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- Gens d'ici -

Trois questions sur la crise. une entrevue avec Gérald Fillion.

Jean-Pierre Fourez

La situation économique mondiale ressemble ces temps-ci à un mauvais rêve. Comment en est-on arrivé là ? Où s’en va-t-on ? Pour tenter d’avoir une réponse à ces questions qui, comme tout le monde, me préoccupent, j’ai pensé m’adresser à Gérald Fillion, journaliste économique à RDI et nouveau venu à Saint-Armand. M. Fillion est originaire d’un coin des Cantons-de l’Est, un village du nom de Lambton. Il se réjouit d’avoir choisi notre région et, bien qu’il se considère encore en période de découverte et d’apprivoisement de notre communauté, il a accepté gentiment de répondre à quelques questions.

J.-P.F. : Après un siècle de capitalisme triomphant et quelques années de néo-libéralisme, le monde de la finance craque de partout et provoque une crise économique planétaire dont certains profitent honteusement et d’autres paient les pots cassés. Y avait-il des signes avant-coureurs ? Pourquoi restons-nous sourds et aveugles aux signaux qui se multiplient ?

G.F. : D’abord, le constat qu’on fait aujourd’hui n’est pas celui de condamner le modèle capitaliste dans lequel on vit. Mais, il faut reconnaître qu’on a cru, à la fin des années 1990, que le modèle du tout au marché était la panacée et que la croissance allait durer éternellement. La déréglementation des marchés amorcée sous Reagan dans les années 1980, encouragée par Alan Greenspan à la Réserve fédérale dès 1987, a conduit à la création de produits financiers exotiques sous la gouverne de Bill Clinton et à une dérèglementation encore plus marquée. Ce mouvement s’est poursuivi sous George W. Bush jusqu’à l’éclatement de la bulle immobilière, alimentée par de faibles taux d’intérêt et le dérapage complet du marché des « subprimes », produits financiers garantis par des hypothèques risquées. Ces hypothèques ont été  accordées à des gens qui n’auraient pas dû avoir accès à du crédit hypothécaire, de surcroît à taux élevés. Ce fiasco a mené, comme on le sait, à une terrible crise financière, à ce qu’on a appelé la « Grande Récession » et on cherche encore aujourd’hui à émerger des répercussions de cette crise, qui se font toujours sentir.

J.-P.F. : L’idée d’une Europe unie et la création de la zone euro ont été une avancée brillante dans la manière d’envisager les rapports économiques entre les pays. Vingt-cinq nations indépendantes qui harmonisent leurs marchés et leur monnaie deviennent une entité qui les oblige à se respecter mutuellement et à éviter ainsi de se faire la guerre. On pointe du doigt la Grèce comme coupable de tous les maux. Est-elle aussi responsable qu’on le dit ? Qu’est-ce qui a bien pu faire déraper ce système ?

G.F. : Ce que les architectes de l’Europe réalisent aujourd’hui, c’est que l’intégration des pays membres de la zone euro est loin d’être complétée ; elle ne fait que commencer. À la première vraie crise, les plus pessimistes annoncent la fin prochaine de l’euro, son éclatement, sa dislocation avec l’éjection des pays en difficulté, à commencer par la Grèce. Le président français Nicolas Sarkozy expliquait récemment en entrevue que la Grèce est entrée dans la zone euro avec des chiffres qui étaient falsifiés. Et que, dans les faits, elle n’aurait jamais dû faire partie de la zone euro. Blâmer la Grèce pour la gestion de ses finances publiques ou pour la corruption qui empoisonne son économie, c’est une chose. Mais les problèmes européens sont plus larges que cela. Plusieurs pays ont un niveau d’endettement élevé, un taux de chômage qui grimpe et une croissance à zéro. Les grands investisseurs, les grandes banques et les agences de notation font pression pour que ces pays réduisent leur endettement. Et puisque la croissance n’est pas au rendez-vous, la seule solution qui s’offre aux gouvernements en place, c’est de réduire les dépenses ou de taxer davantage leurs citoyens. Mais, dans un cas comme dans l’autre, on réduit le pouvoir d’achat des citoyens, on mine la confiance, on amplifie les troubles socioéconomiques et on prolonge les récessions. Sur les marchés, les coûts d’emprunt augmentent, ce qui alimente encore davantage les dettes souveraines, les dettes des pays. Que faut-il faire alors ? Plusieurs analystes affirment qu’il faut permettre à une entité globale européenne d’intervenir, d’acheter ou de créer des obligations sur les marchés pour éviter un emballement des taux d’intérêt. Mais, une telle avenue nécessite que les États cèdent une partie de leur souveraineté budgétaire et financière… et l’Allemagne surtout, pour plusieurs raisons, n’est pas d’accord.

J.-P.F. : On assiste à une grave crise morale. On en est tout autant victimes que participants. Le vol, la fraude et la magouille sont devenues la norme, et on s’étonne que certains puissants détournent du fisc des millions de dollars. Le profit semble devenu le seul moteur. Quel intérêt ont les nantis et les multinationales d’écraser les pauvres et les payeurs de taxes qui les ont aidés à s’en sortir ?

G.F. : Il faut trouver une façon d’éviter, à l’avenir, de privatiser les profits et de socialiser les pertes. La solution envisagée, c’est de créer des fonds alimentés par les banques, les investisseurs et les États, qui serviront en cas d’urgence ou de besoin financier. Le fonds européen de stabilité financière, par exemple, est et sera construit par les États de la zone euro pour soutenir les pays en difficulté. Autre option envisagée : taxer les transactions financières sur les marchés à actions et les marchés de produits dérivés, à 0,1 % ou à 0,01 %. Une telle taxe réduirait la spéculation et pourrait alimenter un fonds, un budget européen, les coffres des États, la formule est à trouver. Encore là, il y a un blocage politique. L’Allemagne souhaite une décision coordonnée de l’Union européenne ou de la zone euro. La France est prête à agir seule, ce qui pourrait pousser les investisseurs à négocier ailleurs qu’à Paris pour éviter cette taxe. Ce ne serait finalement pas très efficace. La Grande-Bretagne, les États-Unis et le Canada s’opposent à cette taxe sur les transactions financières. Dans la mesure où l’on n’est pas prêt à remettre tout le système financier international en cause (on commence où ?), des solutions comme le fonds de stabilité et la taxe sur les transactions financières apparaissent comme des avenues accessibles et qui ont le potentiel de régler une pa rtie du problème. Mais, bon, c’est complexe…

J.-P.F. : En résumé, y a-t-il de l’espoir ?

G.F. : Sûrement ! Ensemble, c’est possible. La mondialisation a mondialisé les problèmes. Les solutions doivent donc venir d’une entente globale, des pays occidentaux et des pays émergents, notamment. Et chacun doit mettre un peu d’eau dans son vin (ou son cidre de glace !). Mais, force est de constater que ça va prendre du temps. Loin des pressions des marchés, loin des pressions partisanes de la politique, nos leaders sont-ils prêts à prendre des décisions courageuses ? Je vais continuer de suivre ça de près dans le cadre de mon travail. Ça paraît inquiétant, certes, mais c’est aussi très intéressant de voir comment nos leaders agiront dans un tel contexte de perturbation.

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