Allers-retours dans le grand Nord, comme les oies. « Comme les oies, nirliit ». Une incursion dans l’autre monde de chez nous, celui qui se situe « bien au-delà de la limite des arbres ». Dans ces étendues sans fin dominées par la toundra. Dans l’éclat rude de la banquise et le cœur enneigé de ses habitants. Dans leurs espérances flouées tant de fois. Dans la survivance glaciale d’un peuple millénaire.
D’un côté, il y a la beauté émouvante de l’Arctique. Les photos. Le paysage, les aurores boréales, le rire espiègle des enfants, les femmes avec leur bébé dans le dos, le regard perçant des chasseurs et, bien sûr, le sourire édenté des vieux. De l’autre, il y a la réalité. Les adolescentes enceintes, les dix onces de vodka Smirnoff, la violence, l’acculturation et, surtout, le désœuvrement et les armes que l’on retourne contre soi. Entre les deux, les visages se renouvellent mais les histoires se recoupent, les histoires se mêlent, les histoires se répètent.Allers-retours dans le grand Nord, comme les oies. « Comme les oies, nirliit ». Une incursion dans l’autre monde de chez nous, celui qui se situe « bien au-delà de la limite des arbres ». Dans ces étendues sans fin dominées par la toundra. Dans l’éclat rude de la banquise et le cœur enneigé de ses habitants. Dans leurs espérances flouées tant de fois. Dans la survivance glaciale d’un peuple millénaire.
Dans ce roman, on suit la voix d’une jeune enseignante qui revient chaque été à Salluit, au Nord du 62e parallèle. Elle vient travailler auprès d’enfants qu’elle a quittés souvent « heureux et libres à la fin de l’été » et qu’elle retrouve souvent « démolis et perdus l’année suivante ». D’une manière à la fois très tendre et très crue, elle nous raconte la vie et les aléas des gens qu’elle côtoie là-bas. Elisapie qui file à toute allure au volant du quatre-roues de sa mère vers « les eaux troubles de sa vie d’adulte ». Aida qui partira cet automne faire des études en ville pour rejoindre un homme qui a deux fois son âge. Gina, avec son œil au beurre noir causé par son petit ami, sous les yeux de tous mais dans l’indifférence totale. Ryan, quinze ans, la star locale de hip hop, « une fleur rare qui tente de se frayer un chemin vers le soleil ». Mais au-delà de tous ceux qu’elle croise, la narratrice s’adresse à une mère et à son fils. Eva et Elijah.
La première n’est plus de ce monde, elle a disparu dans les eaux sombres du détroit d’Hudson, poussée de l’embarcation par son amant. Le second peine à mener une vie digne. Ses amours sont sans cesse bousculés par les Blancs qui arrivent et repartent. Comme des voleurs. Comme des voleurs de cœurs. Qui détalent un jour sans dire un mot, quand leur contrat est terminé. À chaque fois c’est pareil, ils laissent derrière eux des sanglots étouffés et bien des pourquoi. Tu vas voir, dit Maata à sa collègue Mary à propos de son copain du Sud, « Ton Patrick est pareil comme tous les autres. Il va te domper aussi un jour ou l’autre ».
Dans le Nord, les Blancs sont des « nouveaux missionnaires qui prêchent la bonne hygiène de vie ». II y en a qui viennent pour l’aventure et d’autres pour l’argent. Mais, d’une manière ou d’une autre, le clivage persiste entre le Nord et le Sud. « Dans les années 1950, le gouvernement fédéral a procédé à l’abattage massif des chiens de traîneau pour forcer les Inuits à se sédentariser. Cinquante ans plus tard, il leur a remis des millions pour s’excuser. » Mais cinquante ans plus tard, remarque la narratrice, « comment ça se fait que toute cette richesse ressemble tellement au tiers-monde ? »
L’été, la beauté du Nord s’exhibe sous la lumière sans fin du solstice. Les enfants, qui « appartiennent à tout le village », jouent dehors toute la nuit. À marée basse, les gens cueillent des moules au bord du fjord. Les falaises brillent. Les odeurs de la toundra se répandent. Et les espérances émergent du désordre avant que les glaces ne se ressoudent à nouveau sur l’horizon. Avant que l’hiver poursuive son patient travail d’érosion.
Témoignage vibrant, Nirlitt livre un portait du Nord qui enchante et qui déchire. En levant le voile sur un monde dont nous ignorons tout afin de préserver quelques images truquées depuis longtemps, Juliana Léveillé-Trudel nous révèle un visage que nous n’avons jamais osé regarder en face. De peur qu’il éveille en nous une honte irrépressible. Nirliit nous rappelle ce qu’on s’efforce tant à nous faire oublier.
Juliana Léveillé-Trudel, Nirliit, La Peuplade, Chicoutimi, 2015, 173 pages.
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