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- Affaires municipales -- Communauté -

Souveraineté municipale

La rédaction

Magnifique vue du mont Pinacle à partir de la propriété Sactouris. Photo : Gracieuseté-Corridor appalachien

Au cours des vingt dernières années, les plus hautes instances législatives québécoises et canadiennes ont accordé aux municipalités la souveraineté absolue en matière de protection des milieux naturels qui constituent des écosystèmes utiles, voire essentiels, au maintien de l’équilibre vital sur le territoire immédiat qu’elles occupent : cours d’eau, nappes phréatiques, milieux humides, montagnes et forêts, etc. Tour à tour, la Cour d’appel du Québec, la Cour supérieure et la Cour Suprême du Canada ont confirmé les élus municipaux dans leurs responsabilités et leurs pouvoirs inaliénables en ces matières.

Des citoyens et des élus locaux ont contribué à ces remarquables avancées législatives. Dans notre dernier numéro, nous rapportions une décision de la Cour d’appel du Québec, rendue en 2018, donnant raison à un groupe de citoyens de Sutton qui contestaient la politique de développement domiciliaire de leur conseil municipal et la nonchalance des élus en matière de respect et de protection de l’environnement.

Cette fois, nous rappelons un jugement rendu en 2004 par la Cour suprême du Canada, confirmant le droit absolu d’un conseil municipal, dans ce cas celui de Frelighsburg, de légiférer de manière à protéger les écosystèmes sur son territoire. Voici ci-dessous un large extrait d’un article de Claude Montagne, publié dans nos pages en 2008.

Le litige oppose le conseil municipal (de Frelighsburg) à un promoteur privé qui, en 1988, achète de la municipalité un terrain de 1500 acres comprenant le sommet du mont Pinacle, considéré comme l’espace le plus important de la localité aux plans politique, économique et social. À l’automne 1993, des militants conversationnistes prennent la majorité au conseil municipal et, estimant que la vente de cet espace inestimable au plan de l’environnement à protéger constituait une erreur stratégique, adoptent une modification au règlement de zonage municipal. Selon le promoteur, la modification a pour effet de bloquer le projet de développement qu’il a pour ce terrain, notamment un centre de ski alpin.

Le promoteur intente alors un procès à la municipalité ainsi qu’aux élus qui ont voté la modification litigieuse. Le juge Guy Arsenault de la Cour supérieure du Québec condamne la municipalité à payer au promoteur des dommages et intérêts de 330 500 $. Il estime que le conseil municipal a fait preuve de mauvaise foi administrative, mais il juge que les élus ne peuvent encourir de responsabilité personnelle puisqu’ils n’ont pas agi malicieusement.

Cette condamnation est par la suite cassée en Cour d’appel du Québec par la juge Louise Mailhot qui conclut que la municipalité avait le pouvoir de modifier son règlement de zonage, que ce pouvoir n’a pas été employé de façon illégitime et que les membres du conseil municipal n’étaient pas fermés aux idées du promoteur malgré le fait que plusieurs des élus avaient participé à la création d’organismes voués à la conservation du Mont Pinacle. Le libellé du jugement de la Cour d’appel précise que c’est, pour des élus municipaux, « une préoccupation plus que louable » que de vouloir conserver la montagne dans son état naturel.

La cause rebondit à la Cour suprême du Canada, où le juge Lebel rejette, en 2004, le pourvoi du promoteur qui est tenu de payer les frais de la Cour. La municipalité et ses élus sont définitivement blanchis et libérés de tout blâme et de toute charge financière relativement à cette affaire.

Cette aventure éprouvante qu’ont vécu nos voisins confirme le fait qu’un conseil municipal est souverain sur son territoire et qu’il a bel et bien le pouvoir de légiférer afin de protéger son patrimoine et les intérêts des citoyens qu’il représente.

Voici maintenant un extrait d’un autre article publié dans nos pages en 2010, témoignant du fait que ces pouvoirs et devoirs des élus municipaux s’étendent aussi bien à la protection des milieux forestiers qu’à celle des cours d’eau, des milieux humides et des nappes phréatiques.

Les tribunaux, notamment la Cour suprême du Canada, ont confirmé ce principe en matière de protection des rives, du littoral et des zones inondables. Trois juges de la Cour d’appel du Québec viennent d’étendre ce principe au domaine de la protection du couvert forestier.

Les magistrats donnent raison à la municipalité de Sutton, au détriment de deux sociétés à numéro (détenues par la compagnie Bois Champigny de Mansonville) qui réclamaient l’annulation entière des règlements municipaux sur l’abattage des arbres sur des terrains leur appartenant. Ces sociétés possèdent, sur le territoire de Sutton, de vastes propriétés couvrant au moins 380 hectares. Le verdict inflige une dure leçon à ceux qui croient encore que le droit de propriété équivaut au droit de tout faire. Cette décision nous touche puisque l’entreprise possède des terres ou des droits de coupe un peu partout dans la région, notamment sur le territoire de Saint-Armand.

La Cour conclut qu’une municipalité a le droit, voire le devoir, de réglementer de manière à freiner l’érosion sur son territoire. Le jugement confirme qu’elle peut aussi le faire si « les coupes forestières ont un impact visuel important sur les sommets montagneux ». L’aménagement durable de la forêt inclut donc la protection du paysage.

Selon les juges Gendreau, Dalphond et Giroux, « la municipalité n’est pas tenue d’autoriser, à l’égard d’une propriété spécifique, tous les usages qui seraient les plus rentables si leur localisation était laissée aux seules lois du libre marché ».

Rappelons que, dès 1995, dans la foulée du Sommet sur la forêt privée, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU) a été modifiée pour permettre aux municipalités de « régir ou restreindre la plantation ou l’abattage d’arbres afin d’assurer la protection du couvert forestier et de favoriser l’aménagement durable de la forêt privée ». Le récent jugement de la Cour d’appel confirme la validité de la LAU et des pouvoirs et devoirs municipaux à cet égard. Tout comme les cours d’eau, le couvert forestier, même lorsqu’il est situé sur des propriétés privées, constitue un patrimoine collectif qui peut et doit être régi par la municipalité.

 

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