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- Gens d'ici -

Madame Claire Pelletier

Éric Madsen

Photo : Éric Madsen

Elles sont peu nombreuses aujourd’hui, ces femmes octogénaires qui ont démographiquement contribué à l’essor du Québec, et encore moins nombreuses dans notre coin de pays. Aujourd’hui, voici le portrait d’une femme bien connue de son milieu : madame Claire Pelletier.

Avant-dernière d’une famille de cinq enfants, elle est née le 9 mai 1924 à la ferme de son père Raoul Pelletier, située sur ce qu’on appelait autrefois le chemin des Chutes, « bien avant que les rangs portent des noms », souligne-t-elle. Une enfance douce et paisible est malheureusement perturbée par le décès de sa mère alors que Claire est à peine âgée de dix ans. Ce grand bouleversement changera à jamais sa vie. « Tu sais, me dit-elle, j’y pense encore à chaque jour. »

Du jour au lendemain, le monde a basculé, et Claire n’a guère le choix que de rester à la maison pour aider son père éploré. « Après le décès, on a arrêté d’aller à l’école pour le reste de l’année, mon frère était  malade, fallait bien qu’on aide notre père », me confie-t-elle pensivement.

Par chance, des oncles viennent aider aux travaux agricoles, tandis que des tantes bienveillantes aident les filles à la maison. On peut présumer que c’est durant cette période qu’elle apprend les rudiments de la bonne tenue de maison : cuisine, couture, lessive, etc.

Alors qu’elle est âgée de 15 ans, le monde entre en guerre une seconde fois depuis le début du siècle. C’est ainsi qu’elle voit un de ses frères partir pour le recrutement de l’armée. Heureusement, dira-t-elle, « il est revenu 48 heures plus tard, un problème physique l’a empêché de partir. Mais le monde était ébranlé pareil, on parlait beaucoup de ça », même à Saint-Armand, si loin du front.

À l’époque, on passe directement de l’enfance à l’âge adulte. Pas de crise d’adolescence. La vie ne vous en laissait pas le loisir…

Le 12 octobre 1946, Claire épouse son homme. Originaire de Saint-Pamphile, dans le Bas-Saint-Laurent, Émile Dubé unit sa vie à celle de Claire devant l’autel de l’église de Saint-Armand. La noce a lieu chez le père de la mariée, « comme était la coutume de l’époque ». Ainsi, à 22 ans, Claire quitte le nid, en route pour un voyage de noce dans  le pays du mari. Au retour, stupeur, le logement réservé est déjà occupé par un cousin que l’on ne peut décemment expulser. Qu’à cela ne tienne, le couple trouve facilement une solution et vit trois ans dans un appartement au coeur du village avant d’acheter en 1950 la ferme Campbell, chemin Dutch, et y demeurer pendant les trente-cinq années suivantes.

Une des toutes premières occupations de l’époque est de fonder une famille. À ce chapitre Claire peut aisément prétendre aux marches du podium de la fécondité, alors qu’elle a donné naissance à 13 enfants (tous en vie) et a maintenant 29 petits-enfants et, elle s’arrête pour y penser, 9 arrière-petits-enfants. « Ma plus grande fierté », avoue-t-elle sur un ton sans équivoque. « J’ai eu cinq garçons et huit filles qui aujourd’hui font mon bonheur », ajoute-t-elle, tout en faisant remarquer qu’ils ont tous vécu près d’elle, sauf une fille partie dans « les Europe » travailler plusieurs années. « Je m’accoutumais pas à ça », dira-t-elle.

Pendant qu’elle besogne ferme dans la maison, son mari fait de même dans les champs et surtout sur la route, puisqu’il pratique aussi le métier de cantonnier (Larousse 2004 : ouvrier chargé de l’entretien des routes et leurs bordures), puis celui de commerçant d’animaux et de bois. Lorsqu’il tombe sur du noyer de bonne valeur, il l’envoie à ses frères sculpteurs de Saint-Roch des Aulnaies, raconte Claire. « On avait la chance d’avoir l’électricité dans le Dutch, ce qui n’était pas le cas dans les petits rangs autour, pis j’étais tannée de cuisiner au bois en plein été. Alors une année j’ai fait une folle dépense aux yeux de la famille, j’avais l’argent de l’allocation des gouvernements, j’ai acheté mon premier poêle électrique, un poêle à pitons comme disait mon père », se souvient-elle en riant de bon coeur.

Puis les enfants grandissent sans qu’on s’en aperçoive. « Une année, il y en a trois qui se sont mariés, je commençais à être fatiguée », confie-t-elle. Malgré toutes les tâches à accomplir, le couple trouve le temps de se divertir avec la parenté lors de soirées dansantes, loisir qu’affectionne tout particulièrement Claire aujourd’hui. Quoi de mieux encore pour elle qu’« une soirée avec de la belle musique ».

Encore une fois, le mauvais sort s’abat sur Claire, lorsqu’en 1998 elle perd son beau Emile, emporté par la maladie. Se retrouvant seule dans une maison récemment construite en face de la ferme familiale maintenant vendue à d’autres, elle accepte l’in-vitation d’une de ses filles d’aller vivre près de chez elle, chemin Saint-Armand, à la sortie du village vers Philipsburg. C’est dans ce petit havre de paix qu’elle coule des jours paisibles, entourée des siens.

À la question : qu’elles ont été vos plus belles années ? Claire prend bien son temps pour finalement répondre : « que toute ma vie a été assez belle », et que si tout cela était à refaire, « oui, je prendrais le même homme », et que « oui, ma vie c’est ces enfants-là ».

Vos plus beaux souvenirs ? Long silence. « Ah mon Dieu ! il y en a trop… » « Tu sais, il faut suivre le courant de la vie », affirme-t-elle le regard taquin.

Alors, à brûle pourpoint, je lui pose la question « Que pensez-vous du mariage gay ? » « Ah, ben là… écoute, je respecte ce monde là… non pas pour moi ».

La religion a pris une grande place dans votre vie ? « Oui, bien sûr, ça a aidé à traverser des épreuves, et c’est pour ça que je ne voudrais pas voir la fermeture de l’église, j’aurais beaucoup de peine ».

Souhaitons que son voeu soit exaucé, et si vous croisez Claire, envoyez-lui la main, elle vous répondra car pour plusieurs elle est et restera pour toujours ma tante Claire. Merci madame Pelletier.

À la prochaine.

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