Annonce
Annonce
- Agriculture -

ENTREVUE AVEC PIERRE PARADIS

Pierre Lefrançois

 Chose promise, chose faite : nous avons enfin eu l’occasion de rencontrer le député de Brome-Missisquoi et ministre de l’Agriculture du Québec, Pierre Paradis, afin de lui fournir l’occasion de répondre aux questions que nous lui avions posées dans la foulée de notre série concernant l’état de la baie Missisquoi et de ses affluents, notamment la Rivière aux Brochets. Cela a pris la forme d’une conversation à bâtons rompus d’environ deux heures que nous avons eue ensemble à l’occasion de l’un de ses passages à son bureau de Bedford en mai dernier. Je vous livre donc ici, aussi fidèlement que possible, la teneur de ses propos en réponse à chacune de nos questions. Nous avons ajouté, à la suite de ses réponses, deux articles de notre cru, afin de mieux prendre la mesure des propos de notre député-ministre.

Question : Nombre de nos lecteurs s’inquiètent parce qu’ils ont l’impression que le gouvernement cherche à se retirer du dossier, baissant les bras et acceptant sans le dire l’« inéluctable » déclin des eaux du territoire de l’Armandie. Ont-ils tort de s’inquiéter ? Pouvez-vous les rassurer au sujet des intentions de votre gouvernement ?

Réponse  : Pour moi, la qualité de l’eau dans notre région est une très vieille préoccupation. Alors que j’étais encore un tout jeune homme, entre la fin de la décennie 1960 et le début des années 1970, j’avais mis sur pied avec un groupe d’amis un projet PIL (Projet d’initiative locale, financé par le gouvernement québécois suite à la révolution tranquille). Nous avions résolu de sillonner la Rivière aux Brochets pour la nettoyer et prendre la mesure du degré de pollution qui l’affectait. Jamais, à cette époque, je n’aurais pensé que j’en serais encore, à 64 ans, à mener le même combat. Dans la fougue de ma jeunesse, j’étais convaincu que nous aurions réglé le problème en quelques années.

Vous savez, moi aussi je suis frustré qu’après autant d’années d’efforts, il ne soit pas encore possible de nous baigner en toute sécurité dans la baie. Le processus est plus long qu’on ne l’aurait cru au départ, mais il ne faut pas oublier qu’on n’a pas encore récolté les fruits qu’on a semés durant toutes ces années. Il ne faut surtout pas désespérer. Vous comprendrez donc que je ne baisserai jamais les bras à cet égard, d’abord à titre de député de Brome- Missisquoi et, à plus forte raison, en tant que ministre de l’agriculture.

Je vous ferai remarquer que, malgré les efforts de notre gouvernement en matière de rigueur budgétaire, nous avons réussi à faire en sorte que l’enveloppe du ministère de l’Agriculture ne souffre pas d’importantes coupures. J’en suis fier, mais cela ne me satisfait pas puisque je sais qu’il faudra investir davantage pour atteindre nos objectifs, c’est-à-dire reverdir l’agriculture québécoise, la rendre moins énergivore et moins polluante. Pour financer une entreprise d’une telle ampleur, nous avons maintenant la chance de disposer d’un outil remarquable : la bourse du carbone qui commence déjà à générer des fonds. En fait, les pays qui ont opté pour une taxe sur le carbone plutôt que de participer à une bourse du carbone commencent à réaliser que la seconde solution est plus efficace et rapporte pas mal plus. Au Québec, nous pouvons être fiers d’avoir été la première province canadienne à opter pour cette solution. Je suis déjà à pied d’oeuvre pour faire en sorte que, chez-nous, les fonds générés servent notamment à reverdir notre agriculture. (Voir l’article « Carbone 101 »,

Question : Étant donné que certaines d’activités agricoles représentent près de 90 % des apports en phosphore dans le bassin versant de la rivière aux Brochets, quelles sont les mesures envisagées par le MAPAQ pour réduire significativement les quantités de phosphore déversées dans la baie et ses affluents ?

Réponse : Il y a d’abord les mesures d’atténuation, c’est-à-dire des choses comme l’implantation de bandes riveraines et d’avaloirs sur les terres agricoles sensibles. Nous entendons continuer à promouvoir activement l’adoption de telles mesures auprès des agriculteurs. Mais je sais bien qu’il faut aussi nous attaquer à la réduction à la source, c’est-à-dire qu’il faut transformer progressivement nos modes de production agricole de manière à ce qu’ils soient de moins en moins polluants.

Pour ce faire, il faut envisager d’autres façons de faire, encourager l’innovation, miser sur la nouveauté, faire de la place aux initiatives qui permettent de reverdir notre agriculture. Il y a des agriculteurs conventionnels qui envisagent sérieusement de se mettre à l’agriculture biologique. À la ferme Asnong de Pike River, par exemple, on a commencé à produire du maïs bio, parce qu’on s’est rendu compte que c’était remarquablement rentable.

En arrivant au ministère de l’Agriculture, j’ai demandé aux fonctionnaires où se trouvaient les personnes qui s’occupaient d’agriculture biologique et on m’a appris qu’un tel service n’existait pas au sein de l’appareil d’État. Eh bien nous en avons créé un parce que j’estime que cela fait partie des services que nous devons offrir aux producteurs agricoles qui sont prêts à innover, à reverdir notre agriculture.

Je voudrais aussi parler des pesticides qui constituent également une menace non négligeable pour la qualité de l’eau et pour l’environnement en général. J’estime qu’il faut agir dès maintenant pour réduire à la source l’usage de ces substances qui contribuent à la détérioration de notre environnement. J’ai l’intention de légiférer rapidement pour interdire l’emploi systématique des néonicotinoïdes, par exemple, qui menacent notamment les abeilles. En attendant, j’ai demandé aux firmes qui vendent des semences à nos agriculteurs d’offrir également des semences non-traitées aux néonicotinoïdes afin qu’au moins, nos producteurs puissent avoir le choix de se procurer des graines qui n’en renferment pas, ce qui était devenu pratiquement impossible.

Question : Nos lecteurs s’inquiètent notamment du départ à la retraite de l’agronome local, Richard Lauzier, et du fait qu’il semble qu’il ne sera pas remplacé. Pouvez-vous les rassurer à ce sujet ? Quelles sont les mesures envisagées par le MAPAQ pour soutenir les agriculteurs dans les nécessaires changements à apporter aux pratiques agricoles dans le but de réduire la pollution dans la baie et ses affluents (phosphore, coliformes, pesticides) ?

Réponse : C’est formidable le travail que Richard a accompli au cours de sa carrière dans la région ! C’est en très grande partie grâce à lui que la région du bassin versant de la rivière aux Brochets a pris une telle avance en comparaison de ce qui se passe dans les autres bassins versants du Québec, et même par rapport à ce qui se fait au Vermont, malgré une croyance répandue.

Mais Richard n’est pas le seul dans le décor, quand-même : il y a plein de gens dévoués et très actifs depuis plusieurs années, comme le géographe local Charles Lussier qui a fait beaucoup pour l’aménagement de bandes riveraines en milieu agricole, ou Johanne Bérubé de l’Organisme de bassin versant de la baie Missisquoi, pour n’en nommer que deux. Il y a aussi les groupes conseil en agriculture qui font un excellent travail auprès des agriculteurs, et le programme Prime Vert qui est encore en vigueur pour les producteurs agricoles qui désirent s’en prévaloir.

Question : Y a-t-il une stratégie commune MAPAQ/UPA visant à enrayer la charge polluante d’origine agricole ? Nos lecteurs s’inquiètent de ce que, sans cet effort concerté et énergique, aucun résultat concret n’apparaîtra. Pouvez-vous les rassurer ?

Réponse : Les gens de l’UPA sont généralement consultés lorsque nous prenons des initiatives relatives à l’agriculture. Ils étaient autour de la table, par exemple, lorsque la MRC a élaboré la réglementation concernant les bandes riveraines minimales sur les terres en culture. Que je sache, ils n’ont pas contesté ces nouvelles normes. Vous savez, les agriculteurs sont de plus en plus conscients du fait que leur activité a des impacts importants sur l’environnement et ils sont les mieux placés pour comprendre que, pour produire de manière durable, il faut prendre grand soin de ses terres. Parce que je les côtoie depuis longtemps, je peux vous dire qu’ils sont de plus en plus nombreux à voir le développement durable comme un allié dans leur travail plutôt que comme une « patente » destinée à leur mettre des bâtons dans les roues.

Par ailleurs, il y a des jeunes qui arrivent dans le domaine de la production agricole avec de nouvelles idées et d’autres façons de faire les choses. Il faut encourager ces jeunes et les soutenir parce que le changement passe par eux. C’est pourquoi, en février dernier, j’ai confié à monsieur Jean Pronovost le mandat de consulter la relève agricole afin de bien cerner les obstacles auxquels ces jeunes font face et identifier les pistes de solutions qui seront les plus prometteuses pour contribuer au renouvellement et au verdissement de l’agriculture québécoise. (Si vous ignorez qui est Jean Pronovost, voir « Le rapport Pronovost de 2008 en quelques mots », page 4). J’attends ses conclusions à la fin du mois de novembre.

  • Autre