Dans l’ordre habituel : Jaime Lizama Martinez, Gonzalo Enriquez de la Cruz, Saul Sanchez Tirado, Juan Rivera Garcia, Armando Salam Salam, Guadelupe Sanchez Olivera, travailleurs mexicains engagés par Les Vergers Tougas de Dunham (Photo : Christian Guay-Poliquin)
Le travail a perdu, chez les prolétaires, tout fondement d’une mise en œuvre de soi-même, et ne maintient plus la vie de ces derniers qu’en l’appauvrissant.
Karl Marx
Cet été, tout près de chez nous et dans bien des régions du Québec, on pouvait croiser, à l’heure où le soleil se couche, quelques Latino-Américains, à vélo, à pied, revenant de travailler des champs de fruits et de légumes. En fait, ils étaient près de 4 300 Mexicains, Guatémaltèques et Antillais à travailler cette année au Québec et environs 18 000 au Canada. Qu’est-ce qu’ils font ? ils font nos récoltes, et par le fait même ils comblent la pénurie de main-d’œuvre dans le milieu agricole.
Quoique nous entendons parler de ce phénomène depuis à peine quelques années, cette pratique, suite à une entente entre les gouvernements canadien et mexicain pour ouvrir les frontières nord-américaines à la libre circulation de la main-d’œuvre, fruit du Programme des travailleurs agricoles saisonniers, est en vigueur au Canada depuis 1974.
lis arrivent donc au printemps, pour une période variant de deux à six mois. Ils sont assignés à différentes entreprises agricoles ayant fait la demande d’employés auprès du consulat du Mexique. Ils sont embauchés, peu importe leur formation, exclusivement en tant que manœuvres ou ouvriers agricoles. Leurs conditions de travail sont régies par le contrat de travail qu’ils signent avant d’arriver au Québec. Ils gagnent donc 8,25 $/heure (8,50 $/h l’année prochaine), ont droit à l’assurance maladie durant leur séjour et sont logés gratuitement. Ils paient toutefois le Visa de travailleur (150 $), le Certificat d’acceptation du Québec (175 $) ainsi que la moitié de leur billet d’avion. Ils travaillent en moyenne une dizaine d’heures par jour, tous les jours, à l’exception du dimanche après-midi. Pourquoi tant d’heures ? Parce qu’ils sont ici pour travailler. Ils ont besoin de cet argent. Leur famille en a besoin. Et les employeurs sourient.
Bien qu’il y ait eu, ici et là, quelques éclaboussures en ce qui concerne la qualité de leurs conditions de travail et d’hébergement, tout porte à croire qu’ils sont relativement bien traités. D’ailleurs ils connaissent de plus en plus leurs droits et apprennent à les faire respecter. Même que, ces dernières années, des rumeurs de syndicalisation flottaient dans l’air. Des rumeurs devant lesquelles les employeurs ne sourient plus.
Curieusement, au bout du compte, l’embauche de travailleurs mexicains est plus coûteuse pour les entreprises que l’embauche de travailleurs québécois. Si elles continuent cette pratique, c’est qu’avec les travailleurs mexicains, elles ont une main-d’œuvre stable, assurée et à leur disposition en tout temps.
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Bien sûr, avant aussi, les travailleurs saisonniers venaient d’ailleurs, entre autres du Lac-Saint-Jean et de la Gaspésie.
Bien sûr, présentement, le vieillissement de la population et la dénatalité font qu’il y a et qu’il y aura de moins en moins de main d’œuvre pour effectuer les travaux physiques du domaine maraîcher.
Bien sûr, avec la présence dans nos épiceries de produits venant de partout, les entreprises d’ici doivent rester concurrentielles.
Bien sûr, bien sûr, c’est ainsi que les choses se passent chez nous, au Québec. Pourtant, cette réalité en cache bien d’autres.
Par exemple, le taux de chômage est actuellement de 8 % au Québec alors que la moyenne canadienne est de 6, 1 %. Est-ce que les Québécois seraient en train de lever le nez sur ce genre de travail agricole qui, à l’origine, était le fondement de l’humanité ? Ou seraient-ce les entreprises agricoles elles-mêmes, soumises aux lois du moindre coût qui, ayant la possibilité d’engager des Mexicains, refuse de payer aux travailleurs québécois un salaire proportionnel au coût de la vie d’ici ?
Et ces Mexicains qui acceptent de s’exiler pour aller gagner quelques sous, pourquoi le font-ils, si ce n’est parce qu’ils y sont contraints financièrement. Des six travailleurs interrogés aux Vergers Tougas, deux venaient du domaine de la construction, quatre étaient paysans et tous étaient des pères de famille. Chacun d’eux tenait fermement à mentionner qu’ils font partie de la plus basse classe économique du Mexique, celle qui n’a pas le choix.
Ils arrivent donc ici en tant que prolétaires de la mondialisation et force brute de travail. On les dépossède, les déracine de chez eux et de leur propre vie au nom des sous qu’on leur promet et des liasses qu’on accumule. De plus, ne parlant pas ou très peu notre langue, noyés dans le travail, ils n’ont aucun contact véritable avec la réalité et les gens d’ici, un peu comme s’ils n’étaient ici vraiment que des êtres s’ils abstraits.
Un des travailleurs interrogés affirmait même que les Québécois lui semblaient plus froids et racistes que les Ontariens. On devine à quel point on les marginalise sans se l’avouer et à quel point nous, qui nous disons si ouverts au monde, ne voulons pas voir les faits qui nous renvoient à nous-mêmes.
Puis l’automne arrive, et nos travailleurs repartent vers le Mexique pour, après quelques jours de repos, retourner au champ ou au chantier …
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