Les juvéniles de la Tortue molle à épines souhaitent une baie propre. (Photo : Patrick Galois et CBM)
Les cyanobactéries dans la baie Missisquoi, ça peut inspirer les peintres abstraits ou les chefs cuisiniers : plumets de laitance verts ou turquoises, fleurs d’eau couleur crème de brocoli ou soupe aux pois. Pour le commun des mortels, c’est moins appétissant. Les algues bleu-vert, en plus de couvrir la surface de l’eau d’une pellicule gluante et visqueuse, la rendent impropre à la consommation et à la baignade.
Ceux qui s’y risqueraient pourraient avoir de sérieux problèmes de santé : foie attaqué, système nerveux déglingué, sans compter les irritations de la peau et les réactions allergiques. Les poissons et autres bêtes aquatiques ne réagissent guère mieux.
Notre baie Missisquoi ne va pas très bien. Le coupable, c’est le phosphore rejeté à tire-larigot dans la baie. Pas de phosphore, c’est au tour des cyanobactéries de se languir. Hélas, nous nourrissons les sales microbes jusqu’à les gaver. Voyez : un accord entre le Québec et le Vermont signé en août 2002 visait une charge totale acceptable de phosphore de 97 tonnes annuellement. Les mesures prises dans les années suivant immédiatement l’accord montrent une charge totale de 188 tonnes par an en moyenne, le double du but visé. Dire qu’en 1991 on était déjà à 167 tonnes…
Que fait le gouvernement ?
Les accords entre personnes politiques et entre États ne valent que par leur suivi dans l’action concrète, c’est bien connu. Le Québec a commencé par ajouter 10 stations d’échantillonnage du phosphore et de mesure des débits d’eau. Mesurer le débit d’eau est important parce que, à concentration de phosphore égale, plus il passe de flotte à la minute, plus il passe aussi de phosphore. CQFD.
On a aussi jeté un sérieux coup d’œil sur les eaux usées des municipalités. Bonne nouvelle : pour les 29 municipalités concernées du bassin versant de la baie, la charge totale de phosphore est en moyenne sous la limite permise. Selon le ministère de l’Environnement, la modernisation des stations de traitement des eaux usées est cause de ce bon résultat.
Après ces faux coupables, reste l’activité agricole, réputée responsable à 79 % de la pollution de la baie Missisquoi par le phosphore et l’azote. Le gouvernement du Québec a fait des visites ferme par ferme, pour un total de presque 800 exploitations visitées. Les habituels constats d’infraction furent distribués là où cela s’imposait, 15 avis pour l’année 2005-2006. Quatre de ces producteurs ayant corrigé la situation, on se préparait à faire un suivi des onze autres.
On constatait des déboisements abusifs dans 10 cas. Qui dit déboisement près des berges dit érosion et ruissellement accru. Et on constatait quelques cas d’épandage de lisier ou de fumier passé le premier octobre. Épandage à l’automne, fonte des neiges au printemps et hop, le lisier ruisselle dans le ruisseau ou la rivière voisine. Miam miam, font les cyanomachins.
Que fait le citoyen ?
Passons sur le suivi que doit faire le gouvernement. Passons sur une certaine réforme des pratiques agricoles que l’UPA ne fera jamais. Dans notre propre cour de citoyen, il y a pas mal de choses que nous pouvons faire. « Les exploitants agricoles peuvent commencer par deux modifications de leurs pratiques », suggère (fortement) Nathalie Fortin, directrice de Conservation Baie Missisquoi (CBM).
« D’abord, ne jamais procéder à un épandage avant une période de pluies torrentielles comme celles que nous avons trop régulièrement ces dernières années. » Certains le font parce que la pluie réduit l’impact olfactif des lisiers et autres fumiers. « C’est catastrophique. Alors que la pluie forte diminuerait la concentration des phosphores, en épandant précisément juste avant, on rattrape et on dépasse encore les concentrations habituelles. » Re CQFD.
« Deuxièmement, les exploitants agricoles devraient mesurer les taux de phosphore déjà présents sur leur terre avant d’épandre encore. L’épandage est souvent fait à l’excès et sa réduction à la source est notre meilleure chance contre les algues bleu-vert. »
Conservation Baie Missisquoi a quelques initiatives réussies à son actif. Cette année, par exemple, l’organisme a distribué 1 500 pieds de vignes (1 000 à Venise, 400 à Clarenceville et une centaine à Pike River) aux trois municipalités concernées. Ces vignes solidifient les berges et les citoyens riverains s’en sont servis. On veut répéter la chose en 2011, si les municipalités collaborent encore. Avis aux élus.
On a aussi publié une petite brochure visant les pratiques des amants du beau gazon bien vert, bien dru. L’usage des fertilisants sans phosphore y est recommandé. On songe à une brochure du même type (conseils pratiques) pour le milieu agricole.
Pour finir, une bonne nouvelle. La tortue molle à épines fait dire qu’elle ne va pas trop mal merci. Elle fait dire qu’elle pond d’abondance et que le zoo de Granby a constaté un taux d’éclosion de 100 %. Elle fait dire que les œufs et les bébés tortues sont l’objet d’une prédation sans merci. Elle fait aussi dire que le phosphore et les cyanobactéries, beurk !
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