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D’une génération à l’autre

(Premier de deux articles)
Christian Guay-Poliquin

 Mettre un visage sur les différentes générations des quatre dernières décennies : pas facile. Pas facile non plus de sortir des grandes lignes de l’analyse sociale qui subdivisent la seconde moitié du vingtième siècle en trois grandes générations (Baby Boomers, Génération X et Génération Y). Gilles Martel a été professeur au secondaire du début des années 70 au début des années 2000. Des jeunes, il en a vu passer. Malgré un début de carrière où il a enseigné plusieurs matières, M. Martel a été principalement professeur de français au régulier à la polyvalente Jean-Jacques Bertrand, à Farnham. Son adage : « Nous avons deux yeux, deux oreilles et une bouche, donc il faut écouter et regarder deux fois plus que l’on parle. »

Le secondaire. Les jeunes ont de 11 à 17 ans. C’est l’âge critique où la fille devient jeune femme, où le garçon devient jeune homme, c’est l’âge où tous se cherchent, sans trop se l’avouer, une identité ; c’est l’âge où l’être humain est le plus perméable à la nouveauté : l’adolescence. Selon M. Martel, à cette étape du développement de l’individu, ce sont les modes vestimentaires et musicales qui ont le plus d’influence et qui, par le fait même, occasionnent les signes distinctifs des différentes générations.

Outre cela, la première chose que dénote M. Martel c’est que ce qu’on appelle une « génération » est une donnée extrêmement variable. Par exemple, il mentionne que dans les débuts de sa carrière, les « générations » (qu’il définit comme des périodes pendant lesquelles les différents individus d’une même tranche d’âge ont en général des comportements, des attitudes et des préoccupations similaires et caractéristiques) se découpaient par tranches de 4 ou 5 ans. Puis, vers la fin de sa carrière, soit une trentaine d’années plus tard, l’enseignant en français affirme sans hésitation que chaque année amenait sa propre génération. Comme si la durée des modes et des tendances suivait l’accélération de notre mode de vie.

Durant les années 70, où le mouvement hippie gagne de plus en plus d’ampleur au Québec, M. Martel remarque, contrairement à lorsqu’il était lui-même étudiant, l’émergence de la libre expression et d’une certaine individualité chez les jeunes. Toutefois, avance-t-il, chaque ville ou village a ses particularités régionales. Dans notre coin, il y avait, à l’époque, beaucoup plus de parents cultivateurs qu’aujourd’hui et cela se voyait chez les jeunes parce que la notion du travail et le sens de l’obligation étaient beaucoup mieux intégrés à leurs vies que de nos jours. À cette époque, le vouvoiement commençait à tomber au profit d’un tutoiement très respectueux et la fraternité entre les étudiants était d’une vigueur remarquable. C’était le temps des Beatles, The Doors, Pink Floyd, Bob Dylan, etc.

Ensuite, durant les années 80 où le Québec en entier entrait de plain-pied dans l’univers du disco, M. Martel est le témoin une fois de plus de la croissance de l’individualisme, mais qui, cette fois-ci, se manifeste autant à travers les comportements de ses élèves que ceux de leurs parents. Devant lui, il y avait, entre autres, ceux qu’il nomme les enfants de la liberté. Ce sont ceux qui, pour plusieurs et différentes raisons étaient laissés de plus en plus à eux-mêmes. Des familles un peu plus bohêmes aux familles où les deux parents étaient préoccupés par leurs carrières, les élèves étaient plus distants, plus durs à accrocher, moins dociles et les remises en question des rôles enseignant-élèves étaient de plus en plus fréquentes. En tant que professeur, M. Martel sentait que les jeunes, quoique plus critiques, étaient moins habitués à la chaleur humaine. Les familles comptaient d’ailleurs de moins en moins d’enfants. Mais, paradoxalement, c’est aussi dans ces années que débute l’implication des parents dans les rouages des établissements scolaires. Désir strict d’implication ou perte de confiance envers les enseignants, M. Martel souligne l’ambiguïté.

Puis viennent les années 90, là où l’éclatement de la cohésion sociale se fait de plus en plus sentir dans les classes de M. Martel. La fraternité de groupe est remplacée par quelques têtes fortes et leurs suiveux, les enfants de la liberté sont devenus les enfants de la garderie qui se tournent vers une émancipation sexuelle de plus en plus précoce et les gains de l’individualisme se sont tranformés en une culture du « moi-je ». C’est d’ailleurs dans ces années principalement que naît le mythe de l’enfant-roi, gâté à outrance pour combler une certaine carence affective. Cela apporte de graves conséquences sur les bancs d’école, car l’élève abandonne une position critique face au professeur au profit d’une position de contestation et d’opposition. Les jeunes ont conscience de la société légaliste dans laquelle ils vivent et des phrases comme « J’ai le droit de… » et « Tu n’as pas le droit de… » résonnent souvent entre les murs de la polyvalente. M. Martel avance qu’au début de sa carrière c’était le professeur qui créait la distance par rapport aux élèves, mais qu’aujourd’hui se sont les élèves qui la créent par rapport à l’enseignant.

M. Gilles Martel se retire de l’enseignement et prend sa retraite. Ses constatations des dernières années le laissent un peu perplexe. Les jeunes se cherchent, dit-il, ils se cherchent une place, perdus devant la complexité d’un monde qui roule à cent milles à l’heure, et ce, avec ou sans eux. Ils ont besoin d’encouragement pour combattre le défaitisme qu’ils traînent souvent comme des souliers pas attachés. Ce défaitisme du « On est né pour un petit pain », si bien enraciné dans nos têtes de Québécois. Oui, ajoute-t-il, les jeunes ont besoin d’encouragement… et d’un bon coup de pied au cul.

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