(photo : economaris.org)
Dès 2002, nous en savions assez sur l’état lamentable de la baie pour que les dirigeants du Québec et de l’État du Vermont signent l’Entente sur la réduction du phosphore à la baie Missisquoi. Les deux parties s’engageaient alors à réduire de 27 tonnes métriques par année les apports en phosphore, de manière à limiter à 0,025 mg/l (milligrammes de phosphore par litre d’eau) les taux de ce polluant dans l’eau de la baie. Malgré les efforts consentis de part et d’autre, nous savons maintenant que cet objectif ne sera pas atteint en 2016, comme le prévoyait l’entente. Présentement, à l’aube de 2015, chaque litre d’eau de la baie renferme environ 0,050 mg de phosphore, soit deux fois plus que les limites établies.
Afin de se faire une idée de ce que représentent 27 tonnes métriques de phosphore, signalons que, à elle seule, la rivière aux Brochets déverse, chaque année, 24 tonnes métriques de cette substance dans l’eau de la baie. Comme nous l’avons vu dans le dernier numéro, plus de 88 % du phosphore charrié par la rivière aux Brochets provient des grandes cultures de maïs, de soya et de plantes fourragères, ainsi que des pâturages, le tout étant principalement destiné à l’alimentation du bétail, alors qu’environ 11 % de l’apport est attribuable aux secteurs urbanisés (résidences, commerces et industries réunis).
Par conséquent, les deux secteurs sur lesquels il faut se concentrer pour réduire efficacement les apports en phosphore sont, par ordre d’importance, les grandes cultures et les secteurs urbanisés. Divers programmes et réglementations ont été mis en place au cours des deux dernières décennies dans le but de réduire la charge polluante. Nous tenterons ici d’en rendre compte et de voir comment il faudrait les améliorer puisque, il faut bien l’admettre, les initiatives entreprises sont nettement insuffisantes.
Rappelons que les stratégies visant à assurer la survie de la baie portent d’abord sur la réduction des apports en phosphore, ce polluant étant responsable de la prolifération des cyanobactéries qui étouffent nos plans d’eau. Dans le dernier numéro, nous avons vu que les coliformes fécaux et les pesticides agricoles constituent également deux importantes sources de pollution. Nous tâcherons donc d’en tenir compte dans la présente analyse des solutions possibles.
Même si l’entente signée par le Québec et le Vermont n’aura pas permis la baisse souhaitée des apports en phosphore, on doit tout de même reconnaître qu’elle a entraîné des changements utiles sur le plan législatif puisqu’elle a mené à l’adoption de lois et règlements qui autorisent désormais des interventions efficaces. Elle a aussi permis de mener une foule d’études et d’expériences qui confirment l’efficacité de certaines interventions visant à réduire significativement les quantités de phosphore qui se déversent dans la baie. Bref, nous savons désormais ce qu’il faut faire pour sauver la baie et protéger nos sources d’eau potable. Certes, recherches et évaluation des taux de polluants restent nécessaires puisqu’elles permettent de mesurer l’efficacité des moyens que nous prendrons pour limiter la pollution de nos cours d’eau et inverser le processus d’eutrophisation qui menace actuellement leur survie.
Mais il ne faudrait pas que les politiques d’austérité qui sont mises de l’avant entraînent une vague de coupures dans les budgets de recherche. Non seulement faut-il poursuivre le travail entamé dans ce sens, mais il faut surtout l’intensifier. En effet, il faut reporter sur une grande échelle ce qui a été fait à petite échelle au cours des vingt dernières années.
Les milieux urbanisés, résidentiels et commerciaux
Depuis 2009, l’eau est considérée comme un bien collectif au sens de la loi québécoise et les municipalités sont, par conséquent, tenues de voir à la préservation des sources d’approvisionnement en eau. Les municipalités étant des créatures du gouvernement québécois, ce dernier a largement subventionné les ouvrages municipaux de traitement des eaux usées afin qu’elles puissent se conformer aux exigences réglementaires de l’actuel ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) en matière de protection des sources d’eau.
C’est ainsi que la ville de Bedford, et les municipalités d’Abercorn, Venise-en-Québec, Saint-Armand (Philipsburg), Notre-Dame-de-Stanbridge, Frelighsburg et Stanbridge East traitent aujourd’hui leurs eaux usées et que les stations de traitement font l’objet d’une surveillance régulière par le MDDELCC, qui s’assure ainsi de l’efficacité du traitement et du respect des limites de rejets de phosphore. De plus, industries, commerces et établissements non desservis par un réseau d’égout doivent tous traiter leurs eaux usées et se conformer aux exigences du ministère en ce qui concerne leurs rejets de phosphore.
Quant au traitement des eaux usées des résidences isolées, qui ne sont pas reliées à un système d’égouts, la réglementation a été renforcée et le sera encore davantage dans un proche futur. Les municipalités doivent désormais s’assurer que les systèmes septiques et les champs d’épuration résidentiels soient en bon état et fonctionnels, et que les fosses soient régulièrement et adéquatement vidangées afin d’éviter les fuites. Les autorités municipales détiennent les pouvoirs nécessaires pour faire respecter ces règlements, à la charge de leurs contribuables.
Ces initiatives ont permis de réduire significativement la pollution (en phosphore et coliformes fécaux) en provenance des espaces urbanisés, des résidences isolées, des commerces et des industries. Il reste encore du travail à faire à certains endroits, mais les règlements existent et ils sont contraignants. Ce sera donc fait, à défaut de quoi les retardataires seront pénalisés et forcés d’agir.
Cependant, il subsiste un problème à ce chapitre : bien souvent, les systèmes d’évacuation des eaux pluviales sont encore reliés aux réseaux d’égouts, ce qui provoque, lors de pluies abondantes, des débordements d’eaux usées qui n’ont pas été traitées par les stations. Il faudra y voir et construire des infrastructures pour évacuer les eaux pluviales ailleurs que dans les égouts. D’autant plus que les changements climatiques provoquent de plus en plus de précipitations ponctuelles abondantes.
Mais il reste que tout cela ne concerne que 11 % des apports en phosphore dans le bassin versant de la rivière aux Brochets. Voyons maintenant ce qui peut être fait au sujet du phosphore de source agricole, qui constitue la presque totalité des autres apports.
Les activités agricoles
L’entente signée par le Québec et le Vermont a aussi entraîné quelques initiatives intéressantes dans le milieu agricole. Des fonctionnaires du ministère de l’Agriculture (MAPAQ), des scientifiques et des agriculteurs ont travaillé de concert pour mettre à l’essai des stratégies visant à réduire les quantités de phosphore de source agricole qui sont déversées dans les cours d’eau alimentant la baie. Citons notamment le programme Prime Vert du MAPAQ, qui a permis de démontrer et de mesurer l’efficacité de quelques interventions en territoire agricole en offrant du soutien aux bonnes pratiques agroenvironnementales (ouvrages de régulation des eaux de ruissellement dans les champs et de stabilisation des berges des cours d’eau et des fossés en territoire agricole), notamment dans le bassin versant de la rivière aux Brochets. L’agronome Richard Lauzier a été un acteur clé de ces travaux (voir l’article en pages 4, 5 et 8). Les preuves sont faites : ces interventions contribuent nettement à réduire les déversements de phosphore dans la baie. L’Organisme de bassin versant de la baie Missisquoi (OBVBM) a également participé activement à ces essais. En collaboration avec des chercheurs de l’université McGill, il a notamment démontré que les marais filtrants contribuaient à réduire les apports en phosphore provenant des activités agricoles : le marais étudié retenait en effet 41 % du phosphore contenu dans l’eau provenant des champs environnants. Ce qui signifie que, si l’eau de ruissellement de tous les champs du bassin versant de la rivière aux Brochets passait par de tels marais, on obtiendrait déjà une baisse de près de dix tonnes métriques de rejets, soit le tiers de l’objectif global visé par l’entente Québec/Vermont. Imaginez si on faisait de même pour tous les cours d’eau et fossés agricoles qui se déversent vers la baie !
Une autre stratégie efficace consiste à remplacer, sur les terres susceptibles d’être inondées, les cultures intensives comme celles du maïs et du soya par des cultures pérennes : foin destiné à l’alimentation du bétail de même que panique érigé et saule pour la production de combustible employé pour chauffer résidences ainsi que bâtiments commerciaux et institutionnels (à noter que le saule est un excellent filtre à phosphore, coliformes et pesticides).
Bref, les solutions sont connues mais on doit désormais les appliquer à grande échelle. Ce qui signifie qu’il faut accepter d’investir davantage dans ce genre de programmes qui visent à assainir les pratiques agroenvironnementales. Le jeu en vaut la chandelle puisque, pour le bassin versant de la rivière aux Brochets, 88 % du phosphore est d’origine agricole.
En conclusion
Suivant la suggestion de quelques-uns de nos lecteurs, nous avons posé les quelques questions suivantes à monsieur Pierre Paradis :
1. Étant donné que certaines activités agricoles représentent près de 90 % des apports en phosphore dans le bassin versant de la rivière aux Brochets, quelles sont les mesures envisagées par le MAPAQ pour réduire significativement les quantités de ce polluant qui sont déversées dans la baie et ses affluents ?
2. Nombre de nos lecteurs s’inquiètent, persuadés que le gouvernement cherche à se retirer du dossier, baisse les bras et, sans l’avouer franchement, accepte l’« inéluctable » déclin de la qualité des eaux du territoire de l’Armandie. Ont-ils tort de s’inquiéter ? Pouvez-vous les rassurer sur les intentions de votre gouvernement ?
3. Nos lecteurs s’inquiètent notamment du départ à la retraite de l’agronome local et du fait qu’il ne serait apparemment pas remplacé. Pouvez-vous les rassurer à ce sujet ?
4. Quelles sont les mesures envisagées par le MAPAQ pour soutenir les agriculteurs dans les changements nécessaires qu’il leur faudra apporter à leurs pratiques agricoles dans le but de réduire la pollution dans la baie et ses affluents (phosphore, coliformes, pesticides) ?
5. Existe-t-il une stratégie commune MAPAQ/UPA destinée à enrayer la charge polluante d’origine agricole ? Nos lecteurs s’inquiètent de ce que, sans un effort concerté et énergique, il n’y aura aucun résultat concret. Pouvezvous les rassurer ?
Notre député-ministre a promis de répondre à ces questions dans un prochain numéro du journal Le Saint-Armand. Nos pages lui sont, bien sûr, grandes ouvertes. Notre dossier eau se termine donc sur la promesse qu’il y aura une suite. En fait, vous l’aurez certainement compris, quant à nous, le sujet ne sera clos que lorsque nous aurons l’assurance que notre collectivité fera ce qu’il faut pour assurer la survie de la baie Missisquoi.