Claire et son Fils Christian Marcotte sur la ferme de ce dernier à Pigeon Hill (crédit : archives de La Ferme du vieux bouc)
Elle était petite, toute menue, souvent habillée de couleurs vives, peut-être l’avez-vous croisée traînant son chariot à roulettes à travers les rues de Bedford. Elle a habité pendant quelques années à la résidence Lambert (maintenant Résidence Bedford) puis a terminé ses jours au CHSLD de Bedford, où tout le monde l’aimait car elle était toujours de bonne humeur, dotée d’une vitalité peu commune.
Elle savait tout faire, absolument tout. Elle savait coudre, peindre, cuisiner, jouer du piano, soigner ; elle maniait le marteau et la scie aussi bien que ses cinq frères, ayant partagé avec eux ses vacances d’été chez le grand-père Boyer dans la région de Joliette. Elle a participé activement à la construction de deux maisons d’été à Saint-Agricole dans le nord de Montréal et a rénové dans les règles de l’art, et de ses propres mains, une demeure datant du début du 18e siècle à Saint-Anne de Beaupré. Elle a mis au monde quatre enfants, deux garçons, deux filles.
C’était aussi une grande dame du cinéma québécois. Elle a travaillé à l’Office national du film pendant près de trente ans. Tout d’abord préposée au budget, elle a rapidement changé de fonction, cumulant au fil des ans les postes de régisseure, d’assistante à la réalisation, de réalisatrice et surtout de monteuse.
Au cours des années 1960, à l’époque où le Québec commençait à se faire connaître au monde par ses documentaires en cinéma direct, elle s’est retrouvée membre de l’équipe du film de Pierre Perreault, Le règne du Jour. Tourné quatre ans après Pour la suite du monde, qui mettait en scène Alexis et Marie Tremblay ainsi que leur fils Léopold et sa femme, il les montre cette fois traversant l’Atlantique pour aller à la découverte de leurs racines françaises. Come Marie et Alexis étaient peu sortis de leur domaine familial de l’Isle-aux-Coudres, Claire avait, entre autres responsabilités, celle de les rassurer, de les chouchouter et de faciliter leur adaptation aux dépaysements géographique, culinaire et culturel. Elle s’est tellement bien acquittée de sa tâche que, au retour, Marie a déclaré : « Claire, c’est comme ma fille » ! Une reconnaissance qui a d’autant plu à cette dernière que c’est elle qui avait fait découvrir à Pierre Perreault, derrière le personnage haut en couleurs d’Alexis, sa femme Marie, petite, discrète, mais à la personnalité très attachante. Le réalisateur, qui était aussi poète, composera un jour La chanson de Marie*, inspiré par cette Marie dont Claire lui avait signalé l’importance. Les bonnes relations entre les Tremblay et Claire ont duré des années. Alexis lui a offert un pendentif avec un petit cœur en or, ce qui l’a beaucoup touchée. L’Isle-aux-Coudres est devenue une destination où, aimée de tous, elle participait aux événements culturels d’envergure, tel le 50e anniversaire de Pour la suite du monde ou encore, passait des vacances avec ses enfants. Francine, la petite-fille des Tremblay, tiendra un jour la maison de Claire et sera en charge de ses trois premiers enfants une semaine durant.
Claire collaborera à plusieurs films de Pierre Perreault. Elle fera notamment le montage de C’était un Québécois en Bretagne, Madame !, Gens D’Abitibi et La grande allure, de même que celui de Les Filles du Roy, le très beau film de la réalisatrice Anne-Claire Poirier qui raconte le long parcours des femmes dans notre histoire. Elle sera également la monteuse de Jacques Leduc, de Marilu Mallet, de Pierre Letarte, d’Aimée Danis, etc., bref de toute une génération de cinéastes qui ont marqué le cinéma québécois à l’époque de sa première percée importante sur la scène nationale et internationale.
Dans le domaine du cinéma de fiction, il est reconnu depuis des décennies que le meilleur film « canadien » toutes provinces confondues, depuis 1970 jusqu’à ce jour, est Mon oncle Antoine, réalisé par Claude Jutra, que Claire montera en collaboration étroite avec lui. Elle a d’ailleurs travaillé à plusieurs reprises avec le cinéaste, qui l’estimait beaucoup. C’est lui qui, percevant chez elle des qualités essentielles au métier, lui avait un jour suggéré de se diriger vers le montage. Sa dernière participation à l’œuvre de celui-ci sera le montage de La Dame en couleurs, son ultime film. Au moment de la disparition de ce cinéaste exceptionnel, la revue de cinéma Copie Zéro a publié tout un numéro à sa mémoire, les articles étant signés par ses principaux collaborateurs. Celui de Claire s’intitulait : La mémoire du cœur, un texte émouvant et juste qui, à travers des anecdotes de travail et des souvenirs plus personnels, rendait un hommage touchant à cet ami et grand professionnel du septième art.
Elle savait donc aussi comment bien écrire, et ce, dans tous les sens du terme. Un collègue de l’Office national du film me dira que les rapports de réunion manuscrits signés par Claire étaient reconnaissables entre tous à cause de sa calligraphie parfaite : lettres rondes, bien formées, sur des lignes absolument droites. Dire qu’elle était perfectionniste serait superflu. Cette personne exigeante envers elle-même l’était également envers les autres. Plus tard dans sa carrière, il lui est arrivé de devoir monter des films qui l’intéressaient moins que ceux des glorieuses années du cinéma direct. Elle souffrait beaucoup des travaux imparfaits de réalisateurs et réalisatrices qui avaient mal fait un boulot qu’elle devait « réparer ».
Bien que sa carrière ait été essentiellement consacrée au montage, Claire a également agi comme assistante de réalisation sur Question de vie, un film coproduit par la maison de production de Jean Pierre Lefebvre à Saint-Armand et l’ONF, a collaboré au film de Denis Arcand Québec : Duplessis et après et a réalisé elle-même deux documentaires, soit Léo Gervais, sculpteur et Le Coq de clocher, qui mettaient en vedette des artisans capables de faire de « la belle ouvrage »**.
À l’issue de quelque trois décennies d’un travail fructueux à l’ONF, Claire a pris sa retraite. Comme cadeau de départ, elle a demandé qu’on lui offre des boîtes en plastique jaune prévues pour contenir des bobines de films de 35 millimètres : « parce qu’elles sont de la dimension parfaite pour congeler mes tartes ». Cette phrase éclaire bien la personnalité de celle qui savait parfaitement « faire », autant le montage de films que la cuisine, et dont les habiletés pratiques n’avaient pas de limites.
Claire était la mère de Christian Marcotte, ex-monteur de films devenu le célèbre producteur d’ail de Pigeon Hill, qui a inspiré le livre de Stéphane Lemardelé, Le nouveau monde paysan***. Dans cet ouvrage entièrement consacré à notre région, on retrouve Claire, bien identifiée aux pages 98 et 107.
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* In Chouennes, publication de l’Hexagone, Montréal, 01/04/1975. Épuisé.
** Pour avoir accès à la filmographie de Claire :
*** Le nouveau monde paysan, publication de La Boîte à Bulles, Union européenne, 01/2019
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Je suis heureuse de ce bel article sur Claire Boyer, qui était telle une tricoteuse…un génie au montage. Parfois, elle ne dormait pas las nuit repassant les séquences dans son lit et arrivait le lendemain à la salle de montage avec des solutions qui étaient si justes, si pertinentes, uniques.
Nous avons travaillé ensemble dans plusieurs de mes films.
Une petite dame avec une personnalité forte, vitale, et inoubliable.
Inoubliable et Unique!