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Lettres à mon grand-père

Christian Guay-Poliquin et Éric Madsen

Note de la rédaction

Ces textes touchants forment une œuvre fictive créée par Christian Guay-Poliquin, dans le rôle du petit-fils, et Éric Madsen, dans celui du grand-père.

Il y a longtemps que je voulais t’écrire cette lettre, mais j’avais de la difficulté à trouver les mots. Et encore, il me semble que j’y arrive bien maladroitement. Mais peu importe.

Les choses changent. Le monde change. Je le sais, je le vois. J’en vis les répercussions. Nous en vivons tous les répercussions. Les hivers sont plus courts, l’eau des lacs n’est plus potable, les fermes d’aujourd’hui doivent être surdimensionnées pour être compétitives et les jeunes de mon âge partent s’établir ailleurs parce qu’ils ne trouvent pas de travail dans le coin.

Et toi grand-père, pourquoi tournes-tu la tête dès que ces sujets refont surface ?  Pourtant, avec tes frères, vous répétez l’un après l’autre que ce n’est plus comme dans votre temps. Et vous le dites avec une espèce de fierté, comme si vos descendants n’avaient pas votre étoffe, comme s’ils avaient tout eu, sans faire d’effort, sans vraiment le mériter. Comme s’ils n’étaient pas dignes du monde que vous leur avez légué.

Je sais bien que les choses ne sont pas si simples, mais une question persiste. Quoi faire avec ce monde que vous nous avez laissé ? Vous le dites, ce n’est plus comme c’était. Mes parents s’en fichent de tout cela, ils sont trop occupés, mais moi je te crois. Et si le monde n’est plus comme avant, s’il change de plus en plus vite et si rien ne peut l’arrêter, qu’est-ce que ma génération peut faire ? Tu vois, grand-père, j’ai vingt ans et je cherche simplement à faire ma place. Toi aussi tu as déjà eu vingt ans, était-ce bien différent ? J’ai bien peur que oui. Qu’en penses-tu ?

Affectueusement,

Ton p’tit-fils
Gabriel Santerre-Villeneuve

Cela m’a fait chaud au cœur d’avoir enfin un petit mot de toi, je pensais que tu m’avais oublié. Moi je ne suis pas un grand écriveux comme toi. Enfin, j’espère que tu vas bien. Moi, mon arthrite me fait toujours aussi mal, mais je ne me plains pas.

Tu écris que les temps changent. C’est la météo qui change, les hivers ne sont plus ce qu’ils étaient. Et c’est triste, tous ces changements de climat. Tu sais, moi aussi je regarde la télévision, et je vois bien les dommages que ça fait. Mais honnêtement et sans te vexer, vous y êtes pour quelque chose… Arrêtez un peu de tout consommer !

Le mois dernier, ta grand-mère et moi, on a vendu notre voiture. Depuis, on prend les transports en commun. Comme ça, je diminue les gaz à effet de serre comme ils disent.

Ça m’a fait sourire quand tu parles des fermes qui sont devenues trop grosses. Explique-moi comment une famille pourrait vivre aujourd’hui avec 12 vaches, 4 cochons et quelques poules ?

Tu sais, j’ai connu des familles pauvres qui, pour s’en sortir, devaient tout faire : le beurre, le pain, le savon, la boucherie, le cannage, le linge, etc. Alors quand je vois les étalages des magasins maintenant, je trouve ça presque indécent.

T’as pas connu ça, toi, la misère. Je vais te le dire, parfois je grondais tes parents qui te passaient tous tes caprices. Je ne sais pas si tu t’en souviens mais, à Noël chez toi, ça nous donnait mal à la tête de voir la montagne de cadeaux sous le sapin. Avais-tu besoin de tant que ça ou était-ce par crainte de représailles de ta part, qu’ils t’offraient tout ?

Nous, on a vécu modestement, mais bien. Tes arrières grands-parents n’ont pas laissé de fortune derrière eux, mais ils nous ont légué des valeurs.

Ton avenir, je ne le connais pas. Le mien un peu. Tant que la santé est bonne, ta grand-mère et moi pouvons espérer finir heureux.

Parfois il faut saisir sa chance et ne pas trop attendre après les autres. Ton destin est entre tes mains. Et te connaissant un peu, je sais que tu es capable de grandes choses. D’ailleurs tu hériteras de tous mes outils qui dorment dans la cave, comme ça tu pourras bâtir ce que tu veux.

Aller mon grand, courage et patience.

Gran’pa
Yvan Saint-Armand

Désolé si cela m’a pris quelques semaines avant de te répondre à mon tour, j’étais débordé. Et je ne suis pas habitué d’écrire des lettres. On fait autrement aujourd’hui. On n’a pas vraiment le choix.

J’ai toutefois relu ta lettre à plusieurs reprises. J’avais l’impression de t’entendre parler. Je sais bien que tes parents, mes arrières grands-parents, ont travaillé fort et ont vécu humblement. Je sais aussi que toi et gran’man avez tout fait pour élever votre famille et que, depuis que vous avez vendu et que vous vous êtes installés en ville, votre vie est un exemple de simplicité. D’autant plus que vous êtes en santé. Je sais tout ça.

Je ne cherche pas quelqu’un à blâmer. Mais j’essaie de comprendre à partir de quand le monde a commencé à basculer. Gran’pa, je sais, ça peut paraitre ridicule. Quand on regarde par la fenêtre, le monde est là, il n’a pas bougé. Mais quand on tend l’oreille et qu’on écoute un peu les nouvelles, on voit bien que l’avenir n’est pas aussi radieux qu’on le prétend. Fonte des glaces et du pergélisol, changements climatiques, pollution, blablabla et, comme si ce n’était pas assez, la construction de nouveaux pipelines.

À l’école primaire, je me souviens, la maitresse nous avait parlé du réchauffement de la planète. Quelques jours plus tard, à la récréation, un de mes amis avait fait une espèce de crise. Il avait peur de la fin du monde. Et pour le consoler, la maitresse lui a dit : « Je sais, je comprends, ce n’est pas facile à accepter, pense à autre chose, ça va aller mieux ». On n’avait même pas dix ans et on nous racontait que le monde s’effritait. Et après, quand on nous dit de foncer dans la vie, de faire notre chemin et de croire en notre destin, les gens restent surpris qu’on hausse les épaules.

Je ne panique pas gran’pa mais, en me prenant pour toi, je pourrais bien dire qu’on a plus l’avenir qu’on avait… En fait, je veux juste comprendre ce qui s’est passé entre ta génération et la mienne. Il me semble que c’est là, justement, qu’il s’est passé quelque chose que personne n’a vu venir, ou presque.

En attendant, je suis touché que tu veuilles me donner tes outils, mais il faudra que tu me montres comment m’en servir. Car, tu le devines, ce n’est certainement mon père qui sera en mesure de le faire.

Je t’embrasse,

Ton p’tit-fils
Gabriel Santerre-Villeneuve

J’espère que tu excuseras mon retard à répondre à ta dernière lettre, mais ces temps-ci tout se bouscule. Ton oncle Clément a fait une vilaine chute et s’est cassé la hanche, ta tante Pauline vit un divorce très difficile et le licenciement de ta mère n’augure rien de bon. De mon côté, je suis de plus en plus inquiet pour grand-mère. Je crains qu’elle souffre d’Alzheimer, elle perd des grands bouts, et souvent je la surprends complètement absente, comme si elle était dans un monde parallèle, imaginaire.

Tout ça me préoccupe pas mal.

Je trouve tes propos bien pessimistes pour un jeune plein d’avenir comme toi. J’avoue ne pas comprendre tes angoisses sur l’avenir de l’humanité, n’as-tu point confiance en l’être humain ? Le crois-tu capable de s’autodétruire ? Tu as peut-être raison, je ne sais pas. J’ose croire que nous ne sommes pas assez fous et qu’on prendra soin de notre petite planète. Aujourd’hui tout va vite pour celui qui court. Mais le temps peut paraître péniblement long pour celui qui n’avance pas.

Dans un livre que ta mère m’a donné récemment, je lisais que l’être humain est apparu il y a environ 6 millions d’années. Depuis il ne cesse d’évoluer, dit-on. Il a découvert le feu, domestiqué la bête, construit la roue, érigé des cités, créé des dieux… et tripoté l’atome ! Alors nous en voulons toujours plus. Plus d’argent, plus de confort, plus de vitesse, plus de tout.

Quand j’avais ton âge, on ne se posait pas de questions. Car, bien souvent, nous étions dans l’ignorance. Nous n’avions pas comme toi, le monde au bout des doigts. Nous avions à peine accès au téléphone. Aujourd’hui, tu peux visiter le musée du Louvres assis confortablement dans ton salon, imagine un peu… Tu peux échanger des courriels en temps réel avec un ami à l’autre bout du monde, tu peux  tout savoir en quelques clics.

C’est peut-être ça qui te fait vaciller un peu. Qui te mêle. Alors je te suggère de faire des grandes marches dans le bois, d’étreindre un érable et d’écouter la terre. Cela pourra peut-être calmer tes angoisses et te faire oublier les pipelines.

Je t’embrasse fort,

Gran’pa
Yvan Saint-Armand

J’ai reçu ta lettre ce matin. Je te réponds en me disant que le reste peut attendre. Tout le reste peut attendre. Tu as raison, tout va trop vite.

En effet, c’est triste pour Clément.  Aussi pour l’emploi de maman, même si c’est moins grave. Tu devines bien que j’avais déjà entendu parler de tout ça. Cependant, pour gran’man, je n’en savais rien. Je comprends que tu sois inquiet. En as-tu parlé à Jean et Marie ? Sûrement pas, te connaissant. N’empêche, n’attends pas trop. Malgré tout, je suis convaincu que rien ne pourra enlever le sourire dans les yeux de gran’man.

Tu vois clair gran’pa. Mes amis et moi, on a le monde au bout de nos doigts. Mais bon, les écrans, on finit tous par apprendre qu’il y a autre chose dans la vie. Mais dès qu’on se retourne vers la nature, on voit bien qu’elle change. En vingt ans, elle a changé plus qu’au cours des derniers siècles. Ce n’est pas du pessimisme, c’est une espèce de malaise. Oui, je crois que l’être humain peut s’autodétruire. Sans trop d’effort en plus.

Oui, les grandes marches dans le bois me font du bien. Elles me rappellent l’ordre des choses, mais quand je pêche une énième carpe asiatique dans le lac Champlain, parce que c’est la seule espèce qui survit aux algues bleues, je me pose des questions. Et quand je vais pêcher dans les rivières du coin et que Santé Canada recommande de ne pas manger plus d’un poisson de ces eaux par mois, à cause des métaux lourds, je suis triste. Je ne suis pas inquiet pour moi. Il y a plein d’autres choses à faire. Mais qu’est-ce que ça sera quand j’aurai des enfants à mon tour ?

Enfin, tu vois, je ne sais pas si je suis mêlé, je ne crois pas. Mais je m’en fais beaucoup. Trop peut-être. Ça ne m’empêche pas d’être heureux, je ne suis pas plus fou qu’un autre. Mais je reviens toujours à ce doute concernant le monde, comme si, à mesure qu’on le maîtrisait, il nous était de plus en plus étranger. Et le fait que tu t’en fasses aussi peu, et que mes parents s’en foutent royalement, ça ne me rassure guère.

Mais peu importe gran’pa, je ne veux pas t’embêter avec mes réflexions, je sais que tu as d’autres préoccupations. Mais je suis content de pouvoir t’écrire et d’avoir cet échange avec toi. D’ailleurs, comme je pars au Viet Nam pendant deux mois avec un ami, on va pouvoir continuer à correspondre.

Je te serre fort et embrasse gran’man pour moi. J’irai vous voir à mon retour, promis.

Ton p’tit-fils
Gabriel Santerre-Villeneuve

Photo de Johanne Ratté
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