Si, voilà quelques années, en passant dans Pigeon Hill, vous aviez jeté un coup d’œil tout juste au nord du chemin Saint-Armand, vers le petit étang en contrebas du vieux silo de cette grange aux fenêtres vertes, si, donc, vous aviez porté votre regard à cet endroit précis, vous l’auriez aperçu, courbé d’effort, une mèche collée au front en sueur, en train de planter un chêne. Pierre Gauvreau.
Il chérissait la paix qui règne aux abords de ce petit plan d’eau et dans lequel il avait naturalisé, avec Janine Carreau, son amoureuse, des iris de Sibérie et quelques belles variétés de nénuphars. Il se plaisait à raconter qu’un jour, en des étés de soleil plombant, « son » chêne finirait par lui procurer une ombre bienfaisante pour ses moments de contemplation…
Pierre était cela, à la fois un contemplatif, émerveillé devant la nature, un intellectuel cogitant sa réalité et sa création, mais également, et peut-on dire surtout, un homme d’actions concrètes. Son immense jardin, qui n’était pas sans rappeler la munificence de Giverny, il l’avait d’abord élaboré avec Janine, à leur maison d’Abercorn, puis une fois largement transplanté, ils l’avaient enrichi sur près d’une quinzaine d’années, au coin de cette intersection du chemin Guthrie. À son apogée, on y comptait quelques cent cinquante variétés d’iris, une cinquantaine de lys, une trentaine de pivoines et puis, une quinzaine de variétés des capricieux delphiniums, qu’il démarrait en semis…
D’innombrables massifs de pavots, d’hémérocalles, de rudbeckies et puis, sous les roses trémières aux teintes anciennes et dressées contre la grange, des groupements de monardes, d’anémones et d’asters se relayaient tout au long des étés pour rivaliser d’agencements subtils ou éclatants. Une glycine même, accrochée à l’abri du vent sur le mur sud de l’atelier, avait fini par donner ses grappes de fleurs d’un bleu indéfinissable.
Si je vous promène dans les allées de son jardin, c’est que peu importe l’intensité de ses carrières successives en réalisation, en production, en écriture ou en peinture, Pierre y trouvait la paix, l’indispensable équilibre et, j’en suis persuadé, une source vive d’inspiration. Ce lieu qui constituait le cœur de sa vie demeure, pour moi, ce qui parlait peut-être le mieux de lui : un homme aux mains plongées dans la matière, le regard porté sur des horizons qu’il inventait, un curieux volontaire, un solitaire amoureux aussi, heureux de la beauté qu’il entretenait, heureux de la richesse insondable de tout cet inconnu dont il tirait sa création.
Je suis persuadé, bien qu’il ne m’en ait jamais touché mot, que les heures passées aux semis, au bouturage et à l’hybridation le ramenaient au vertige de cette intersection, à notre échelle, entre l’infiniment grand et de l’infiniment petit. En participant à ses mutations florales, il avait sûrement le sentiment de toucher intimement au mystère de la vie, à son expression « divine » – bien qu’il ait été athée – au faste sans cesse renouvelé de tout ce qui nous entoure sur cette terre.
Ses faits d’armes sont connus mais, après ses années de réalisation pour la télévision, dont il nous a laissé les mémorables Pépinot, Radisson, CFRCK, Rue de l’Anse, d’Iberville, il faut savoir que notre village de Pigeon Hill a été le lieu qui a vu naître sa remarquable trilogie sur notre société canadienne-française du siècle dernier : Le temps d’une paix, Cormoran et le Volcan tranquille ; ce fut également ici, dans son immense atelier, qu’il élabora, sans relâche, une production de quelques centaines de tableaux confirmant chacun par leur audace, ce que Borduas avait dit de lui, à l’époque de leurs fréquentations et de leur signature du manifeste Refus Global :
« Pierre, le peintre-né. »
En passant dans Pigeon Hill une prochaine fois et en lorgnant du côté du petit étang, peut-être pourrez-vous le deviner, mon ami, sous l’ombre de son chêne, se reposant enfin, un sourire en coin, le regard posé sur l’éternité.
Pierre Gauvreau (1922-2011) (photo : Jeanine Carreau – Circa 2009)
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