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- Dossier Santé -

Jean Vera Cameron 1926-2012

Jean Vera Cameron (photo : Gaelies Renny)

Note de la rédaction :
La version originale anglaise a été publiée en août dernier dans Le Saint-Armand.

Jean Cameron était internationalement reconnue pour son travail de pionnière dans le développement du mouvement des soins palliatifs, ayant été la pierre angulaire de la mise sur pied d’une des premières unités de soins palliatifs à l’hôpital Royal Victoria. Elle a écrit un livre remarquable qui a été publié en plusieurs langues. L’Office national du film a effectué en 1980 une entrevue qui mettait l’accent sur sa manière exceptionnelle de vivre pleinement malgré la maladie. Jean Cameron, résidente de longue date de la rue Charles à Philipsburg, nous a quittés en février. Pour ses voisins, elle était une personne calme, attentionnée et digne, bien que l’on puisse trouver qu’il y avait souvent trop de chats autour de sa maison. Tout le monde savait qu’elle était gravement malade et handicapée par un cancer qui la rongeait depuis 1980. Jour après jour, pendant plus de 30 ans, la mort était pour elle une présence imminente. Il y a eu plusieurs rechutes qui auraient facilement pu être fatales. Elle a survécu.

 Malgré tout, Jean Cameron a continué son travail à partir de la maison, par téléphone, offrant paix et réconfort à des centaines de patients devant faire face à la mort. Elle avait un don extraordinaire, celui de communiquer avec les gens. Un don enraciné dans son désir d’écoute et de réconfort. Qui d’autre aurait pu être aussi efficace qu’une travailleuse sociale qualifiée qui était quotidiennement confrontée à sa propre mort ?

 Ce qui suit est un extrait de mon éloge de Jean Cameron au service funéraire tenu à l’église St. Paul à Philipsburg.

* * *

Comment pouvons-nous expliquer la mort des bons et des innocents ? Comment pouvons-nous raisonner le sentiment d’injustice relié à la maladie chronique ? Dans son livre Why bad things happen to good people, le rabbin Harold Kushner, qui a perdu son jeune fils décédé d’une maladie rare, partage son combat afin de comprendre cette souffrance non méritée. Il n’a trouvé aucune réponse réconfortante, discutant et rejetant toutes les réponses classiques, telle que l’idée que « Dieu a un objectif caché que nous ne pouvons et n’avons nul besoin de connaître » ou que « la souffrance est un test ou une leçon de vie ».

Le rabbin Kushner dit qu’il a trouvé la paix d’esprit lorsqu’il a abandonné l’idée que tout ce qui nous arrive provient de la main de Dieu ou que rien n’arrive pour rien. Il est futile et stupide de s’attendre à ce que les conséquences des forces naturelles ou de la nature humaine se conforment à nos propres notions de justice. Dieu, dit-il, ne nous envoie pas le problème. Il nous donne la  force de faire face à ce problème.

Jean a eu sa part de problèmes : la maladie chronique et la mort d’êtres chers. Elle a dû faire face, et elle était une inspiration pour les nombreuses personnes qui l’ont connue.

Née en Angleterre, elle est élevée par ses grands-parents après la mort de sa mère. Puis  son père, qu’elle ne connaît pas, vient la chercher pour qu’elle vive avec lui et sa nouvelle femme. Ce déracinement l’afflige.

Jeune fille, elle perd son fiancé qui meurt pendant son service militaire, lors de la Deuxième  Guerre mondiale. Elle finit par rencontrer quelqu’un d’autre, un médecin qui, lui aussi, meurt subitement.

Elle a alors besoin d’un nouveau départ. Elle rend visite à une amie à Montréal, Louise Macfarlane, et elle ne repartira jamais.

Elle fait carrière comme travailleuse sociale à l’hôpital Royal Victoria. Il y a plus de trente ans, elle se découvre une masse dans un sein, et le verdict tombe : cancer. Il se propage aux poumons et au cerveau. Elle sait qu’elle va mourir. Pourtant, elle survit pendant plus de 30 ans, comme par miracle, mais elle est souvent très malade et incapable de poursuivre ses activités.

Je ne peux pas parler de sa carrière professionnelle en tant que pionnière dans le domaine des soins palliatifs – nous n’étions que voisins ici à Philipsburg. Je sais par contre qu’elle était mondialement connue dans son cercle professionnel. Elle a reçu une note d’encouragement de la part de mère Theresa – qui lui disait que « la souffrance est un cadeau de Dieu ». Il a fallu à Jean beaucoup de temps et de contemplation pour comprendre cette déclaration, à prime abord, incroyable.

Je lui ai parlé un jour de mon enthousiasme pour le livre Man’s Search for Meaning du Dr Viktor Frankl, psychanalyste autrichien qui a survécu aux camps de concentration nazis et qui est reconnu pour son travail avant-gardiste dans le domaine de la psychiatrie. Jean l’avait connu et Viktor Frankl s’est peut-être vanté de l’avoir connue, elle. Lors d’un voyage d’affaires à Montréal, Frankl a demandé aux organisateurs où il pouvait trouver Jean : il ne voulait pas quitter Montréal sans avoir rencontré cette femme incroyable.

Elle a écrit un petit bijou de livre : Un temps pour vivre, un temps pour mourir, qui s’est vendu en de nombreux exemplaires et qui a été traduit en plusieurs langues. On peut écouter, par Internet, une entrevue qu’elle donnait à l’Office national du film, dans les années 1980. On y trouve aussi  plusieurs citations inspirantes de Jean, comme celle-ci :

L’écoute honnête est un des meilleurs remèdes que l’on puisse offrir aux mourants.

Je ne fais pas partie de ceux qui ont le mieux connu Jean ; plusieurs d’entre vous, ici, faisiez partie de son cercle d’amis intimes. Mais permettez-moi de vous dire ce que j’appréciais chez elle.

Le pardon – son cœur était pur et elle n’en voulait pas à ceux qui lui avaient fait du mal d’une manière ou d’une autre. Elle était une amie pour les délaissés, les marginaux et les incompris. Pensez à Fritz et à Sam, deux alcooliques des rues de Philipsburg. Elle les recevait sur sa véranda pour de longues discussions amicales. Si un d’entre eux se retrouvait en prison, elle s’assurait que ses animaux soient soignés. Il y avait une femme souffrant de solitude à Philipsburg que Jean appelait chaque jour, pendant des années, juste pour rappeler à cette dame qu’elle n’était pas seule et que quelqu’un pensait à elle.

Elle aimait les animaux – ses chats. Lorsqu’elle trouvait des souris dans sa maison, tous savaient qu’elle les relâchait dans son jardin après les avoir nourries.

C’était une jardinière avertie. Dans ses dernières années, alors qu’elle habitait une résidence pour personnes âgées, elle y plantait des bulbes à l’insu de tous.

Elle était respectueuse, résiliente, pleine de vie et d’espoir, tolérante, elle travaillait sans répit et était accoutumée au dur labeur.

C’était une femme généreuse, même à outrance. Généreuse de son temps, de son attention et de ses ressources financières. Certains diront que c’était son point faible et qu’elle était une proie facile. Je crois qu’elle savait qu’en essayant de faire le tri, elle risquait de dire non à une personne qui en avait vraiment besoin. Elle n’attendait rien en retour.

Son principal don ? Sa présence et l’attention qu’elle vous portait.

Plusieurs d’entre nous avançons dans la vie en entretenant un cercle de connaissances prestigieuses dans le but de soigner notre image. Au contraire, Jean recherchait la compagnie de ceux qu’on ignorait ou qu’on évitait.

Elle cultivait l’art de vivre le moment présent. Lors d’une entrevue, elle a déclaré :

J’ai le temps d’apprécier les choses comme jamais auparavant. Je l’ai remarqué, très peu de temps après avoir appris que j’allais mourir. C’était au tout début du printemps. Il y avait une chute de neige tardive et inattendue. J’ai regardé la neige par la fenêtre et j’ai ressenti cette envie irrépressible de courir dehors. Je me suis tenue là et j’ai senti et vu les flocons se poser sur moi, ce fut une expérience merveilleuse. Je l’appréciais comme jamais auparavant et, d’une certaine manière, cette expérience est restée gravée dans ma mémoire. Je me souviens très bien de cette journée. J’y repense encore quand quelque chose me tracasse ou que ça ne va vraiment pas bien. Je me rappelle que c’était spécial et que si je n’avais pas eu de cancer, que si je n’allais pas mourir, je n’aurais prêté aucune attention particulière à cette tempête de neige.

Il nous est peut-être possible de comprendre cette citation énigmatique : « La souffrance est un cadeau de Dieu ». Jean a appris à voir, à écouter, à être attentive, à se concentrer sur ce que chaque journée apporte. Lorsque je pense à elle, je pense à ces mots de l’Hymne 2 du livre anglican des Hymnes :

Redeem thy misspent
live moments past
And life this day as if thy last.

(Rachète les moments passés que tu as mal vécus et vis ce jour comme si c’était ton dernier.)

À propos de la malchance, Jean disait :

J’ignore pourquoi j’ai le cancer. Pour moi, d’une certaine manière, c’est injuste. Et pourtant, j’ai toujours dit, qu’est-ce qui est juste et qu’est-ce qui est injuste ? Nous ne disons jamais que toutes les joies et le bonheur que nous ressentons sont injustes. Nous ne le disons que pour les mauvaises choses, alors que la vie est un mélange des deux.

Son avis sur la nature :

J’aime être à la campagne.

Je crois sincèrement qu’il y a une particule de vie dans tout et je regarde la nature… Ah ! que j’aime les fleurs, les arbres et les animaux et tout ! Et j’y perçois autant la vie que la mort en termes très simples. Et partout règne l’ordre. On y voit mourir les feuilles à l’automne et, au printemps, c’est la résurrection. Dans la nature, rien ne meurt vraiment, rien n’est gaspillé… tout se transforme. Je crois sincèrement qu’il y a aussi une contrepartie à la vie spirituelle que l’on voit peut-être dans notre religion, à savoir que rien ne se perd et qu’il y a un ordre pour tout.

Lorsque j’ai demandé à Jean quelles étaient nos responsabilités envers un ami ou un parent mourant, elle a répondu ceci :

La chose la plus importante que vous pouvez faire c’est de leur dire que vous tenez à eux. Beaucoup de gens ont peur d’approcher un mourant parce qu’elles sont mal à l’aise. Elles ne savent pas quoi dire. Ce que vous dites n’a pas d’importance. Tout ce qui importe c’est que vous soyez là, c’est la chose la plus importante.

Comment garder espoir ? Vous êtes atteint d’une maladie mortelle, vous savez que vous allez mourir. Où est l’espoir ?

L’espoir ne meurt pas. L’espoir est quelque chose qui évolue, qui change selon les expériences de vie. Au début de ma maladie, j’ai espéré que le mal ne se répandrait pas, mais il l’a fait. Maintenant j’espère autre chose.

Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle plantait des bulbes de fleurs par centaines à l’automne en sachant qu’elle ne les verrait peut-être pas, elle a répondu qu’il lui suffisait de savoir que quelqu’un les apprécierait.

Viktor Frankl a écrit :

La vie dans les camps de concentration démontre que l’homme a le choix. Il y a suffisamment d’exemples, souvent de nature héroïque, qui démontrent que l’apathie peut être surmontée, l’irritabilité, réprimée. L’homme peut conserver un vestige de liberté spirituelle, d’indépendance d’esprit même dans les pires conditions de stress psychologique et physique.

Nous, qui avons vécu dans les camps de concentration, avons souvenir de ceux qui marchaient entre les baraquements, offrant réconfort et donnant leur dernier morceau de pain. Ils n’étaient pas nombreux, mais ils étaient la preuve irréfutable qu’il est possible de tout enlever à un homme, sauf une chose : la dernière des libertés humaines, celle d’adopter l’attitude de son choix, peu importent les  circonstances, celle de choisir sa voie.

Jean Cameron a choisi sa voie et elle est un modèle pour nous tous.

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