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Vouloir savoir être au pouvoir de soi est l’ultime avoir

Raôul Duguay

 Savoir, c’est pouvoir

Il y a près de 2 500 ans, Socrate, l’accoucheur d’esprit, invitant ses élèves à se connaître soi-même, leur dit : « Je sais que je ne sais rien. » N’est-ce pas là le commencement de la sagesse ? Aujourd’hui, l’accès au savoir universel via Internet pourrait faire dire à l’internaute : savoir, c’est pouvoir et j’ai le pouvoir de tout savoir (… à condition de vivre quelques éternités !) Devant l’océan des connaissances possibles, nous sentons que, avec ou sans le Net, ce que nous savons est aussi infime qu’une goutte d’eau. L’eau est l’alphabet de la vie, l’alphabet est l’eau de l’esprit. Mais en ce monde qu’on dit civilisé, un être humain sur deux ne sait ni lire ni écrire son nom !

On définit le savoir comme « l’ensemble des connaissances acquises par l’étude, l’observation, l’apprentissage et l’expérience. » Savoir veut dire apprendre pour comprendre le monde dans lequel on vit et mieux y prendre sa place. On s’informe pour mieux se former une vision du monde et participer à sa transformation. Mais savoir pour savoir ne suffit pas car l’émotion agit sur le fonctionnement de la raison. Il faut donc savoir sentir ce que l’on sait pour que cela ait du sens dans le quotidien. S’il faut en croire l’hypothèse alternative d’Antonio Damasio, humaniste et neuropsychologue, « l’intellect humain, qu’il soit individuel ou social, n’aurait jamais été amené à inventer les pratiques et les instruments culturels sans avoir été puissamment motivé par les sentiments. » Et Zygmunt Bauman, l’un des sociologues actuels les plus influents, de renchérir : « Avec l’entrée dans l’ère de la consommation… la liberté individuelle, dérégulée et privatisée, entre en collision avec la peur de l’insécurité. »

Or, la culture est devenue l’élément essentiel de l’économie du savoir. Nous assistons aujourd’hui au choc de la culture et de la finance. Si le libéralisme économique tel celui de Netflix l’emporte, il nivellera toutes les cultures, uniformisera tous les patrimoines et confondra les œuvres et les produits. Comme l’a écrit le cyberhippie Douglas Rushkoff : « Le Net est devenu une bulle boursière et ne relève plus du monde de la communication, mais de l’investissement. Le marketing a fait main basse sur le cyberespace. » Le Net est-il plus mercantile qu’humaniste ?

Être ou ne pas être : ceux qui ont et ceux qui n’ont pas.

Or, la valeur qui prend trop souvent la première place dans notre système social est celle de l’avoir. Pour beaucoup de gens, la vie vaut ce que vaut leur compte en banque, la vie n’a de sens que si l’on possède assez d’argent pour se payer ce que l’on veut et ne plus avoir besoin des autres. Quand on pense comme un prédateur, la vie de la faune et de la flore, les ressources naturelles, l’eau, l’air, la terre, peuvent ne pas valoir plus que l’avoir monétaire qu’elles représentent. Trouver le sens profond de son être est la plus importante des conquêtes. La conquête de soi est le véritable fondement de la liberté. Toute liberté vraiment humaine ne s’accomplit que dans le partage. Comme le canyon entre les riches et les pauvres s’approfondit chaque jour et constitue le problème le plus grave de notre civilisation, on divise le monde en deux : ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. À l’heure où, grâce aux systèmes d’information planétaires, on apprend que, pour survivre, des êtres humains sont contraints de se laisser traiter comme des esclaves, des objets, des marchandises, achetables et vendables sur le marché néolibéral, ce choc entre l’être et l’avoir continue d’être la question fondamentale et Internet en diffuse toutes les images tous les jours.

Cependant, selon Tim Berners-Lee, inventeur du Web et Stephen Wolfram, père des nouveaux moteurs de recherche sur Google, le rêve d’un Web tourné vers la connaissance, se concrétise chaque jour et favorise l’intégration du « connais-toi toi-même » de Socrate. Le contenu des informations du Web sera interprétable non seulement par l’homme, mais aussi par les machines qui pourront dialoguer en échangeant leurs informations ; elles pourront également dialoguer avec les humains et comprendre leur langage. Sachant que l’intelligence artificielle de la machina sapiens possède déjà des milliards de fois plus d’informations que l’homo sapiens, le transhumaniste Ray Kursweil, directeur de l’ingénierie chez Google, va beaucoup plus loin : il prévoit que l’être humain prendra la relève de la nature et que la machine, plus intelligente que nous, nous permettra d’accéder à l’immortalité. Cette « prophétie » soulève des questions. Le  numérique, devenu un réflexe culturel, risque-t-il de nous faire perdre le contact avec la nature ? La « webomanie » dénature-t-elle l’humain ou est-elle le tremplin de son évolution ? L’homo sapiens va-t-il devenir la création de ce qu’il a créé ? Déjà au Japon, l’homme et son robot s’apprêtent à marcher main dans la main !

Information, liberté et communication

En 1990, le physicien John Wheeler écrivait : « Tout dans l’Univers est information : des 0 et des 1. » Mis à part l’imaginaire, où tous les possibles sont en latence, le Net est le plus grand réservoir d’informations. C’est pourquoi il importe de faire la distinction entre les mots « information » et « communication ». L’information, qui traite des objets et opère avec des nombres, quantifie la réalité en répondant aux questions « où ? quand ? comment ? et combien ? » D’autre part, la communication qualifie les informations en leur donnant un sens. Toute communication authentique s’adresse à des sujets, à des « personnes » sensibles aux sentiments de leurs interlocuteurs, et opère avec des mots, des couleurs, des sons, des saveurs, des formes, des émotions et des idées. Fondée sur la relation et sur l’interdépendance, la communication pose les questions « pour qui ? avec qui ? et pourquoi ? » Tandis que l’information est froidement immanente dans le message, la communication, écho de l’intelligence du cœur, l’interprète, en décrypte l’intention et la transcende. C’est donc la communication qui donne un sens à toute information. Communiquer veut dire « savoir être avec ».

Ce qui donne un sens au Web, écho immédiat de l’imagination créatrice des humains, c’est la démocratisation du savoir. Le partage des connaissances dans le but de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons est une valeur universelle qui favorise l’évolution de l’humanité vers une sagesse commune où beauté, bonté, fraternité, égalité, liberté et paix pourront enfin régner sur Terre. Goethe avait-il raison de dire : « Il faut rêver l’impossible pour réaliser tous les possibles.  » ? Ceci dit, vivement la fibre optique à Saint-Armand !

 

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