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- Gens d'ici -

Le parcours atypique d’Ananda et de Mikala

Carole Dansereau

D’entrée de jeu, Ananda Lynn Fitzsimmons, cofondatrice d’Inocucor, une entreprise biotechnologique agricole fondée ici dans notre région, cite ces paroles de Gandhi lors de l’entrevue qu’elle m’a accordée. J’ai voulu vous faire connaître le parcours atypique de cette femme et de sa conjointe Mikala Dicaire. Là où plusieurs d’entre nous auraient tout simplement laissé tomber, tant les obstacles étaient énormes, ces deux femmes ont eu le courage de leurs convictions, persuadées qu’elles sont de l’importance de vivre en interaction et en harmonie avec l’environnement.

Alors qu’elle était âgée de vingt tans, Ananda ne savait pas qu’en acceptant l’invitation d’une amie à venir bêcher la terre pour y démarrer un jardin, sa vie en serait marquée à jamais. « Je piochais, j’arrachais du chiendent, puis quand je touchais la terre, j’avais des frissons. Ça a été pour moi une révélation et je me suis dit que ça me prenait ça dans ma vie ». Quant à Mikala, c’est grâce à la complicité et au regard aimant de son grand-père qui, dès l’âge de quatre ans, l’initiait à l’art d’observer et de récolter les légumes, dont la tomate, qu’elle apprend à récolter les meilleures semences.

Délaissant la banlieue après avoir complété son baccalauréat en éducation, Ananda, qu’on considère alors comme une hippie, décide de vivre dans une commune à la campagne. Cela se passait dans les années 1980. Participant à la vie communautaire, chacun des membres du groupe fait l’apprentissage des rudiments de la culture et de l’autosuffisance. Passionnée de cuisine, Ananda découvre très tôt les bienfaits de la fermentation. La fabrication du tofu, du tempeh, du miso, ainsi que la lacto-fermentation des légumes et la préparation du levain n’ont pas de secret pour elle. À l’époque où nous combattions avec véhémence les bactéries, Ananda les invitait plutôt dans sa cuisine et dans son assiette. Quant à Mikala, elle avait entrepris des études en médecine pour se rendre compte rapidement que cette approche de la santé ne répondait pas à ses questions.

 « Vivre au milieu d’un verger… moins idyllique que nous le pensions. »  

Installées toutes les deux dans la région depuis trente ans et possédant une terre à Pigeon Hill ainsi qu’une maison à Frelighsburg, Ananda et Mikala poursuivent leurs rêves et vivent à leur manière. Elles s’intéressent, entre autres choses, à la permaculture, la relation d’aide et la créativité, pour lesquelles elles offrent des ateliers.

Entre-temps, elles découvrent qu’il est difficile de vivre entouré de vergers. Dérangées par le va-et-vient incessant de la machinerie et préoccupées par les conséquences possibles de l’épandage de produits de synthèse sur la qualité de l’eau, y compris celle de leur puits, elles se lanceront dans une aventure qui les mènera sur des chemins encore insoupçonnés.

Ananda continue malgré tout à prendre soin de son jardin en utilisant, comme elle dit,  ses « potions magiques », produites par fermentation. Elle en pulvérise sur ses légumes et ses arbres fruitiers, et le résultat est toujours au rendez-vous. Elle se demande alors pourquoi les pomiculteurs persistent dans leurs pratiques qui, en plus d’être dommageables pour la terre, nuisent à leur santé. Elle sait que ses pratiques sont transposables à l’agriculture classique puisqu’elles ne nécessitent que des arrosages.

« Faudrait que quelqu’un montre qu’on peut faire autrement ».

 Elle a réfléchi longtemps avant de se décider à commercialiser son produit, le monde des affaires ne l’intéressant pas vraiment. Cette quinquagénaire qui avait toujours vécu en marge de la société a dû se rendre à l’évidence : personne n’était mieux placée qu’elle pour le faire. Obsédées toutes les deux par leur produit, Ananda et Mikala s’inscrivent à Cowansville à une formation en lancement d’entreprise destinée aux adultes. La vie faisant bien les choses, comme c’est souvent le cas, la personne qui supervise leurs apprentissages est issue de l’univers de la biotechnologie. En 2006, Margaret Bywater-Ekegärd, titulaire d’un doctorat en pathologie moléculaire, venait tout juste de s’installer à Knowlton pour y vivre une retraite bien méritée. Désirant transmettre son expérience et ses connaissances en pharmacologie, en biotechnologie et en développement d’entreprises, elle s’offre pour enseigner à temps partiel. Contre toute attente, elle rencontre dans la région deux femmes intéressées à mettre sur pied une entreprise en biotechnologie.

Inocucor venait d’être fondée, avec à sa tête trois femmes très déterminées à proposer un produit unique en son genre, soit un intrant agricole qui, au lieu d’acidifier et d’appauvrir le sol, permet d’améliorer sa santé et d’accroitre de façon naturelle les rendements des cultures qu’on y pratique. Les observations d’Ananda concernant les bienfaits des aliments fermentés lui ont permis de concevoir un produit associant plusieurs souches de bactéries et de levures bénéfiques. Travailler de concert avec les bactéries permet d’enrichir le sol et, par conséquent, les plantes qu’on y cultive. Le produit d’Inocucor, inoffensif pour les agriculteurs qui l’appliquent, constitue une solution de rechange à des pratiques agricoles néfastes pour l’environnement et la santé.

Mais le chemin parcouru depuis le début a été semé d’obstacles. À commencer par un financement qui a tardé à venir. Jusqu’en 2012, aucune institution financière n’était prête à s’engager. Il a donc fallu avoir recours à la participation de particuliers. À quelques reprises, Mikala et Ananda ont pensé déclarer faillite, mais à chaque fois, un bon samaritain surgissait, remettant ainsi en question leur décision de tout lâcher.

« On dirait qu’à un moment donné, la vie met du vent dans les voiles. »

 Elles ont dû faire longtemps la navette entre Frelighsburg et Saint-Hyacinthe, où des microbiologistes testaient les produits qu’elles faisaient fermenter dans leur maison et dans une grange du Domaine Pinacle, dans des cuves de mille litres. Le budget étant modeste, il leur a fallu faire preuve de beaucoup de créativité, notamment pour transporter toutes ces cuves. Mais, en 2012, le vent a tourné, Cycle Capital et la Caisse Desjardins croyant désormais dans leur projet. Les temps étaient mûrs : des scientifiques  commençaient à parler publiquement des bienfaits des bactéries, des microbes et du microbiote sur la santé.

Devant les difficultés à obtenir une homologation du produit par les autorités canadiennes, elles se sont tournées vers le marché américain. Un conseil d’administration composé de chercheurs de différentes entreprises et universités a été constitué. Le produit a ainsi été homologué aux États-Unis. Il est utilisé dans plus de 22 États par des agriculteurs, biologiques et conventionnels, qui sont ravis par cette nouvelle approche. Nul n’est prophète en son pays, dit-on, mais depuis décembre dernier, le produit est enfin homologué par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, ce qui permet de le commercialiser au Canada et de se le procurer ici.

Sachant qu’il n’est pas facile de changer les façons de faire dans le monde de l’agriculture, Ananda continue de porter le bâton du pèlerin à titre d’ambassadrice de la marque. Entre Montréal, le siège social de l’entreprise et diverses destinations au Canada et aux États-Unis, cette femme dotée d’une force tranquille donne des conférences aux agriculteurs, qui semblent de plus en plus ouverts à changer leurs pratiques, conscients de l’importance de protéger l’environnement.

Quant à Mikala, elle participe de loin au fonctionnement de l’entreprise, reprenant en mains les affaires de la maison et s’occupant, durant la semaine, des semis de tomates d’Ananda (tiens donc) qui reçoivent actuellement une attention particulière. Eh oui ! Notre magicienne des bactéries poursuit ses recherches, persuadée que nous en sommes à nos premiers balbutiements dans cet univers passionnant qu’est l’art de travailler en symbiose avec tous ces microbes, levures et bactéries.

Qui aurait cru, il y a à peine dix ans, que la fermentation des aliments (processus de conservation très ancien) deviendrait, au 21e siècle, une voie permettant de modifier les pratiques agricoles modernes. Un bien long parcours… Il aura fallu la détermination de deux femmes qui n’ont pas craint de plonger les mains dans cette terre pour en saisir l’essence !

Pour en savoir plus : www.inocucor.com

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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