Il a été congédié de son poste d’agriculteur-conseil au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) pour avoir dénoncé publiquement la mainmise indue qu’exerce l’industrie des engrais et des pesticides sur la recherche en agriculture aussi bien que sur les grandes orientations des politiques agricoles québécoises. Le ministre et ses hauts fonctionnaires ont été blâmés pour ce congédiement injustifié et celui qu’on a désormais pris l’habitude d’appeler « l’agronome lanceur d’alerte » a pu reprendre son poste au MAPAQ.
Il n’a pas envie de se taire pour autant. Peut-être estime-t-il l’avoir fait trop souvent au cours de ses quelque trente années à l’emploi du ministère. Il vient donc de publier un livre dans lequel il explique sa démarche, les raisons qui l’ont poussé à poser les gestes qui l’ont mené à son congédiement et le contexte dans lequel cela s’est produit. Intitulé Pour l’amour de la terre, son essai est un constat tranquille de l’échec d’un modèle de gestion de l’agriculture qu’il a vu à l’œuvre de l’intérieur.
Il aurait certes pu en profiter pour régler des comptes personnels avec certains de ses supérieurs ou avec le ministre, mais il fait preuve d’une sage retenue à cet égard. Son objectif est clairement d’aider le public à comprendre les erreurs qui sont commises présentement en agriculture et d’indiquer la route à suivre pour se sortir des ornières actuelles.
Comment devient-on lanceur d’alerte ?
L’auteur raconte que, quand il va dans un champ, c’est généralement muni d’une bonne pelle ; il s’en servira pour creuser et relever des indices de l’histoire de cette terre afin d’en déduire l’état actuel du sol et prévoir ce qui arrivera inévitablement si on ne corrige pas les problèmes observés. Dans ce sens, on pourrait dire que c’est en quelque sorte un Sherlock Holmes agronome qui, en creusant les choses, en arrive parfois à déterrer un nœud de vipères dont on ne soupçonnait même pas l’existence.
C’est ce qui s’est produit en mars 2018, lorsqu’il a révélé à des journalistes de Radio-Canada et du Devoir le rôle joué par des lobbyistes pro-pesticides et des représentants directs de l’industrie siégeant au conseil d’administration du Centre de recherche sur les grains (CEROM), une institution essentiellement financée par les fonds publics. Las de voir ses supérieurs fermer les yeux et tout faire pour l’empêcher de parler, l’agronome venait de prendre la décision de lancer l’alerte en alimentant certains journalistes en information.
Dans ces articles, on citait par exemple, le cas de la chercheuse Geneviève Labrie qui avait conclu, en 2018, que les pesticides néonicotinoïdes — ceux-là même qu’on qualifie de « tueurs d’abeilles » — étaient la plupart du temps inutiles. Ses résultats n’ont finalement été publiés qu’en 2020, la direction du CEROM, son employeur, étant noyautée par des représentants de l’industrie des pesticides et de la Fédération des producteurs de grains, qui tenaient à protéger le marché hautement lucratif des semences enrobées de ces produits.
Estime-t-il avoir réussi à changer les choses ?
« On n’a pas encore appuyé sur les bons leviers pour faire changer les choses, la majorité des champs en grande culture de maïs et de soya sont à nouveau ensemencés avec des graines traitées aux néonicotinoïdes cette année » a-t-il souligné lors d’une entrevue qu’il donnait à un journaliste du Devoir au moment de publier son livre. C’est pourquoi il sent le besoin d’écrire et de parler : parce que, sur le terrain, les choses ne changent pas encore vraiment. Il suggère carrément qu’on mette l’Ordre des agronomes du Québec (OAQ) sous tutelle et propose d’interdire que ses membres soient payés par l’industrie des engrais et pesticides pour conseiller les agriculteurs. « Je n’en démords pas, écrit Louis Robert : la négligence complice de l’OAQ a certainement contribué à la dégradation de l’environnement en termes de charges de phosphates, nitrates et pesticides dans les plans d’eau, les récoltes, les tissus animaux et humains. Peut-être la seule issue réside-t-elle maintenant dans la mise sous tutelle de l’OAQ. »
Il ajoute, avant de conclure son livre, que les causes du dysfonctionnement du CERUM qu’il dénonçait en 2018 sont toujours là et que les compagnies de pesticides et l’UPA sont toujours bien représentées au conseil d’administration et exercent toujours leur influence.
Il doit trouver que nous sommes bien durs de comprenure l’agronome…
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Y-a t’il un moyen de connaître la nature de la terre, et son historique, des champs voisins. Et où est-il possible de faire analyser la terre.
Merci
C’est possible, mais il faut savoir ce qui est recherché et faire beaucoup d’analyses de plusieurs échantillons. Il faut recourir à des agronomes-chercheurs ayant accès à des laboratoires spécialisés. Bref, il n’y a pas de moyen simple et facile de savoir précisément ce qui s’est passé dans un champ et ça peut couter cher.