Le 20 février dernier, lorsque les clés du magasin général lui ont enfin été remises, André Lapointe, le nouveau propriétaire des lieux, pouvait assurément remercier sa bonne étoile et réaliser son rêve. Depuis ce jour, la continuité du commerce est assurée ; le magasin général va donc survivre, ainsi que son concept original.
Dans les mois à venir, plusieurs changements seront mis en œuvre pour améliorer et moderniser le magasin, afin de répondre aux normes actuelles. La conjointe d’André, Maryse Déry s’occupera de la section consacrée à l’artisanat, à la joaillerie et à d’autres productions locales, telles que miel, sirop d’érable, vins de la région, fruits et légumes bio, etc. Avis aux intéressés. Aussi à surveiller prochainement, une méga-vente d’inventaire. Le magasin est ouvert de 9 à 19 heures du lundi au mercredi, de 9 à 20 heures, le jeudi et le vendredi, de 9 à 18 heures, le samedi, et de 10 à 17 heures, le dimanche.
L’ancien et le nouveau
Témoignage de Georgette
Mon plus lointain souvenir du magasin général de Saint-Armand nous reporte en 1950. C’était au mois d’août, j’étais en auto avec mon « fiancé ». Nous venions de chez lui à Morses Line, nous allions vers la ferme qu’il venait d’acheter, chemin Luke. Nous arrêtons au magasin général parce que Clément veut saluer le propriétaire, monsieur Joseph Fortin. J’ai beaucoup retenu de cette brève visite, notamment que :
- Les familles Fortin et Benoit étaient voisines de longue date à Morses Line.
- Monsieur Fortin avait vendu sa ferme à Jean-Marc Duchesneau et Victorine Demers avant d’acheter le magasin du village.
- La sœur de Joseph Fortin, Hélène, avait enseigné dans la maison de son père avant l’ouverture de l’école de Morses Line en 1912.
- Plus tard, elle épousait son voisin Joseph Benoit et ils s’établirent sur une ferme, chemin Benoit.
- Suite au décès prématuré de Joseph Benoit, Hélène céda la ferme à Eugène Benoit et à son épouse Joséphine Jourdenais.
J’étais fascinée par ces liens qui se tissent entre les familles ! Au fil des ans, je suis devenue une cliente régulière et j’ai constaté que le magasin général, en plus de sa vocation commerciale, jouait aussi un rôle social et culturel en favorisant les échanges et les rencontres spontanés entre gens du patelin.
Au mitan du siècle dernier, le village de Saint-Armand était partagé sur toute son étendue nord-sud par la voie ferrée, et borné par des ponts couverts sur les chemins Saint-Armand et Bradley. Le village comportait quelque 25 habitations entourant l’église, la gare, le couvent, le magasin général et l’hôtel Larivière. Aujourd’hui, 80 % de la population s’est renouvelée, puis déplacée par le va-et-vient, pendant que les familles Courchesne, Dandurand, Chabot, Dubé-Tougas et Ménard-Dupuis étendaient leurs racines d’une génération à l’autre. J’ai été témoin de quelques événements majeurs qui ont marqué l’aspect du village et la mémoire des villageois :
- La reconstruction du presbytère en 1954 ;
- L’incendie de la résidence de la famille Dandurand, le 1er novembre 1955 ;
- La démolition de la maison d’Alcide Roy au profit de la route ;
- La construction de l’école Notre-Dame-de-Lourdes en 1955 ;
- L’aménagement du parc municipal sur l’emprise de la voie ferrée ;
- La démolition de l’ancien couvent ;
- L’aménagement du terrain des loisirs en 1977 ;
- La démolition de l’hôtel Larivière et la construction du centre communautaire.
Quant au magasin général lui-même, son histoire porte sur plus d’un siècle. Construit en 1909 par M. James Hill de Morses Line, il fut acheté en 1910 par M. Alphonse Ledoux qui l’exploita durant 25 ans. Par la suite, il fut vendu à quelques reprises avant que M. Joseph Fortin n’en fasse l’acquisition. Suite au décès subit de ce dernier, son épouse Cora et ses enfants, Guy, Colombe, Lise, Yves et Ferrier, ont quitté le magasin. M. Eugène Benoit a assuré la continuité de 1956 jusqu’à son décès en 1966. Il était assisté par son fils Jacques, qui exploitait alors une entreprise de camionnage. Le 15 juin 1966, Jacques et son épouse, Denise Desranleau, prenaient « la gouverne » du magasin et, avec la collaboration de leurs enfants, Hélène, Christian, Sylvie, Daniel et Stéphane, ont continué d’offrir un service constant et courtois à la clientèle locale et régionale durant un demi-siècle. Plusieurs jeunes d’ici y ont également acquis une première expérience de travail. Je pense à Edouard Raymond, Robert Benjamin, Michel Pelletier, Réal Pelletier, Philippe Said, Anne et Isabelle Tremblay, Bruno Benoit, Guillaume Hébert, et j’en oublie sans doute. En 2011, le bâtiment a été mis en vente et le nouveau propriétaire a pris possession des lieux en février 2012. Après avoir évité la fermeture, reviendrons-nous à l’achat chez nous pour permettre à l’entreprise de reprendre vie ? Souhaitons à monsieur André Lapointe tout le succès qu’il anticipe. Souhaitons à M. Jacques Benoit une heureuse « retraite dorée ». Et à nous tous, souhaitons de conserver nos services locaux.
Témoignage de Lise
Mon plus lointain souvenir du magasin général remonte à 1989, alors que Jean-Marie, mon ami de toujours, venait d’acquérir une des belles maisons de Morses Line. Quand mon ami et sa conjointe Nelly m’invitaient à passer une fin de semaine avec eux, nous allions, le samedi, au magasin général pour y chercher le journal, de la bière et quelques fromages. C’est de cette façon que j’ai découvert ce magasin, véritable entrepôt où l’on trouvait absolument de tout. Et quelle belle construction !
J’y ai rencontré Jacques Benoit, sa femme Denise, leurs enfants, plus particulièrement leur fils Christian. Beaucoup plus tard, en 2001, Christian m’a invitée à son mariage. C’est à cette occasion que j’ai fait la connaissance de son cousin Réjean Benoit, le veinard qui est mon conjoint depuis ce jour !
Il va sans dire que, depuis que je vis à Saint-Armand, j’ai beaucoup fréquenté le magasin, passé du temps avec Jacques, qui aime les gens et qui retenait souvent ses clients pour discuter ! Après mûre réflexion, il a décidé de passer le flambeau, et la propriété a été acquise par André Lapointe. Né à Stanbridge East, André a vécu à Frelighsburg jusqu’à l’âge de neuf ans, puis à Saint-Armand (Pigeon Hill). Il a œuvré dans le commerce et a été facteur pendant 15 ans. Il vit en couple depuis 25 ans avec Maryse Déry qui le seconde gracieusement dans sa nouvelle entreprise. Carole, la sœur d’André, vient aussi prêter main forte de temps à autre. André m’a confié que, quand il était petit gars, il rêvait d’acheter le magasin général. Un rêve d’enfant qui allait devenir bien réel. Mais, en l’achetant, l’homme qu’il est devenu n’avait pas que des intérêts commerciaux : il voulait éviter la fermeture de l’établissement, le garder vivant. De plus, il faut tenir devant les grandes surfaces qui grossissent comme une bête, absorbant, écrasant et mangeant tout le petit commerce, tant dans les villes que dans les campagnes. C’est donc pour éviter une telle déconvenue et garder de la vie dans notre village qu’il a acquis cette très belle bâtisse qui continuera d’être un point de rencontre des gens d’ici et d’ailleurs.
Pour l’instant, le magasin préservera sa vocation habituelle. André n’y apportera que quelques changements mineurs, le temps de s’habituer à sa clientèle. Plus tard, il espère transformer le hangar qui le jouxte en un bar aux allures « western » qui serait un lieu de relations sociales où les gens pourraient prendre un verre ou un café, discuter de tout et de rien, s’offrir un moment de détente entre amis. Les amateurs de sport pourraient venir y regarder les matchs à la télé. Souhaitons à André que ce rêve se réalise, comme celui du petit garçon qui rêvait d’un magasin général…