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La mouche

Éric Madsen

Il y a de ces privilèges qui font parfois grand plaisir. Ayant cumulé quantité de points de fidélité auprès d’un transporteur aérien en conséquence de mon travail en Alberta au cours des deux dernières années, j’ai eu le bonheur de me rendre cet été en France en compagnie de ma chérie à bord d’un Airbus, en première classe. Grosse vie sale… aux petits soins dès le départ, siège qui, du bout du doigt, se transforme en couchette, menu santé, Champagne à volonté, couverture et kit de voyage, bref une classe à part.

Au-dessus de l’Atlantique, à 37 000 pieds d’altitude, en route pour les vacances, il n’y a plus grand chose qui dérange, encore moins en première classe. Sauf, peut-être, cette mouche qui voltige autour. Comment a-t-elle bien pu se trouver ici, celle-là ? Et comment va-t-elle s’en sortir ? Telles étaient les questions absurdes qui trottaient dans ma tête de touriste choyé. Va-t-elle pouvoir s’échapper une fois rendue à destination, s’acclimater aux Français, survivre au décalage horaire ? Ou bien finira-t-elle complètement saoule dans le fond d’un verre de pastis ? Ces questions existentielles mènent parfois au sommeil, ce qui n’a pas tardé à se produire. À mon réveil, au-dessus de l’Angleterre, la mouche avait disparu des radars. Ce jour-là, Paris était gris. Un soleil timide s’essayait à briller.

Même l’immeuble dans lequel le compositeur Georges Bizet est né, en face de l’hôtel, avait la mine basse.

Le lendemain, c’était pire encore : au musée Rodin, Le Penseur semblait s’ennuyer davantage sous les averses. Une grosse déception m’attendait devant la tombe de Jim Morrison au cimetière du Père Lachaise, les fans ayant littéralement profané les lieux et cassé la pierre du caveau pour en prendre un morceau et l’exposer sur la bibliothèque de leur salon. Comme le mur de Berlin, quoi ! Vraiment pathétique… Le vent sifflait, j’avais froid et mal aux pieds… Au plus vite la Provence et son soleil du Midi !

Il y a trop à voir en France. Si l’on veut tout admirer, ça prend des semaines, voire des mois pour y parvenir, et encore. Non ma chérie, pas le temps pour ce château, oublie ce vignoble-là, sinon on ne se rendra jamais… Voilà l’inéluctable frustration. Mais que c’est beau ! Vaison-la Romaine, Rasteau, Sault, Aix- en-Provence, Rousset, Cassis et ses magnifiques calanques aux eaux cristallines, et j’en oublie tellement.

Sur le chemin du retour, arrêt obligé dans un cybercafé pour prendre les dernières nouvelles des enfants. Un message nous attriste profondément : le fils vient de perdre un de ces meilleurs amis, mort bêtement dans un accident d’auto. Les mots réconfortants nous manquent.

Le lendemain, de retour à Paris, notre marche dans la ville lumière nous amène à la cathédrale Notre-Dame, haut lieu touristique oblige. Dans la crypte de Saint-Thomas d’Aquin, j’allume un lampion pour Gab, l’ami disparu de fiston. Les vêpres chantées en latin contribuent à notre recueillement. Soudain, comme par magie, une mouche se pose sur ma main. Toutes les mouches se ressemblent, me direz-vous, mais celle-là a un air de déjà vu. À se regarder de près, on se reconnaît ; oui, c’est bien elle. L’émigrante a survécu. Alors… bon voyage ?

Elle est repartie comme elle était venue. Je l’ai perdue de vue quand elle s’est échappée par une petite fenêtre percée dans un magnifique vitrail. Je me suis assis pour m’en remettre, troublé par les hasards de la vie.

Dehors, le soleil couchant donnait aux quais de la Seine une allure de carte postale. Sur un pont menant à l’île Saint-Louis, un duo de jazz – piano et contrebasse –  agrémentait l’atmosphère. Que demander de mieux… ?

La paix et une belle fin d’automne.

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