Photo : Richard Lauzier
L’entraîneur des cyanobactéries de la baie Missisquoi l’a déclaré en conférence de presse : « Y en aura pas de facile. » C’est que si les mesures actuellement prises pour empêcher l’érosion des terres agricoles donnent les résultats escomptés, les bestioles vont voir leur ration quotidienne de phosphore diminuer significativement.
On connaît le cycle infernal : apport important d’engrais sur la terre, pluies abondantes, érosion, écoulement de terre phosphorée dans les fossés et les ruisseaux, augmentation marquée du taux de phosphore dans la baie Missisquoi et, au final, prolifération des algues bleu-vert.
Il existe deux stratégies pour freiner le cycle : premièrement, diminuer raisonnablement l’épandage d’engrais phosphatés ; deuxièmement, empêcher cette source de phosphore de se retrouver dans le bassin versant de la baie.
Le gourdin Pour le premier volet, on compte sur le bilan phosphore. Exigé par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP), le bilan doit être fourni par l’exploitant agricole.
Il décrit chaque année l’apport total en phosphore d’une exploitation en regard de la capacité du sol à disposer de cette charge de phosphore. Ce document doit être signé par un agronome. Il fait partie du plan agroenvironnemental de fertilisation.
Advenant le cas où le bilan dépasse l’apport maximal normal, l’exploitant est considéré comme non conforme aux normes d’écoconditionnalité. L’écoconditionnalité, en plus d’être un de ces néologismes hideux dont on se complaît sur la Grande-Allée, relie l’aide financière de l’État au respect de normes environnementales. Selon ce principe, les exploitants agricoles doivent respecter les dispositions de la législation et de la réglementation environnementale pour recevoir l’aide financière du gouvernement. En bref, trop de phosphore, moins de cash. Selon Nathalie Fortin, présidente de Conservation Baie Missisquoi, en 2010, le bilan phosphore a été sévèrement appliqué. Les agriculteurs n’en raffolent sans doute pas, mais les cyanobactéries non plus.
La carotte
Pour ce qui est de freiner l’érosion des sols, il existe deux programmes d’incitatifs financiers : le fédéral propose Lisière verte et le provincial Prime-Vert. Dans les deux cas, on veut encourager les exploitants à mettre en place des bandes riveraines efficaces et à prendre divers moyens pour stopper le glissement du sol vers le réseau hydraulique, le bassin versant.
« D’abord, la bande riveraine », énumère Richard Lauzier, agronome du MAPAQ pour le comté de Brome-Missisquoi. « Pourquoi ne pas en faire une qui serait récoltable ? Au lieu du maïs, pourquoi pas du foin ou du panic érigé ? » Le panic érigé est une plante fourragère qui aurait aussi un bel avenir comme source de carburant. Selon un article publié dans Science, il fournit 540 % d’énergie en regard de celle qu’il requiert pour pousser.
« Ensuite, on peut utiliser des systèmes de fossés-avaloirs pour évacuer le trop plein d’eau sans perdre son sol. Finalement, des haies brise-vent le long des ruisseaux peuvent réduire significativement l’érosion éolienne. Il y a des essences qui s’établissent relativement vite comme la viorne, le thuya ou le lilas. »
Les agriculteurs répondent admirablement bien à ces incitatifs et Richard Lauzier a aidé à planter 30 km d’arbres et d’arbustes brise-vent. Ayant identifié 5 tributaires de la rivière aux Brochets particulièrement sensibles, il a obtenu la collaboration enthousiaste de 56 entreprises agricoles pour installer des lisières vertes récoltables sur pas moins de 85 km, un projet d’un million de dollars.
Et l’impact sur la charge de phosphore ? Titulaire d’un doctorat en sciences des sols, Aubert Michaud travaille à l’Institut de recherche et développement en agroenvironnement (IRDA). En février 2006, il a remis une étude de modélisation mathématique des dynamiques de pollution de la rivière aux Brochets. Le modèle, SWAT, comprend à peu près tous les facteurs imaginables (sauf peut-être le battement d’une aile de papillon à Singapour, mais bon) et a collé de très près à la réalité quand on l’a comparé à des observations sur place.
Selon les conclusions de l’étude Michaud, l’établissement de bandes riveraines pérennes réduirait de 9 % la charge annuelle de phosphore d’origine agricole et, couplé à des réseaux fossés-avaloirs, il la réduirait de 19 %.
L’inspecteur fait ce qu’il peut
Et pour les récalcitrants dont la bonne terre se retrouve à embourber les fossés et ruisseaux à chaque grosse pluie ? Qui se charge de les ramener à de meilleures pratiques ? Le croiriez-vous, c’est l’inspecteur municipal. C’est à ce brave homme qu’on demande d’arpenter les terres agricoles avec un ruban à mesurer et de distribuer les constats d’infraction (ou constats d’érosion, c’est selon) à sa voisine, son cousin et son beau-frère.
« Un non-sens », commente Nathalie Fortin. « À Clarenceville, l’inspecteur travaille à temps partiel, un ou deux jours semaine. Il n’a aucunement le temps de s’occuper de la conformité des bandes riveraines. » Même son de cloche chez Simon Lajeunesse, coordonnateur régional des cours d’eau pour la MRC Brome-Missisquoi : « Ce fardeau retombe sur les inspecteurs municipaux qui ne sont pas équipés pour ça. » « Ils auraient beau distribuer des constats d’infraction, poursuit Nathalie Fortin, où voulez-vous que les municipalités rurales trouvent l’argent pour poursuivre les contrevenants ? » Manifestement, sur la Grande-Allée, une fois le problème pelleté dans la cour des collectivités rurales, on s’en lave les mains… à l’eau phosphorée.
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