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- Édito -

Quand il faut à la fois prévenir et guérir

Pierre Lefrançois

Mieux vaut prévenir que guérir, dit le dicton. Par les temps qui courent, certains semblent croire que la formule est désuète parce que, selon eux, il est déjà trop tard pour la prévention. Ceux qui pensent de la sorte ont aussi tendance à croire que les thérapies visant à réparer les dégâts déjà manifestes coûteraient trop cher à mettre en place et qu’il vaut mieux s’empresser… de ne rien faire.

C’est ainsi que, pressés par l’opinion publique de créer un comité d’experts chargé de revoir les pratiques concernant l’usage de pesticides controversés par suite des révélations de l’agronome Louis Robert, les autorités s’empressent de confier cette tâche à des agronomes à l’emploi de géants de l’industrie des pesticides ainsi qu’à des membres du CEROM, ce centre de recherche sur la culture des grains qui était au cœur de la controverse déclenchée par les dénonciations de monsieur Robert. Bref, on fait tout ce qu’il faut pour éviter de faire de prévention et de prendre des mesures sérieuses pour réparer les torts déjà causés à l’environnement et à la santé publique.

La chose est à ce point grossière, que l’Union des Producteurs agricoles (UPA) a fait savoir qu’elle ne participerait pas à cet exercice parce qu’elle ne souhaitait pas servir de « caution morale » à ce comité dont elle remet en question l’indépendance. On n’a pas affaire ici à une bande d’écoterroristes enragés : l’UPA est plutôt connue pour ses positions habituellement conservatrices et favorables à des pratiques agricoles souvent peu soucieuses de l’environnement et de la santé publique. Pour que les responsables de cette vénérable institution sentent le besoin de prendre de la distance face aux fonctionnaires du ministère de l’Agriculture du Québec, à son ministre, aux dirigeants de l’Ordre des Agronomes du Québec, de l’Association des Producteurs de grains du Québec et du CEROM, il faut que quelque chose soit en train de changer dans notre société.

Peut-être approchons-nous du point de bascule où il apparaîtra enfin clairement à une majorité d’entre nous qu’il vaut mieux à la fois prévenir et guérir plutôt que de refuser de voir les choses en face et de persister à ne rien faire, baissant les bras devant les responsabilités qui nous incombent.

Les élites ont perdu le nord

Cette conscience de l’urgence, qui commence à poindre parmi les gens ordinaires un peu partout sur la planète, semble cependant échapper aux élites qui nous dirigent. Il n’y a pas qu’au Québec que les responsables publics croient pouvoir ignorer grossièrement les avertissements répétés des scientifiques et des experts en matière d’environnement et de santé publique. Au Canada, notamment, l’exemple vient de très haut : les lobbyistes du gouvernement canadien s’activent depuis des années, en coulisses, à combattre les normes européennes qui empêchent ses entreprises et ses producteurs agricoles d’exporter vers le marché unique. Le 4 juillet dernier, un groupe de 16 pays, dont le Canada de Justin Trudeau et les États-Unis de Donald Trump, a « vertement » critiqué la réglementation de l’Union européenne (UE) sur les pesticides, accusant ses dirigeants de prendre des « précautions excessives nuisant au libre-échange des produits agricoles ».

En fait, depuis 2013, le Canada et les USA œuvrent de concert contre le nouveau règlement européen sur les pesticides, qui prévoit d’interdire toutes les substances intrinsèquement dangereuses (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques et autres perturbateurs endocriniens). S’inspirant du principe de précaution, qui recommande la prévention en matière d’environnement et de santé publique, cette approche de l’UE menace d’abord les producteurs de pesticides comme Bayer-Monsanto ou Corteva (empire issu de la fusion Dow-DuPont), dont les produits pourraient être retirés du marché européen. Mais elle inquiète aussi les partenaires commerciaux de l’UE, qui craignent de voir les portes de son marché se fermer à leurs producteurs s’ils continuent d’utiliser des substances interdites.

Aux yeux de Washington et d’Ottawa, ce règlement « ne sert qu’à miner le commerce agricole international et contrevient [aux règles internationales] », comme l’a affirmé le Canada devant l’Organisation mondiale du Commerce, en 2016. La controverse vise notamment les néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles » utilisés par les producteurs canadiens, mais interdits en Europe (voir notre article dans ce numéro en page X).

Rappelons au passage que les pesticides agricoles tels que les néonicotinoïdes, qui sont largement employés en Armandie et qui étaient à l’origine des dénonciations de l’agronome Louis Robert, s’accumulent dans le sol et dans l’eau, et finissent inévitablement par polluer nos puits et la baie Missisquoi. On n’a donc pas le choix : il faut à la fois prévenir et guérir.

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