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Se raconter jadis, rêver demain

Pike River a cent ans !
MarieHélène GuilleminBatchelor et Pierre Lefrançois

Quel merveilleux slogan pour fêter le centenaire du village de Pike River qui, pour l’occasion, arbore fièrement ses banderoles en jaune et bleu : courbes jaunes symbolisant la culture des champs, courbes bleues évoquant les méandres de la rivière aux Brochets.

Le 3 avril dernier, Monsieur le maire Martin Bellefroid, Madame Julie Fontaine, présidente du comité général du centenaire, ainsi que toute son équipe, nous ont fièrement accueillis à l’hôtel de ville pour l’inauguration des festivités, marquant le centenaire de la municipalité, et qui dureront tout l’été.

Martin Bellefroid, maire de Pike River, Arthur Fauteux, préfet de la MRC Brome-Missisquoi,  Julie Fontaine, présidente du comité du centenaire et conseillère de Pike River, Réal Pelletier, maire de Saint-Armand, Pierre Paradis, député provincial de Brome-Missisquoi. (photo : Marie-Hélène Guillemin-Batchelor)

Cent ans d’histoire … et plus

La municipalité de Saint-Pierre-de-Vérone-à-Pike-Ri-ver est née un 3 avril 1912. Aujourd’hui, en 2012, on peut l’appeler Pike River tout court. Ses habitants sont les Pikeriverains et les Pikeriveraines.

Pourquoi 1912 ?

Depuis longtemps, de par sa situation géographique, le territoire de Pike River se trouvait à la jonction de plusieurs autres territoires d’importance (Saint-Damien, Notre-Dame-des-Anges-de-Stanbridge et Saint-Sébastien), établissements issus des seigneuries datant du régime français. Sous le régime britannique, ces agglomérations sont devenues des cantons et, pendant longtemps, se sont disputés terres et paroisses avant de finalement se transformer en municipalités.

C’est ainsi que, en 1912, les villageois de Pike River finissent par se donner une église, Saint-Pierre-de-Vérone, ce qui permet de fonder une paroisse et de créer une municipalité. Cette année-là, Louis Rocheleau devient le premier maire de la municipalité de Saint-Pierre-de-Vérone-à-Pike-River.

Oui mais, au tout début ?

Au tout début, il y a très, très longtemps, soit environ 12 000 ans, les glaciers ont commencé à fondre, donnant naissance à une vaste étendue d’eau, la mer de Champlain, qui est devenue un lac. Des rivières se sont formées, dont la Richelieu, d’abord appelée « rivière aux Iroquois », et la rivière aux Brochets dont l’embouchure donne sur la baie Missisquoi et qui se trouve à cinq kilomètres du village de Pike River. Les arbres et la flore ont recouvert les terres asséchées, les animaux ont peuplé les forêts et les eaux. Les premiers nomades amérindiens ont découvert l’abondance qu’y offrait la nature. Ils y chassaient l’ours et le castor, y pêchaient le doré et le brochet.

Tout cela, on le sait grâce aux fouilles archéologiques qu’on a effectuées durant cinq ans sur dix-neuf sites disséminés le long de la rivière aux Brochets. La découverte de pointes taillées dans des roches sédimentaires, ou chailles (chert, en anglais), spécifiques à certains emplacements et datant de 3000 à 5000 ans, témoigne de la présence en ces lieux d’Algonquiens (Abénakis) et d’Iroquoiens (Iroquois).

Une intéressante plaquette intitulée En remontant la rivière aux Brochets et écrite par l’archéologue Claude Chapdelaine, donne moult détails sur ces recherches archéologiques. Le petit ouvrage est épuisé, mais on en trouvera un exemplaire au Musée Missisquoi. On peut aussi consulter le site de la municipalité au www.pikeriver.ca

Attention, v’là les Blancs !

Pointes de flèches amérindiennes. Illustration tirée de la plaquette « En remontant la rivière aux brochets »

Les terres amérindiennes du début de l’histoire de Pike River ont été bouleversées par l’arrivée des Européens. Pour se les approprier, les Français font des alliances avec les Abénakis, tandis que les Britanniques s’assurent du soutien des Iroquois.

Entre 1609 et 1733, sous le régime français, les terres autour de l’actuel emplacement de Pike River sont distribuées suivant le principe seigneurial, système féodal où les seigneurs jouissent de la maîtrise absolue du territoire et de ses habitants en exigeant des redevances dont ils n’ont à rendre compte qu’à la lointaine Couronne française : c’est ainsi que l’on voit naître les seigneuries de Noyan, de Foucault, de Sabrevois, de Saint-Armand…

Durant ce temps, un peu plus au sud, la puissance de la colonie britannique se fait menaçante. La Nouvelle-France compte quelque 54 000 colons alors que la colonie britannique en compte environ 1,6 million. La guerre éclate. En 1760, la Nouvelle-France est occupée par l’armée britannique et, en 1763, les Français perdent définitivement leur colonie aux mains des Anglais qui en font « la province de Québec ». Les fermes des seigneuries françaises autour de l’embouchure de la rivière aux Brochets n’ayant pas été assez profitables, la plupart des terres sont abandonnées, mais certaines des familles francophones restent sur place.

Pendant ce temps, ce n’est pas précisément le calme plat dans le reste de l’Amérique. La guerre d’indépendance américaine bat son plein. En 1776, la Couronne britannique doit reconnaitre sa défaite : c’est la naissance des États-Unis. Restés fidèles à la mère patrie, les loyalistes traversent au Canada, pays toujours colonie de l’Empire britannique. Sur les 40 000 loyalistes en fuite, 7000 se réfugient au nord du lac Champlain. Quelques-uns s’installent le long de la rivière aux Brochets, d’où le nom anglais du village de Pike River.

Terres à créer…

Donc, à partir de 1791, ceux qui s’installent sur les terres de Pike River s’affairent au déboisement et bâtissent des maisons. On brûle également de grandes quantités de matière ligneuse provenant de l’abattage en vue d’en faire du charbon de bois mais aussi de la potasse (mot dérivé de l’anglais pot ash, qui signifie littéralement « cendre de pot ») qui sert à la production de lessive. La potasse, le charbon de bois, le bois d’œuvre et les produits de la ferme sont vendus jusqu’à Montréal, ce qui, à l’époque, n’est pas une petite expédition … Certains de ces produits sont clandestinement écoulés vers les États-Unis, territoire tout de même un peu moins lointain. D’autant qu’on y a encore de la famille, des connaissances, des relations. C’est le début d’une longue tradition de contrebande locale…

Les champs sont donc défrichés, la terre est bonne et arable. En plus des céréales venues d’Europe, on commence à y cultiver le maïs, grain provenant du sud de l’Amérique. Les pionniers qui peuplent désormais les abords de la rivière aux Brochets forment un mélange de loyalistes anglophones (dont certains d’origine allemande) et de francophones issus de l’ancien régime.

Étant donné les outils rudimentaires de l’époque et malgré le concours de quelques chevaux, il faut beaucoup de courage et de détermination pour survivre dans la région. Surtout l’hiver. La vie est rude, mais la nature se montre généreuse. Les forêts regorgent de gros et de petits gibiers. De la bonne viande et de belles peaux à vendre, pour qui sait chasser. La pêche sur la rivière contribue aussi à l’alimentation et au commerce. En hiver comme en été, on y pêche à la senne, c’est-à-dire au moyen d’un filet tendu entre deux rives.

Voir article sur ‘la pêche à la senne’

Trop de lois et trop de taxes, ça rebelle !

Pont couvert

L’embouchure de la rivière aux Brochets sert de port pour le débarquement des marchan dises issues de l’activité navale sur le lac Champlain. On emploie des barges à fond plat, et de nombreux hangars sont érigés le long de la rivière qu’un pont couvert en bois enjambe. On circule aussi sur la route de terre (l’actuelle 133).

Les cultures prospèrent, le bétail se multiplie et, en 1828, la ville voisine de Bedford tient sa première exposition agricole. Cependant, si tout croît, c’est aussi le cas des taxes, qui sont à la mesure de l’autorité des dirigeants anglais. Les francophones acceptent difficilement la dureté du régime de l’Angle terre. En 1837, la contestation gronde. Les patriotes, groupe dérivé du parti canadien et du mouvement populaire, demandent des réformes et s’insurgent contre les exigences du gouvernement. Certains anglophones sont plutôt sympathiques à ces « progressistes ». Pike River, qui compte autant de francophones que d’anglophones, n’échappe pas au conflit : il y a ceux qui préfèrent le statu quo et ceux qui souhaitent une réforme.

Le village a maintenant un magasin général que, à l’époque, on appelle « le centre d’achat » et dont le deuxième étage accueille un hôtel. Un moulin à scie et un bureau de la « Poste royale » y ont également pignon sur rue.

De religion protestante, anglicane, méthodiste ou presbytérienne, les anglophones se réunissent à la petite église méthodiste, tandis que la population catholique doit se rendre à l’une ou l’autre des églises des villages voisins, plutôt éloignées et qui le semblent davantage encore en hiver. Durant les années 1870, Pike River compte quelque 200 habitants, environ 60 maisons, deux écoles (une anglaise et une française), un moulin à farine sis en bas des chutes du pont de la route 133, une scierie, une vie de village, mais toujours pas de paroisse catholique…

Deux essais pour une paroisse…

Magasin général

En 1893, on autorise enfin la construction de l’église et du presbytère à l’emplacement où ils se trouvent aujourd’hui, au croisement des routes 133 et 202, près du pont de la rivière aux Brochets. Pierre-Joseph Cardin en est le premier curé. Les villageois sont heureux d’avoir enfin leur paroisse, mais leur joie sera de courte durée car l’église est dangereusement mal construite. On doit la démolir… Ce n’est que dix-neuf ans plus tard, soit en 1912, qu’on termine enfin l’érection de l’église et de son clocher, ce qui permet aux résidents de Pike River d’inaugurer officiellement leur paroisse et d’avoir leur propre municipalité. D’où  le centenaire que l’on fête en grand cet été.

Vie de campagne à Pike River

Armoire à glace

Depuis l’arrivée, en 1879, des premières moissonneuses-batteuses tirées par des chevaux, l’agriculture est plus aisée. On cultive le maïs, le foin et l’avoine qui servent à nourrir le bétail. L’élevage de vaches laitières, de moutons et de quelques porcs complète le paysage agricole. Au début de la Première Guerre mondiale, les habitants qui, pour la plupart, se sont opposés à la conscription, voient d’un très bon œil le profit qu’ils peuvent tirer de la culture du foin, les chevaux qu’on prépare alors pour la guerre ayant grand besoin de fourrage.

Indispensables au commerce, les routes sont encore en terre. Elles restent praticables durant l’été, malgré la poussière, ainsi que durant l’hiver, alors que la neige « tassée bien dure » permet les déplacements. Cependant, au dégel printanier, elles se transforment en rivières de boue, que les chevaux, les équipages et les premières automobiles peinent à emprunter. En 1920, les municipalités de Bedford, de Stanbridge-Station et de Pike River règlent le problème : des milliers de tonnes de roches y sont déchargées afin d’ériger une infrastructure carrossable. Au village, la population anglophone se raréfie. La petite église méthodiste est vendue, puis transformée en maison. Le moulin à farine, dans le bas des chutes de la rivière aux Brochets, devient une meunerie pour le bétail. En 1923, une école-couvent voit le jour et deviendra, environ cinquante ans plus tard, l’hôtel de ville actuel.

Godendart

L’électricité arrive enfin dans la région : en 1929, le maire de Pike River fait installer des lampadaires publics dans le village. Cependant, du fait de leur éloignement, les agriculteurs ne profiteront de cette technologie moderne que beaucoup plus tard, soit en 1938 pour certains, tandis que d’autres devront attendre jusqu’en 1946 !

La crise économique de 1929 touche moins les villageois de Pike River que les citadins, les fermes encore diversifiées produisant abondance de légumes, lait, œufs et animaux de boucherie.

Pince à glace

Pour améliorer les techniques de production et accroître le rendement des récoltes,  les cultivateurs forment, en 1933, des unions agricoles, et les laiteries se regroupent en coopératives. Puis, en 1935, les dernières rentes seigneuriales encore entre les mains de grands propriétaires terriens sont définitivement abolies.

L’hiver, quand ils ne sont pas occupés aux champs, les agriculteurs s’adonnent à une autre activité. Sur la rivière et aux abords du lac Champlain, ils scient au godendart des blocs de glace qu’ils acheminent ensuite sur des traineaux tirés par des chevaux vers des cabanons de bois isolés au bran de scie. Tout au long de l’année, les blocs seront vendus pour alimenter les glacières, ou « armoires à glace », qui trônent désormais dans toutes les demeures. Jusqu’à l’arrivée des réfrigérateurs, le commerce de la glace restera une activité lucrative.

En 1942, le moulin à farine qui donne sur la rivière aux Brochets est la proie des flammes. De plus, son barrage n’en peut plus de résister aux débâcles printanières. Chaque année, les glaces en emportent un bout. En 1950, il disparait à tout jamais.

Pike River est très fière de sa production laitière qui va bon train… C’est au cours des années 1950 qu’arrivent à Pike River des immigrants de Suisse, d’Allemagne et de Belgique, essentiellement des cultivateurs et des éleveurs. Avec la révolution tranquille, le gouvernement du Québec améliore les routes et construit des hôpitaux et des écoles. À Pike River, comme ailleurs dans le monde rural, les années 1960 voient s’amenuiser la taille des familles. Jusque-là, une famille pouvait compter dix à seize enfants, ce qui faisait beaucoup de bras dans les champs et de la relève pour les fermes.

Ruralité moderne

Église et presbytère. Peinture par Gérard Dandurand, 1919

La mécanisation facilite les tâches : les camions-citernes remplacent les charrettes à chevaux pour le transport du lait. Les machines agricoles se perfectionnent. Les  presses à foin et les faucheuses mécaniques changent la donne et relèguent les chevaux à l’écurie. La culture de l’avoine, principal carburant du cheval, est pratiquement abandonnée et le maïs occupe de plus en plus d’espace dans les champs.

Autour de 1963, les agriculteurs adoptent des variétés de semences améliorées et hâtives. Ils ont recours aux insecticides pour éviter les dévastations des cultures, des herbicides pour maîtriser la mauvaise herbe et des fertilisants pour répondre aux besoins accrus des semences améliorées. C’est ce qu’on appelle, à l’époque, la « Révolution verte », résultat de la conversion de l’industrie des armes de guerre en une industrie pétrochimique figurant le « progrès ». Et tout le monde va avec le progrès puisqu’il donne de bons résultats. C’est la croissance, le grand bond en avant ! En 1967, le village de Pike River installe un système d’égouts pluviaux. En 1968, le couvent ferme ses portes : il n’y a plus d’école et la bâtisse va devenir, deux ans plus tard, l’hôtel de ville des Pikeriverains. Lors de son 75e anniversaire (1987), Pike River s’offre un blason et publie son livre du souvenir.

En 1989, l’organisme Conservation Baie Missisquoi constate la dégradation des plans d’eau et tire la sonnette d’alarme. Le lac Cham plain, la rivière Richelieu et tous les petits cours d’eau avoisinants, souffrent de pollution galopante. La faune et la flore s’en ressentent. Il est temps de passer à l’action afin de remédier à la situation. Dans le but de trouver des solutions permettant de retrouver l’équilibre écologique nécessaire à la vie humaine, l’organisme réunit tous les riverains. En 1999, on crée une réserve écologique à l’embouchure de la rivière aux Brochets et une aire de protection des espèces végétales et animales en voie de disparition. Pike River fait sa part en plantant des arbustes en bandes riveraines et des arbres comme brise-vent. On installe des avaloirs et on stabilise les berges sensibles à l’érosion en pratiquant l’enrochement. Le but : limiter la quantité de phosphore qui se déverse dans les cours d’eau. Mais il reste encore beaucoup à faire.

Rêver demain…

Rêver demain, c’est rêver de léguer à nos descendants des terres en santé, c’est trouver des moyens pour que l’agriculture continue de prospérer sans trop user le sol ni le sous-sol… de même que l’eau qu’il abrite. Ce qui n’est pas une mince affaire…

Rêver demain, c’est rêver que l’imagination dont les pionniers de Pike River ont fait preuve au début de leur installation contribue à insuffler des idées neuves aux jeunes, auxquels l’avenir appartient, afin que leur village prospère et reste un objet de fierté.

Rêver demain, c’est voir loin et envisager le prochain centenaire.

Bon centenaire Pike River !

Remerciements à l’auteur pikeriverain Jef Asnong pour les précieuses références tirées de son magnifique recueil historique, Chronique de Pike River.

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