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Une visite chez Pierre Fontaine, éleveur de veaux

Gens de la terre
Jean-Pierre Fourez

Pierre Fontaine aux petits soins avec un de ses pensionnaires(Photo : Jean-Pierre Fourez)

Amis lecteurs de cette chronique, je m’étais habitué à vous présenter des sujets « couleur terroir ». Mais me voilà, l’espace d’un numéro, à mettre un pied dans la mondialisation des marchés. Avant de revenir dans le monde plus rassurant et pastoral des fraises et des pommes, je vous invite à faire un petit tour chez Pierre Fontaine, éleveur de veaux de boucherie. C’est sûr que ce type d’activité ne cadre pas tout à fait avec l’image bucolique du « petit-veau-qui-tête-encore-sa-mère », car on parle ici de viande en devenir, mais vous verrez que ce n’est peut-être pas tout à fait comme vous l’aviez imaginé.

Pierre Fontaine est originaire de Saint-Armand. Il est marié à Martine Riel. Le couple a deux enfants : Kariane, 14 ans, et Nathan, 12 ans. Il est propriétaire de sa ferme, dans le chemin Guthrie, troisième génération de Fontaine sur cette terre qui s’est agrandie au fil des ans pour atteindre actuellement 589 acres (238 hectares). La moitié de la superficie est boisée, et Pierre pratique la coupe sélective pour éviter les ravages de la déforestation. L’autre moitié est en culture : céréales et maïs vendus pour la moulée animale et soya, pour la moulée animale et la consommation humaine.

Il y a 8 ans, dans le but de diversifier ses activités et revenus, Pierre s’est lancé dans l’élevage de veaux de grain, en association avec Delimax, un intégrateur de Saint-Hyacinthe. Le rôle de Pierre dans ce partenariat est le sevrage : amener en 70 jours des veaux de moins de deux semaines à être prêts pour le transfert vers une étable de finition où ils resteront 3 mois et demi, jusqu’à l’abattoir, qui appartient à Delimax.

Un travail exigeant

Dans cette entreprise, les mosclés sont concurrence et rentabilité, c’est-à-dire moindre coût contre revenu maximum. Pour y parvenir, c’est un combat quotidien. Imaginez une pouponnière de 350 veaux naissants (95 % de race Holstein, 5 % de veau rouge ou races diverses) dans une étable formée de cubicules de 6 pi sur 3 pi. On est loin du veau gambadant dans le pré ! Aussi ces veaux sont fragiles et nécessitent des soins constants, sinon le prix à payer est une mortalité galopante. Pour amener un veau de 90 livres (poids moyen à deux semaines) à 210 livres (poids moyen à la fin du sevrage), il faut des conditions rigoureuses d’élevage : contrôle de la température de l’étable, du taux d’humidité, hygiène, qualité de l’eau, etc. La nourriture est mesurée scientifiquement : lait reconstitué à partir de lait en poudre chauffé à 40 oC, puis ajout progressif de moulée. Une musique douce permet aussi d’atténuer le stress de l’isolement.

Ce qui rend la tâche difficile, c’est la nécessité d’une présence constante, d’une rigueur absolue dans l’alimentation, la vérification journalière de la santé de chacun et la régularité avec laquelle on fait le « train » (6 h 00, 10 h 00, 15 h 30, 19 h 30, et dernier coup d’œil en fin de soirée).

On pourrait dire que l’éleveur est aussi conditionné que le veau ! La différence, c’est que l’éleveur n’a pas de « tag » épinglé à l’oreille !(Les veaux ont tous un code-barre de contrôle du ministère de l’Agriculture : traçabilité oblige !)

Pierre se dit chanceux d’avoir trouvé des employés sûrs pour déléguer le travail de qualité en son absence car sinon la vie serait un esclavage.

Le marché

Les lois du marché et la concurrence féroce pour la viande de boucherie font que l’industrie est une jungle où c’est le plus performant au meilleur prix qui gagne. Le veau est réputé pour sa viande tendre et faible en gras, aussi le veau de grain est-il en demande constante, mais dans un marché plus restreint. La crise de la vache folle a fait chuter les ventes de 25 % car elle a fermé les portes à l’exportation. En effet, il y a quelques années, 90 % de la production partait aux États-Unis, et ce recul a obligé la création de nouveaux débouchés, promotion locale et exportation vers l’Europe (où l’on accepte la viande de veau désossée de moins de 30 mois). Comme l’intégrateur est exposé à la vulnérabilité du marché, il impose le rendement maximal aux éleveurs associés : une véritable dictature de contrôles et de classements sévères. Comme dit Pierre : « Ça marche, ou tu fermes ! »

Les revenus

La marge de profit est mince. Elle se fait par la réussite (donc par le travail). L’éleveur est rétribué au gain de poids entre l’entrée et la sortie du veau. Ce profit se situe autour de 0,50 $ par jour et par tête. Même si la nourriture est fournie par l’intégrateur, Pierre doit assumer les coûts d’exploitation : entretien, chauffage, électricité ; salaire d’un employé à temps partiel. Il a dû rénover et transformer des bâtiments avant de se lancer dans cette entreprise. « Dans quatre ou cinq ans, dit-il, je vais pouvoir respirer un peu mieux, quand j’aurai remboursé mon hypothèque sur ces nouvelles installations. »

Malgré la fatigue physique et l’inquiétude perpétuelle, Pierre trouve que cette expérience est un défi à relever et que l’aventure se renouvelle tous les trois mois, avec l’arrivée d’une nouvelle « batch » de veaux.

J’ai interrogé Pierre sur les hormones et antibiotiques. Il m’assure que les hormones sont aujourd’hui interdites et qu’il n’y a pas d’antibiotiques dans la nourriture destinée aux petits veaux. Il ne leur en donne qu’en cas de maladie.

Végétariens s’abstenir !

Devant une bonne blanquette de veau ou un délicieux osso-buco, ne jouons pas les hypocrites. À part les végétariens purs et durs, nous sommes tous des carnivores, et il faut bien que la viande vienne de quelque part… entre autres de chez Pierre Fontaine, ce qui est quand même rassurant ! ! !

Toutefois, je ne peux m’empêcher d’exprimer un commentaire personnel soulevé par cette visite. Il me semble que Pierre, comme d’autres, a perdu son indépendance. Il travaille pour un autre, selon les exigences d’un autre, et il exécute plutôt que contrôle son affaire. Son seul contrôle s’exerce sur l’excellence de son travail. La créativité et l’indépendance seraient-elles devenues des denrées rares dans le monde agricole ?

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