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- Chronique littéraire d'Armandie -

S’EN SORTIR

Christian Guay-Poliquin

 

C’est l’histoire d’un enfant que les services sociaux ont séparé de sa mère parce que celle-ci « se suicidait souvent ».

C’est l’histoire d’un adolescent « plutôt enclin à la rébellion et qui se targuait d’emmerder la société ». Seulement il ne savait pas encore que « la société l’emmerdait tout autant ».

C’est l’histoire d’un jeune homme aux prises avec les rouages écrasants du système. Seule son interminable liste de vengeances lui permet d’absorber les coups qu’il reçoit de part et d’autre.

Si tout paraît sombre dans ce premier roman de David Goudreault, la résilience optimiste de son protagoniste brille toutefois avec la lucidité de ceux qui n’ont plus rien à perdre. Ainsi, comme il est continuellement en situation de survie, « plus rien ne lui est interdit ». Alors qu’il accumule les expulsions, les refus et les bastonnades, il inspire profondément en tirant sur quelques cigarettes volées et constate en souriant l’ampleur de sa liberté. Il sait très bien que son sort est entre ses mains et que « l’essentiel dans les milieux hostiles n’est pas d’être le plus fort, mais le plus fou ».

Motivé par l’idée de retrouver sa mère et, ainsi, d’avoir la chance de grimper dans son arbre généalogique afin de voir plus loin, le jeune orphelin est prêt à tout. Surtout à y croire. Entre deux vols, quelques vaines conquêtes amoureuses, de multiples branlettes, des séances de tortures animalières et plusieurs amphétamines, il finit enfin par retracer sa génitrice grâce à son prénom : Marie-Madeleine… Bien « qu’à force de se suicider, on finit par mourir », il a maintenant la certitude qu’elle est toujours vivante et « sûrement pleine d’espoir de le retrouver ».

Le jeune homme part donc à la « conquête » de sa mère. Toutefois, afin de faire bonne impression, cette rencontre exige quelques précautions : « On ne se pointe pas chez les gens les mains vides. Il faut des fleurs ou une arme, c’est documenté. » Nouvellement arrivé dans la ville de sa mère, le jeune orphelin se trouve donc un logement miteux, un boulot à la Société Protectrice des Animaux et, bien sûr, un vendeur de drogue.

Si l’idée de s’installer dans la vie stable que lui offrait son emploi à la SPA lui a traversé l’esprit, ce fut « comme on traverse une rue, assez rapidement » car, déjà, les injustices lui sautaient aux yeux : « On mobilise toute une machine pour punir des voleurs qui essaient seulement de survivre, mais on ne fait rien contre les salauds qui abandonnent la vie au bord du chemin. »

Malgré tout, sa nouvelle situation de bon citoyen est ennuyeuse et coûte cher. C’est pourquoi le protagoniste de Goudreault, en attentant le jour où il ira enfin rencontrer sa mère, déniche rapidement quelques manigances pour se divertir et renflouer ses coffres. Mais d’un mauvais coup à l’autre, il finit à nouveau par se faire tabasser. Au moins, cette fois, il sait que c’est le portier du bar de danseuses. Il en est pas peu fier car, la plupart du temps, il ignore la motivation de ses assaillants. « C’est le danger quand on a une vie bien remplie, on ne sait plus trop à qui on a affaire. » Autrement dit, lorsqu’on a plusieurs squelettes dans le placard, il y en a toujours quelques-uns qui bougent encore.

Vol13n1_aout_sept_2015_26Constamment partagé entre la quête, la fuite et l’errance, ce Don Quichotte de la vie moderne est à la fois étranger au monde et à lui-même. « On est jamais si seul que par soi-même » finit-il par constater après qu’une autre péripétie retarde le moment où il pourra enfin se présenter à sa mère. En fait, précise-t-il, « j’éprouvais un sentiment bizarre. Le monde était grand, trop. Trop de choses pouvaient m’arriver. Cette étendue des possibles qui m’aurait enivré en temps normal me déprimait ce soir là. »

En somme, dans La bête à sa mère, on est désarmé par l’acuité dérangeante des réflexions de ce jeune homme aussi attachant que cinglé, aussi cultivé que dominé par ses appétits. Mais surtout, ce roman évoque habilement l’orgueil de la descente aux enfers, ou mieux, tout simplement, l’humanité de la disgrâce. Enfin, tel que le dit le protagoniste : « Comme une fleur, pousse là où Dieu te dépose. C’est chrétien. Ça vaut pour les criminels aussi. » D’où, peut-être, son émouvante facilité à fuir par en avant. Appelons cela l’art de s’en sortir, ou pas.

David Goudreault est poète, slameur et travailleur social. Il animait, en juin dernier, le Quai des mots, événement littéraire organisé dans le cadre des Festifolies en Armandie. La bête à sa mère est son premier roman.

 

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