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- Exodus -

Saint-Armand – Butare, la croisée des chemins

Exodus au Rwanda
Violaine Madsen

Photo : Violaine Madsen

Je m’appelle Patrick, j’ai six ans. Avant tout, je suis Rwandais. Aussi, je suis un enfant de l’OPDE* depuis deux ans, pour bien vous situer. Vous êtes de Saint-Armand m’a-t-on dit ! J’ai fait la connaissance d’une Armandoise cet été, où j’habite. Ma maison, l’OPDE, est en fait un centre de réadaptation pour les enfants qui, comme moi, étaient dans la rue. Nous sommes environ 60 enfants de moins de 18 ans, logés dans les centres de Taba et de Rukira, deux quartiers de la grande ville de Butare, au sud. Nous avons été retrouvés dans la rue, pour certains sans parent ; pour ma part j’étais dans la rue avec ma maman.

En fait, avant mon arrivée à l’OPDE, j’ai toujours grandi dans la rue. Je suis né là, je la connais bien ! Mon quotidien à moi se résumait à quêter avec maman pour trouver de quoi manger le jour. Le soir, ma maman et moi, nous nous affaissions sur les marches d’un magasin fermé. Mais un jour, la police est venue, elle m’a pris. Les policiers m’ont expliqué que les enfants ne doivent pas être dans la rue.

Ça fait partie de leurs droits de recevoir une éducation. J’allais donc être placé à l’OPDE. C’est là que j’ai fait la connaissance d’Emmanuel qui a le même âge que moi et qui est devenu mon meilleur ami. Je l’avais déjà aperçu un jour où ma mère et moi étions au marché. Il fumait alors une cigarette. Après plusieurs semaines, Emmanuel m’a expliqué pourquoi il était dans la rue : son frère était parti très jeune du village pour venir en ville faute de ne pas manger à sa faim. Emmanuel s’était beaucoup ennuyé de lui et chaque nuit, dans son lit, il espérait fort que son frère revienne. Un jour son souhait se réalisa. Son frère lui raconta à quel point il mangeait à sa faim dans la rue : Fanta, bonbons, beignets, etc. Emmanuel, sur­pris et excité, décida de le suivre et quitta son village pour le monde de la rue. Il parait que des histoires comme celle de mon ami, il en existe plusieurs. En fait, la raison principale pourquoi les jeunes se retrouvent dans la rue, c’est la pauvreté. Ils ne mangent pas à leur faim et quittent leurs familles. D’autres sont dans la rue parce que leurs parents sont décédés du SIDA ou d’autre chose. D’autres parce que leurs parents se sont remariés et ils sont rejetés par leur nouvelle famille. Lorsqu’ils sont dans la rue, certains ne voient plus leurs familles du tout tandis que d’autres retournent à la maison tous les soirs ou de temps en temps.

À Saint-Armand, est ce qu’il y a des enfants dans les rues ? Si oui, vous les saluerez avec notre signe à nous : poing contre poing, hihi ! Chez nous il y a beaucoup de milliers d’enfants dans les rues. Mais il y a 30 organismes rwandais qui s’occupent de certains en leur assurant l’éducation, la protection et un support. À l’OPDE tout le monde travaille très fort pour qu’on ait, entre autres, du riz sur la table à chaque repas, des habits et des carnets propres pour l’école, et des ateliers de sensibilisation « susceptibles de nous aider à nous développer et à devenir les citoyens de demain » qu’ils nous disent souvent. En plus, depuis quelques semaines, sept stagiaires canadiens de l’AMIE** sont venus travailler à l’OPDE. Ils animent des ateliers de connaissance de soi avec les intervenants, nous aident dans nos études et s’amusent beaucoup avec nous.

J’aime quand les stagiaires viennent. Cette semaine, ils nous ont expliqué comment résoudre nos conflits avec les autres et développer une bonne estime de soi. Je comprends mais parfois je me dispute un peu avec Emmanuel. Mais jamais on demeure fâchés. C’est qu’il veut toujours gagner et il compte plus vite que moi, bon ! Mais moi, par exemple, je connais plus de chansons que lui et il aime que je lui en chante. On aime beaucoup chanter ici à l’OPDE. Par exemple, le 4 juillet dernier c’était la fête nationale du Rwanda. Nous avons tous revêtu nos beaux chandails où il est écrit « Gardons espoir, Vive l’OPDE ! » et nous avons déambulé dans les rues en chantant. C’était rigolo. À côté de moi, la stagiaire armandoise tapait le rythme avec ses mains tout comme nous. Demain, je reverrai la stagiaire. Elle m’a dit qu’elle va me montrer comment écrire mon nom en lettres attachées. J’ai hâte ! Mais un jour, j’espère aussi écrire mon nom sur la porte de mon grand bureau. J’hésite encore entre Dr Patrick ou Professeur Patrick, je verrai. Je garde espoir … vive l’OPDE !

*OPDE : Œuvre humanitaire pour la Protection et le Développement de l ‘Enfant en difficulté
http://www.opde.org/

** AMIE : Aide internationale à l’enfance
http://www.amie.ca/

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