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- Agriculture -

Accords commerciaux internationaux

Nos producteurs laitiers s’inquiètent
Guy Paquin

Quand le nouvel accord commercial nord-américain sera entériné par le Parlement du Canada et le Congrès des États-Unis, 3,6 % du marché canadien du lait passera aux mains des Américains. Ça peut sembler relativement peu, mais n’oublions pas que d’autres accords commerciaux internationaux grugent déjà le marché canadien du lait et en cèdent une partie aux concurrents étrangers. Si on les totalise, les pertes de marché dues à l’Accord–États-Unis–Mexique-Canada (AEUMC), qui remplace l’ALENA, à l’Accord de partenariat transpacifique et à celui signé avec l’Union européenne se situent entre 8,5 et 11 %.

« Pour parler d’une façon bien concrète, résume Stéphane Pelletier, c’est un mois de production laitière qui disparaît. » Propriétaire de la Ferme Luke à Saint-Armand, cet éleveur possède une soixantaine de vaches en production.

« Oh, bien sûr, poursuit-il, il s’en trouve pour dire que ça n’est pas grave parce que, depuis quelques années, la demande canadienne pour le lait et les produits laitiers augmente et que, pour cette raison-là, on ne perd rien. C’est vrai qu’il y a croissance de la demande intérieure pour certains produits laitiers, mais avec les accords internationaux, du moins pour la région Québec-Ontario-Maritimes, il n’y aura aucun gain pour le producteur. »

L’association Les Producteurs de lait du Québec a aussi constaté une belle croissance de la demande ces dernières années. Comparativement à l’année précédente, de mars 2017 à mars 2018, les ventes canadiennes au détail ont connu une hausse de 4,5 % pour le beurre, de 4,4 % pour la crème, de 3,3 % pour le fromage et de 0,6 % pour le yogourt. Cependant, avec l’accord européen, les producteurs estiment que les fermes laitières canadiennes perdront à terme 100 millions de dollars par an, à perpétuité, surtout à cause de l’arrivée massive de fromages européens.

 Un accord qui tombe mal

Caroline Pelletier exploite avec son conjoint Paulin Bard la ferme et la fromagerie Missiska, la première située à Saint-Armand, la seconde, à Bedford. La ferme compte 35 vaches en production. Missiska produit des fromages, du lait non homogénéisé et du yogourt. Et pour Caroline, l’entreprise n’avait vraiment pas besoin du nouvel accord commercial nord-américain à ce moment-ci de son existence.

« Comme tout entrepreneur qui veut réussir, le producteur laitier doit investir, explique-t-elle. Mais le Programme fédéral d’investissement pour fermes laitières (PFIFL) est très dur d’accès récemment. J’ai dû travailler fort pour obtenir quelques milliers de dollars d’aide en 2018. Alors, voir à l’autre bout un marché qui diminue au moment où on vient d’investir, c’est loin d’être encourageant ! »

Un an après son lancement, le PFIFL n’a financé que 784 demandes, soit le tiers des 2500 reçues et ce, pour l’ensemble du Canada.

« Et puis, poursuit Caroline, pensez au producteur laitier en fin de carrière. Il veut vendre sa ferme, les bâtiments, les vaches, les quotas et tout le roulement. Pour l’acheteur éventuel, sans les accords commerciaux internationaux, avec la croissance du marché intérieur, ça valait de l’or. Mais avec un marché qui va se réduire au profit de l’Europe et des États-Unis, c’est un pensez-y bien. La ferme laitière va devenir dure à vendre à un juste prix. »

Seul rayon de soleil, la belle croissance de la demande pour le lait canadien. Caroline a elle aussi constaté ce regain de ferveur des Canadiens pour la petite vache bleue.

 Lait diafiltré et classe 7

Ça s’appelle « lait diafiltré » ou encore « produit de classe 7 ». Au-delà de ces appellations mystérieuses, il s’agit d’un produit simple qui a été durement frappé par l’accord nord-américain.

Voici en quoi cela consiste : selon le système canadien de mise en marché, votre ferme ne doit pas vendre plus d’un certain nombre de litres de lait par année. C’est votre quota annuel. Supposons que, en octobre, vous atteignez ce quota. Vous pouvez tenter d’expliquer à vos vaches que ça suffit et qu’il faut arrêter de faire du lait. Mais elles vous regarderont avec leurs beaux yeux de bovin et continueront d’en produire. Auparavant, on jetait l’excédent. Aujourd’hui on dispose d’un procédé ingénieux, qui consiste à retirer l’eau du lait pour obtenir une précieuse poudre contenant 85 % de protéines laitières ou une forme liquide de la même chose, le lait diafiltré, très utile aux fromagers et aux fabricants de yogourt.

« On n’est pas les seuls à en produire, explique Stéphane Pelletier. Les Américains en font des milliers de tonnes. Mais on avait trouvé une manœuvre pour bloquer l’entrée de la classe 7 américaine au Canada : les producteurs de lait canadiens ont signé un accord avec les fromagers et les fabricants de yogourt du Canada. Ils se sont engagés à vendre leur lait diafiltré au plus bas prix mondial. Pas battable comme prix ! »

Mais voilà, l’AEUMC interdit aux producteurs canadiens de vendre leur lait diafiltré moins cher que le produit américain. Ainsi, l’entente canadienne devient illégale.

« Ça s’appelle s’ingérer dans la souveraineté nationale canadienne, proteste le producteur de lait. Et, selon le nouvel accord, les USA auraient un droit de regard sur toute décision canadienne en matière de gestion de l’offre, y compris sur les produits laitiers. C’est à se demander si le Canada a perdu le contrôle de son marché laitier ! »

Quelques chiffres *

  • Part canadienne du marché touchée par les accords internationaux : 8,4 %
  • Pertes potentielles en vente de lait : 450 millions de dollars par an
  • Perte moyenne par ferme : 41 000 $
  • Perte en produits de classe 7 : de 50 à 350 millions de dollars par an

*source : Les Producteurs de lait du Québec

Note de la rédaction

 Ça va être lait !

 Au printemps 2016, Charles Benoit, un autre des quelque 18 producteurs laitiers de Saint-Armand, dressait dans nos pages un tableau inquiétant du cauchemar qui se prépare en matière de production laitière. En voici un extrait éloquent :

Nos fermes sont petites. Moins de 50 vaches en lactation en moyenne, soit moins que la moyenne québécoise, qui est de 60, et encore moins que la moyenne canadienne, qui est de 80.

Puis, juste de l’autre côté de la frontière, il y a le power house du lait : le comté de Franklin au Vermont, qui recoupe en partie le territoire de la seigneurie historique de Saint-Armand, compte plus de 35 000 vaches. En traversant la frontière à Morses Line on arrive chez Craig Rainville et son père qui traient 80 vaches, puis chez Bouchard qui en a un peu moins, mais qui relève le défi du bio. Dans le petit cul-de-sac, les deux frères Rainville doivent bien en avoir plus de 100. En continuant sur la Gore, on trouve un autre Rainville, un Choinière, un Boucher, un Parent, puis encore un Rainville. Sur moins de trois milles d’un chemin d’arrière-pays, il y a plus de vaches que chez nous. À gauche et à droite, sur les petits rangs, on n’arrive pas à compter : des Rainville (encore !), Parent, Fortin, Laroche, Fournier…

Ces belles fermes de 100 à 200 vaches ont été bâties sur le vieux « gagné », à l’époque où le prix du lait était plus élevé chez eux que chez nous. Mais la donne est aujourd’hui différente. En jasant avec eux, on se rend vite compte de l’hécatombe qui se prépare en raison de la chute du prix du lait. Il faut aller un peu plus loin vers St-Albans, Sheldon, ou Berkshire pour avoir une idée du futur. Ici, Rowell garde 1000 vaches. Là, il paraît que St-Pierre dépasse les 3000 têtes. La dernière fois que j’ai rencontré Magnan, il s’en allait rapidement vers 750 mais, comme ça date, qui sait si, aujourd’hui, il n’en trait pas 2000. La modernité compte en milliers et on parle espagnol dans la salle de traite.

Je Meuh Souviendrai

Je Meuh Souviendrai est une bière Milkshake IPA (Indian Pale Ale) de la Brasserie de Farnham Ale & Lager. Elle renferme du lactose provenant de vaches du Canada « un peu amères », mais déterminées à faire un pied de nez à l’entente de libre-échange survenue l’automne dernier entre le Canada et les États-Unis, et un clin d’œil aux producteurs laitiers d’ici.

 

 

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