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- Agroforesterie -

L’agroforesterie missisquoienne

Charles Lussier, géographe

Photo : Richard Lauzier

Depuis près de dix ans, l’agroforesterie est en pleine expansion au Québec. Le comté de Missisquoi, particulièrement le bassin versant de la rivière aux Brochets, présente des conditions bioclimatiques particulièrement favorables aux aménagements agroforestiers.

Dans la région de Bedford, l’agroforesterie riveraine date de novembre 1733, époque où le charpentier Joseph Corbin remontait en chaloupe la rivière aux Brochets dans la basse plaine argileuse du territoire actuel de Pike River ; il sera l’un des premiers Européens à le faire. Son expédition avait pour but premier d’inventorier les bois de valeur pour la construction navale royale. Il y note la présence de quelques spécimens de chêne blanc, une espèce désormais rare dans nos forêts naturelles du sud du Québec. De 1740 à 1758, le seigneur de Saint-Armand, illustre forestier de la fin de la Nouvelle-France, deviendra propriétaire de ce vaste et riche territoire qui s’étend de Pike River à St.Albans (VT) et jusqu’à la limite Est de Frelighsburg.

Photo : Richard Lauzier

L’agroforesterie, ou agrosylviculture, consiste à réimplanter des arbres en milieu agricole, et donc de réintroduire de la matière ligneuse dans un site purement herbacé. L’exercice  paraît très simple mais se complexifie lorsqu’on le pratique rigoureusement : lutte contre le cerf de Virginie et les rongeurs, concurrence des herbacées, vents de la plaine, etc. Une majorité de nos espèces d’arbres (il en existe près de 53 indigènes au Québec), comme le frêne rouge, l’érable à sucre ou même le chêne rouge, colonisent le territoire en partant de leurs îlots forestiers et progressent vers les milieux adjacents plus ouverts, comme les bordures de prairies ou de pâturages. L’agrosylviculture riveraine consiste à implanter les arbres en plein milieu des productions agricoles, le long des cours d’eau. Dans la région de la baie Missisquoi et des environs de Bedford, sa fonction est multiple. Le mélèze laricin, le frêne rouge, le chêne à gros fruits et le chêne rouge, de même que l’épinette blanche, stabilisent les sols, diminuent significativement leur érosion sur les rives des cours d’eau, produisent un effet brise-vent qui a pour conséquence d’accroître le rendement des cultures adjacentes (au bout de 12 ans), créent un microclimat au champ (effet « bocage »), apportent de l’ombre à la faune aquatique (habitat du poisson) et favorisent l’apparition progressive d’une nouvelle flore et faune riveraine et aquatique.

Depuis 2002, la Coopérative de Solidarité du bassin versant de la rivière aux Brochets (CSBVRAB), qui regroupe désormais près de quatre-vingts producteurs agricoles de la région de Bedford, a aménagé en milieu agricole plus de quarante-cinq kilomètres de bandes riveraines composées d’arbres et d’arbustes. Les observations de suivi des plantations de feuillus nobles, de résineux et d’arbustes effectuées depuis 2008 ont permis de confirmer le fait que ce territoire méridional québécois possède des caractéristiques biophysiques particulièrement favorables à cet égard. Vu l’effet adoucissant de la baie Missisquoi et du corridor fluvial de 225 km du lac Champlain, ces systèmes agrosylvicoles s’avèrent très fructueux pour les producteurs agricoles. Le réseau de la CSBVRAB comprend désormais 45 kilomètres de rives herbacées linéaires, dont 36 km de haies brise-vent riveraines (HBVR) constituées de 18 000 arbres (feuillus nobles et résineux) et 9 km de lisières arbustives constituées de 23 000 plantes riveraines ; tous ces végétaux bénéficient de travaux d’entretien. Bien que de moindre importance, le chêne blanc, le chêne bicolore, le frêne américain, le noyer noir, le thuya occidental, le pin rouge et le pin blanc ont fait également l’objet de plantations. Une évaluation sommaire de la valeur agroforestière du réseau des 90 sites, dont la largeur est de 1 m à 35 m et la longueur, de 120 m à 1,7 km, indique qu’elle s’approche du million de dollars pour les tiges d’arbres et les sites arbustifs (la valeur des arbustes, qui pour la plupart sont à maturité, oscille entre 4 et 9 $).

L’auteur de ces lignes a réalisé une recherche appliquée d’acquisition de connaissances en sylviculture riveraine sur un total de 392 arbres du réseau, comprenant des chênes à gros fruits, des chênes rouges, des frênes rouges et des mélèzes hybrides, implantés principalement à Sainte-Sabine, Notre-Dame-de-Stanbridge et Saint-Ignace-de-Stanbridge. Des mesures (hauteur, diamètre hauteur-poitrine (DHP) et autres) ont  permis d’affirmer que les quatre espèces affichent un des meilleurs taux de croissance du Québec, ce qui est attribuable aux conditions optimales des sites et aux travaux d’entretien effectués par la CSBVRAB. Ce travail de recherche permet de conclure que les conditions de croissance accélèrent fortement la production de bois ; l’obtention d’une bille ne demande que 25 ans, comparativement aux 45 ans pour les arbres poussant en forêt naturelle. Cela constitue donc une source de revenus supplémentaire pour le producteur. Lorsqu’elle est bien gérée, la bande riveraine forestière présente un intérêt économique et écologique indéniable. Cette étude a été financée conjointement par Agriculture et Agroalimentaire Canada, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, la Direction régionale de la Montérégie-Est et Pierre Paradis, député provincial de Brome-Missisquoi.

Photo : Richard Lauzier

L’agroforesterie permet de réintroduire des espèces qui avaient pratiquement disparu de nos forêts, comme le chêne à gros fruits, dont la population était jadis considérable, et le chêne blanc, qui poussait dans la vallée des rivières Richelieu et des Outaouais et qui, de 1830 à 1870, a servi à la construction de la flotte de l’empire britannique. Leur implantation à proximité des rives permettra leur propagation sur le territoire, puisque les cours d’eau sont un vecteur de premier ordre dans la dissémination de ces arbres de grande valeur. Elle assurera aussi la pérennité du monde missisquoien.

L’agroforesterie appliquée date de longtemps. La plantation d’arbres le long des chemins, comme les alignements d’érables à sucre presque bicentenaires sur le chemin Eccles Hill, près du chemin des Ormes à Frelighsburg, en constitue un bon exemple. Il existe de nombreux autres exemples dans la région, il s’agit d’ouvrir l’œil lorsque vous circulez dans ce coin du sud du Québec, où la production foliaire et de matière ligneuse est très performante pour le Québec.

Depuis 2008, le réseau de la Coopérative de solidarité du bassin versant de la rivière aux Brochets est financé par les Caisses Desjardins de Bedford et, depuis 2010, par celles de Farnham et Sieur d’Iberville. Depuis 2011, le Jour de la Terre et Projets Saint-Laurent sont aussi partenaires financiers au projet de plantation et de suivi sylvicole. Dès la création des projets de plantation de haies brise-vent et autres aménagements riverains en 2002, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de  l’Alimentation du Québec (MAPAQ) s’est montré un partenaire actif, notamment par l’intermédiaire de son programme Prime-Vert. Il en va de même pour l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA). En outre, les quatre-vingts entreprises agricoles membres de la CSBVRAB du comté de Missisquoi participent activement aux multiples travaux sur le terrain. L’auteur les en remercie chaleureusement. L’avenir du territoire rural de la Montérégie passe inévitablement par l’agroforesterie.

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