Nous la croyons inépuisable, conservée dans d’immenses réserves souterraines dans lesquelles nous croyons pouvoir puiser à volonté. Comme ces ressources échappent à notre regard, nous les inventons renouvelables à l’infini. Pourtant, l’eau douce, qu’il est convenu de qualifier d’or bleu, est tout de même une ressource relativement limitée, qui pourrait, dans un horizon pas si lointain, ne plus répondre à tous nos besoins, compte tenu des énormes quantités nécessaires à nos activités.
Le fait est que, plus la population d’un territoire donné est dense, plus la pression qui s’exerce sur la nappe phréatique y est importante. La croissance démographique entraîne également une augmentation des activités agricoles et industrielles de toutes sortes, lesquelles sont à peu près toutes gourmandes en or bleu. Par ailleurs, l’imperméabilisation des sols par le béton et l’asphalte en milieu urbanisé fait obstacle à la recharge normale des réserves souterraines, l’eau de pluie pénétrant moins bien dans le sol, ce qui n’arrange évidemment pas les choses.
Impact de la densification démographique sur la nappe phréatique
L’exemple de Sutton
Le massif du mont Sutton est, dans la région, une zone de recharge des nappes phréatiques. Les importantes précipitations qu’on y enregistre infiltrent le sol et alimentent en eau douce les vallées situées à ses pieds. C’est ainsi que les réserves d’eau potable se reforment.
Il se trouve cependant que, ces dernières années, le secteur de la montagne a connu un développement fulgurant. On y a implanté nombre de complexes résidentiels, ce qui a accru la densité démographique et a contribué à imperméabiliser d’importantes surfaces de sol, recette infaillible pour vider les nappes phréatiques de leur eau.
Pendant des années, la ville a multiplié l’octroi de permis de construction aux promoteurs qui flairaient de bonnes affaires dans ce coin de villégiature. Au cours des six dernières années, la population a augmenté de 13 %, passant de 4000 à 4500 personnes.
Puis l’or bleu est venu à manquer. « Du jamais vu », souligne le maire Robert Benoit, élu en novembre 2021, au terme d’une saison estivale marquée par la sécheresse. « Avec le manque de pluie que nous avons connu, des voisins qui ont toujours vécu avec des puits de surface se sont aperçus qu’ils étaient à sec. Il n’y avait plus d’eau : ce n’était jamais arrivé depuis 1850 », explique-t-il. Il se souvient que ses voisins ont dû creuser jusqu’à 400 pieds avant de trouver de l’eau et qu’il n’y en avait pas suffisamment. « Il fallait faire de la fracturation hydraulique ! Ça nous a amenés à réfléchir à la nappe phréatique, et nous avons compris qu’elle bougeait en raison du surdéveloppement. »
On comprendra aisément que l’occupation à pleine capacité des nombreuses résidences durant les belles fins de semaine de l’hiver ainsi que le prélèvement par le centre de ski des tonnes d’eau destinées à enneiger les pentes créent une pression indue sur les réserves, si bien que les nappes phréatiques de la région pourraient, à brève échéance, accuser un déficit important.
C’est pourquoi le conseil municipal de Sutton a dû mettre un frein au développement résidentiel dans ce secteur. Il fallait à tout prix protéger l’approvisionnement en eau de la ville et des environs. Une sage décision qui mérite d’être saluée et citée en exemple. D’autant plus qu’un nombre croissant de municipalités de Brome-Missisquoi sont confrontées à des problèmes similaires. Le phénomène est d’ailleurs mondial : il semble que, partout sur la planète, la tendance générale soit à l’abaissement des nappes en raison de la croissance démographique et d’une mauvaise gestion de la ressource hydrique.
« Au Québec, fait remarquer le maire Benoit, nous imaginions que nous n’aurions jamais de problèmes avec l’or bleu, mais c’est généralisé. Il faut regarder les choses en face, nous n’avons pas le choix. Se mettre des œillères et la tête dans le sable, c’est malheureusement ce que la ville de Sutton a fait depuis les vingt dernières années. »
Force est de reconnaître que quand nos puits sont à sec, nous sommes dans une impasse et qu’une bonne gestion de la ressource s’impose. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet au cours des prochains mois. Nous préparons une série d’articles dans lesquels interviendront divers spécialistes du ressourcement des réserves hydriques et de la protection de la ressource.
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