à souhaiter qu’ils écrivent, eux aussi, un bouquin sur le cyclisme. Un bestseller à ranger entre les rayons du sport et celui de la psychologie : LE TANDEM, instrument de longévité conjugale.

1   À Saint-Armand, on compte les années à la manière du monde chrétien : avant et après les premières chroniques saint-armandoises de Pierre Foglia !

 

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