Petit groupe de cinq aplectrelles au printemps. Photo : Laurianne Monette (CIME)
Un collègue botaniste venu herboriser un jour à Saint-Armand m’a confié qu’il considérait cette municipalité comme la Mecque des botanistes. Entre le cœur villageois et la baie Missisquoi, il y a ce que j’appelle la « flèche dolomitique missisquoienne », une dizaine de buttes de plus ou moins cinquante mètres de hauteur composées de dolomie, un calcaire double comprenant à la fois du calcium et du magnésium. Ce corridor de deux kilomètres de large qui s’allonge jusqu’à Bedford, est creusé sur sa longueur par les carrières Omya, Méthé et Graymont. Son socle géologique a la propriété d’emmagasiner la chaleur durant le jour pour l’irradier la nuit, ce qui crée un microclimat chaud à Saint-Armand. La grande masse d’eau de la baie Missisquoi contribue également à faire de ce secteur un point chaud du Québec.
Ce sol calcaire et ce microclimat favorisent la survie, dans une érablière à caryer cordiforme (Carya cordiformis) située à l’ouest du cœur du village, de l’aplectrelle, ou l’aplectrum, d’hiver (Aplectrum hyemale, Mühlenberg ex Willdenow, Nuttal). Cette orchidée est l’une des plantes les plus rares du Québec. L’espèce ne comprend, en effet, que quelque 450 individus répartis sur six sites, dans des érablières de la Montérégie. En 2009, les deux colonies de Saint-Armand en comptaient 170, nombre qui est passé à 35 en 2019. Ce déclin s’explique peut-être par le broutement des cerfs. Comme la zone est ratissée par les botanistes depuis 30 ans, les chances sont minces d’y trouver de nouvelles colonies.
Cette vivace dont la tige, issue d’un corme (bulbe), atteint 20 à 40 cm de hauteur, comporte une feuille unique, basilaire, ovale, de 10 à 15 cm par 5 à 8 cm, pourprée dessous, vert pâle et à nervures blanches dessus, qui apparaît à l’automne et persiste jusqu’au printemps suivant. Son inflorescence est en grappes de 5 à 15 fleurs jaunâtres, verdâtres, teintées de pourpre ou de brun, au labelle (pétale supérieur agrandi et contourné de la fleur d’orchidée) blanchâtre tacheté de magenta ou de mauve. La plante fleurit de la fin mai à la mi-juin. On la trouve dans les forêts de feuillus et d’érables à sucre, en bordure des sentiers, dans des dépressions, au pied des arbres et dans des sites où il y a peu d’autres herbacées pour lui faire concurrence. Elle semble avoir besoin d’un couvert forestier légèrement ouvert qui laisse passer un peu de lumière.
Le chercheur et botaniste Michael S. Adams avait découvert, en 1970, que cette aplectrelle continuait de faire de la photosynthèse lorsque le couvert de neige était mince, d’où son nom associé à l’hiver. Il y a quelque chose de particulier à marcher dans une érablière à la fin d’avril pour découvrir une colonie de ces feuilles grises couchées au sol ; on a l’impression de déranger leur som
meil. Le rhizome est très mince, rempli d’une sorte de gélatine qui était jadis utilisée pour recoller les morceaux de céramique brisée, d’où le nom de putty root que lui ont donné les anglophones. Adam and Eve, son autre nom anglais, lui vient du fait que ses cormes sont souvent groupés par deux.
Parmi les quatre autres colonies du Québec, deux sont situées à proximité du mont Saint-Grégoire, une, découverte en 2013, à Saint-Bernard-de-Lacolle et une autre, récemment localisée, à Saint-Pie, au sud de Saint-Hyacinthe. Les deux premières compte
nt 110 individus, la troisième 200, tandis que la dernière n’en comporte que huit.
Laurianne Monette, technicienne en biologie au CIME du Haut-Richelieu, travaille depuis près de dix ans au suivi des populations montérégiennes. Les propriétaires des terrains qui abritent une colonie d’aplectrelles ont tous été sensibilisés. L’espèce n’est pas protégée légalement.
Mes remerciements à Lauriane Monette duCIME du Haut-Richelieu
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