Qui ne se souvient de cette petite boîte verte et orange contenant deux têtes d’ail qui trônait, ou plutôt, traînait dans l’armoire à épices familiale ? Quand elles n’étaient pas pourries lors de l’achat, ce qui n’était pas rare, elles l’étaient très certainement lorsque la maîtresse de maison se décidait enfin à en ajouter une pointe dans sa sauce à spaghetti. Car le Québec d’alors, tout comme d’ailleurs le Canada anglais et les États-Unis, était d’un puritanisme gustatif extrême, pour ne pas dire extrémiste. C’est avec un certain mépris que l’on qualifiait de « mangeux d’ail » ceux qui avaient la mauvaise fortune d’apprécier le bulbe piquant.
À cette époque, tout l’ail vendu en Amérique venait pratiquement d’un seul endroit, soit des environs de Gilroy en Californie, municipalité qui, soit dit en passant, s’est décernée le titre de capitale mondiale de l’ail. Et tout cet ail n’appartenait qu’à une seule variété, la Gilroy, sélectionnée non pas pour ses qualités organoleptiques mais parce qu’elle répondait aux exigences de la monoculture et de l’industrie agroalimentaire. Le commun des mortels ne savait pas alors qu’il existait de nombreuses autres variétés, dont certaines jouissaient, et jouissent toujours d’une excellente réputation en Europe. On ne savait pas non plus que certaines variétés étaient bien adaptées aux climats nordiques et qu’il était par conséquent possible de les cultiver chez nous. C’est le cas de l’ail dit « à bâton » ou « à col dur », qui a probablement été sélectionné dans les pays d’Europe de l’Est et dont on possède de nombreux cultivars.
Depuis quelques années, c’est un ail à col tendre produit par les Chinois qui a envahi nos marchés, remplaçant le traditionnel Gilroy. Peu goûteux, il pourrit rapidement et est habituellement sur le point de germer au moment où on l’achète. On reste ici dans la même logique du produit pas cher mais qui ne vaut pas l’emballage dans lequel on le vend.
À côté de cela, commence à se développer un petit marché de gourmets-gourmands qui recherchent de l’ail de qualité et sont prêts à y mettre le prix. Et de jardiniers qui se transforment en collectionneurs de variétés rares, histoire de préserver un patrimoine qui risque autrement de disparaître à jamais. Les plus ardents parmi ceux-là sont certainement Michel Chevanelle et sa conjointe Françoise Cambron qui, bon an mal an, cultivent quelque 60 variétés sur leur terre à Ormstown, et qui ont créé, il y a quelques années, un musée voué à la préservation de ces variétés. On peut trouver leur ail à la boutique Alfafa, située sur le site du Marché Jean-Talon de Montréal.
Ted Maczka est un autre amateur et collectionneur inconditionnel d’ail du terroir. Personnage coloré et original s’il en est, il tient depuis plus de vingt ans la Fish Lake Garlic Man Experimental Farm. On peut se procurer chez lui divers cultivars. Pour commander le catalogue, faire parvenir 5 $ plus une enveloppe pré-adressée à R.R. 2, Demorestville, Ontario, K0K 1W0. Tél. : (613) 476-8030. Ted n’a pas de site sur la Toile mais est présenté sur le site Rural Routes du ministère du Tourisme de l’Ontario : http://www.ruralroutes.com/720. html
Enfin, les membres du Programme semencier du patrimoine offrent diverses variétés anciennes. Programme Semencier du Patrimoine Canada, Boîte postale 36, Station Q, Toronto, Ontario, M4T 2L7, Canada. Tél. : (905) 623-0353. www.semences.ca/fr.html. Le coût de l’adhésion est de 25$ par année.
Mode de culture
Sous nos climats, l’ail à bâton se sème entre le 15 septembre et le 15 octobre. On doit le protéger des rigueurs de l’hiver avec un épais paillis (paille, feuilles mortes, etc.) que l’on enlèvera en avril pour le remettre quand les plants auront émergé, histoire d’empêcher la croissance des mauvaises herbes. Planter un caïeu (« gousse ») aux 10 à 15 cm, dans une terre riche, meuble et bien drainée.
Ail et vampires
La légende de Dracula n’est pas totalement dénuée de fondement puisqu’il existe bel et bien une maladie rare, la porphyrie, qui rend ceux qui en sont affectés extrêmement sensibles à la lumière, au point qu’ils peuvent souffrir de graves lésions cutanées s’ils s’exposent au soleil. Tout comme le comte Dracula, ces personnes sont donc condamnées à vivre à l’abri du soleil. Or, il se trouve que les composés soufrés de l’ail ont pour effet d’exacerber la maladie, particularité qu’ont su exploiter avec brio les créateurs de la légende en la transformant en une crainte irrationnelle et irrépressible du petit bulbe par ailleurs inoffensif.
Vous gardez précieusement les semences d’une (ou de plusieurs) variété de légume qui se transmet dans votre famille de génération en génération ? Vous aimeriez la ou les faire connaître à vos concitoyens de St-Armand, voire leur en offrir ? Écrivez-nous au Journal, nous transmettrons l’information.
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