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- Gens d'ici -

Jean-Pierre Contant , un monstre créatif (1952-2011)

Marc Thivierge

Photos : Marie-Josée Roy

Jean-Pierre Contant était un monstre créatif. Un être fondamentalement authentique. Une âme pure, qui voyait le côté inusité des choses. Il a vécu une grande partie de sa vie en se disant : « En ce moment, on est rendu là, après, on verra. » Pour lui, l’exploration était primordiale. Avec son grand ami, le peintre Laurent Viens, il a maintes fois refait le monde, tout en lançant des idées pour pousser plus loin l’audace de la création.

Jean-Pierre a grandi dans une famille nombreuse, heureux jusqu’au jour où une étrangère lui a dit que son visage était laid, monstrueux et qu’il devait le cacher. Coup de poignard à l’âme d’un jeune garçon impressionnable et, du coup, point tournant décisif dans sa vie. Ces mots déchirants ont varlopé, effrité son cœur. C’est une peine qui l’aura suivi tout au long de son séjour chez les humains. Au fond de lui, il restera imprégné de la tristesse née d’une parole malheureuse. « Cet enfant est monstrueux ». L’exutoire, il l’a trouvé dans son art et dans la recherche de l’impossible « soi parfait », par les objets qu’il a créés, tentant d’accomplir la mission qu’il s’était imposée et dont l’obsession était consciemment illusoire. Cela l’aura mené à concevoir des œuvres saisissantes. Tellement  remarquables que plusieurs figurent dans des collections privées, alors que d’autres font partie de celles de la Couronne et sont exposées dans les résidences officielles du gouverneur général du Canada, tant à Rideau Hall qu’à la Citadelle de Québec.

Photos : Marie-Josée Roy

En 1993, son attirance pour le verre le mène chez l’expert verrier Aristide Pigeon, de Mont-Saint-Grégoire. C’est là qu’il apprend les rudiments d’un art qui lui permettra d’évoluer en tant que vitrailliste exceptionnel. Au cours de son cheminement, il aura l’idée d’utiliser des objets de récupération que des amis lui apporteront, les mariant par exemple entre des couches de verre pour les y fusionner. Les textures, les couleurs, les formes géométriques ont joué un rôle fondamental dans son travail. Chaque œuvre est une parcelle de sa trajectoire personnelle, qu’il aura choisi de raconter, sans doute de peur de ne pas pouvoir effacer le gargantuesque chagrin qu’il portait. Il restera à chacun de nous de s’imaginer son avancée, d’en faire une histoire à soi, tout en spéculant sur ce que l’artiste a bien voulu nous laisser voir. C’est le jeu d’un gamin qui laisse tomber des petits bouts de lui-même, de ce qu’il vit, de ce qu’il voit, pour que nous les déchiffrions ou les interprétions à notre manière.

Comme c’est souvent le cas chez les êtres humains, Jean-Pierre Contant était un individu paradoxal, à la fois sensible et cassant, doux et dur, tendre et tranchant, ni tout blanc ni tout noir. Pour trouver l’amour, juste un peu d’amour auprès d’une femme, il était prêt à mille bassesses. Les femmes avaient ainsi souvent le meilleur de cet homme, qui voulait qu’elles lui disent qu’elles l’aimaient. C ’ é t a i t pour lui un but à atteindre. L’homme n’était toutefois pas qu’un artiste, mais aussi un édificateur. À preuve, une belle famille de trois enfants poursuit son arbre généalogique. Cette progéniture, Jean-Pierre l’a aimée plus que tout, et ses amis peuvent en témoigner. Son travail de bâtisseur a pris racine autour du domaine ceinturé d’un verger qu’il habitait, que les enfants ont repris depuis qu’il est décédé. La vue y est spectaculaire et les pommes sont agréablement croquantes.

Un jour, Jean-Pierre m’a dit que le renouvellement de son approche c ré at ive était une r a i s o n d’être et qu’il ne v o y a i t p a s autrement son  parcours. Répéter deux fois, dix fois le même tableau de verre relevait de la technique manufacturière et il ne pouvait s’imaginer refaire la même œuvre encore et encore. D’ailleurs, il critiquait sévèrement les artistes qui ne se renouvellent pas, ceux qui se cantonnent dans la sécurité de l’exécution machinale de ce qu’ils appellent leurs œuvres. Jean- Pierre avait horreur de faire du sur place. Il devait toujours aller plus loin. Il devait explorer encore une nouvelle avenue, juste pour voir. Nous avons perdu un monstre créatif, une bête du monde artistique, un talent sans borne et un homme qui aimait la vie. Il nous reste son souvenir. Et il nous reste, pour toujours, son travail exemplaire, tiré de vieilles portes et de boulons rouillés. Merci, Jean-Pierre, d’être passé dans nos vies.

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