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- Édito -

Les soins à domicile, de que c’est ?

Pierre Lefrançois

Il faut cesser de se le cacher et de s’en défendre : au Canada, le Québec détient le triste record du plus grand nombre de cas déclarés de COVID-19 et de décès causés par cette maladie. Comme partout ailleurs, le virus tue beaucoup plus parmi les aînés que dans l’ensemble de la population mais, chez-nous, toutes proportions gardées, les personnes de 70 ans et plus sont plus nombreuses à être atteintes et un plus grand nombre d’entre elles en meurent. Plutôt que de le nier, nous aurions tout intérêt à nous demander pourquoi nous en sommes arrivés là.

Il faut probablement remonter à avant la pandémie pour expliquer cette situation. Il y a une différence frappante entre le Québec et les autres provinces en ce qui a trait à la manière dont on aborde le vieillissement de la population de même que les soins de santé à donner aux personnes vieillissantes : à peine 11 % des Québécois meurent à leur domicile alors que, dans le reste du pays, cette proportion est de 30 %. La vérité, c’est que nous avons négligé de mettre en place les services de maintien à domicile des aînés pour investir plutôt dans le bâtiment, en construisant des résidences pour personnes « autonomes » (RPA) et des CHSLD pour celles qui sont « en perte d’autonomie ». Et c’est là que se joue le drame. Selon la docteure Louise La Fontaine, présidente de l’Association québécoise des soins palliatifs (AQSP), le Québec est au dernier rang des pays occidentaux en matière de services à domicile, alors que les sondages démontrent que 70 % des Québécois souhaitent mourir chez eux.

Pourtant, on le savait !

Déjà en 2001, la Commission Clair (Commission d’étude québécoise sur les services de santé et les services sociaux) recommandait de mettre rapidement en place des services complets et efficaces de maintien à domicile en prévision du vieillissement annoncé de la population. À l’époque, les résultats des études menées partout dans le monde indiquaient que, à la longue, les systèmes de santé ne tiendraient pas le coup et qu’il fallait miser sur le maintien des aînés à domicile. En outre, tous les sondages indiquaient que les gens souhaitaient vieillir chez eux.

En 2013, le ministre de la Santé et des Services sociaux, et responsable des Aînés, le docteur Réjean Hébert, était déterminé à mettre en œuvre les recommandations de la Commission Clair en donnant « une véritable priorité à l’amélioration des soins à domicile et en offrant une liberté fondamentale aux personnes en perte et en quête d’autonomie ». Pas de chance : son gouvernement perd le pouvoir et les libéraux de Philippe Couillard, avec Gaétan Barette à la tête du ministère de la Santé, s’empressent de revenir aux bonnes vieilles habitudes : investir massivement dans les bâtiments, les méga-hôpitaux et les salaires des médecins qui refusent de se rendre au domicile des patients.

Pourtant, depuis au moins 2012, la stratégie officielle du gouvernement du Québec, sur papier et tous partis confondus, est guidée par l’idée maîtresse Vieillir et vivre ensemble chez soi, un plan d’action qui a été reconduit pour cinq ans et bonifié en 2018 et qui, essentiellement, préconise la mise en place de services et soins à domicile pour les aînés.

Comment expliquer alors que l’essentiel des budgets soit allé aux bâtisses (CHSLD et RPA) plutôt qu’aux services à domicile et aux personnes qui les dispensent ? Qu’est-ce qui a bien pu déterminer ce choix ?

La résistance au changement

Récemment, une coalition de médecins spécialisés en soins intensifs et soins palliatifs à domicile accusait la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) de refuser de donner son aval au déploiement des soins à domicile. « Les patients dont le souhait est de demeurer à domicile sont pris actuellement en otage », affirme la docteure Louise La Fontaine, éthicienne, directrice du service universitaire de soins palliatifs et de fin de vie de l’Université de Sherbrooke et présidente de l’AQSP.

Si on en croit les membres de cette coalition, entre les blocages administratifs ministériels et ceux provenant de leur propre association professionnelle, le dossier stagne depuis des années. Tout permet de croire que cette résistance technocratique et corporatiste est la véritable cause de l’ampleur de la catastrophe dont nous sommes actuellement témoins au Québec.

Un recours collectif contre l’État

En septembre 2019, le juge Donald Bisson donnait le feu vert à un recours collectif de l’ordre de 500 millions de dollars contre le gouvernement du Québec et 22 CISSS et CIUSSS qui exploitent des CHSLD un peu partout au Québec. Le cabinet Larochelle Avocats, qui pilote l’action collective, estime que celle-ci est motivée par l’échec des CHSLD à offrir à leurs résidants des milieux de vie sécuritaires. Cette démarche a été autorisée l’automne dernier, bien avant la pandémie. Les avocats viennent d’ailleurs de déposer une requête demandant des dédommagements additionnels pour les préjudices subis pendant la pandémie, ce qui pourrait augmenter considérablement la facture.

En conclusion, il est grand temps d’ouvrir les yeux et d’exiger la fin des caprices corporatistes et technocratiques du système de santé québécois. Assez, c’est assez ! Je suis convaincu que la grande majorité des médecins en conviennent déjà et qu’ils sont prêts à aller dans ce sens.

Cessons d’investir dans les bâtiments et dans le personnel qui travaille exclusivement en institution. Investissons pour de vrai dans le maintien à domicile.

 

 

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