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Les descendants de l’antique maïs

Des enfants qui grandissent trop vite
Paulette Vanier

Perte nutritionnelle

Les Aztèques et, avant eux, les Mayas, cultivaient un grand nombre de variétés de maïs, à grains noirs, bleus, rouges, jaunes ou marbrés. Or, ces variétés, que l’on regroupe aujourd’hui sous le vocable de « maïs indien » (Indian Corn) sont beaucoup plus riches en protéines (on parle de 30 % de plus pour les variétés à grains noirs ou bleus) que les hybrides modernes et sont, par conséquent, plus aptes à répondre aux besoins alimentaires des humains.

A l’arrivée des conquérants espagnols, le maïs que consomment les Aztèques est donc très nutritif, d’autant plus que ces derniers ont trouvé le moyen de traiter le grain avant de le cuire en le faisant tremper dans de l’eau additionnée de cendre, ce qui a pour effet de libérer certains nutriments et d’en favoriser l’assimilation par l’organisme. Avec le haricot, également originaire de cette partie du globe et qui lui est nutritionnellement complémentaire, cette céréale constitue la principale source de protéines. A ces deux grains de base, s’ajoutent les graines de citrouille, fournissant une huile comestible de qualité, ainsi qu’un éventail impressionnant de fruits et de légumes. Encore aujourd’hui, ce type d’alimentation, auquel bon nombre de scientifiques modernes recommandent d’ailleurs de retourner, prévaut chez les Mayas du Belize : la viande ne figure au menu qu’environ un jour sur quinze, modèle qui, selon les chercheurs ayant étudié leurs habitudes de vie, reflète bien les habitudes de consommation des Amérindiens d’il y a 500 ans.

Dans les siècles suivants, toute une série de changements se produiront au Nord, depuis la mécanisation de l’agriculture et le développement de la production laitière et bovine, jusqu’à la création dans le premiers tiers du 20e siècle de variétés de maïs hybrides, plus pauvres en nutriments que les variétés traditionnelles, mais de plus haut rendement et qui répondent donc mieux aux besoins d’un cheptel en pleine expansion. On n’attend plus de cette céréale qu’elle nourrisse adéquatement les êtres humains mais qu’elle engraisse le bétail.

Érosion génétique

Jusqu’à tout récemment, ces changements n’affecteront guère les paysans mexicains qui continueront de cultiver leurs variétés anciennes et d’en nourrir leurs familles.

Cependant, avec la libéralisation des lois du marché, ces variétés sont menacées de disparition. Sur les 200 à 300 que cultivaient les Aztèques, il n’en reste plus aujourd’hui qu’une quarantaine et on prévoit que ce nombre diminuera rapidement au cours des prochaines années. Au point que des chercheurs s’inquiètent de l’érosion génétique au sein de cette espèce, et de la perte possiblement irrémédiable de traits tels que les nombreuses résistances aux maladies et aux insectes, à la sécheresse, au froid, à l’humidité, qui caractérisent les variétés de maïs indien.

Les inquiétudes de ces chercheurs ne préoccupent guère les grandes multinationales de l’agroalimentaire, qui ne voient dans la culture de ces variétés pour lesquelles elles ne possèdent aucun brevet, qu’un empêchement à leur expansion mondiale et à leur enrichissement. D’où les pratiques, depuis un certain nombre d’années, de « dumping » de la part des États-Unis (et, à un moindre degré, du Canada) qui réussissent à vendre aux Mexicains leur maïs, génétiquement uniforme, à des prix moindres que ce qu’il en coûte à ces derniers pour produire leurs variétés traditionnelles, génétiquement diversifiées.

Dépeuplement des campagnes

Ces pratiques, qui sont dénoncées par des organismes citoyens tels Public Citizen, de même que par des regroupements de petits fermiers mexicains, ont non seulement pour effet d’accélérer le processus d’érosion génétique de cette céréale, mais aussi de forcer des millions de paysans (certains avancent le chiffre de 15 millions, soit l’équivalent d’un Mexicain sur six) à quitter leurs terres pour chercher du travail à la ville. Ainsi donc, la boucle est bouclée : alors que les Aztèques furent repoussés avec leur maïs vers des terres inhospitalières, éloignées des grands centres de décision, leurs descendants sont aujourd’hui dépossédés de ce même maïs et évacués vers les villes, où ils constituent une main-d’œuvre peu qualifiée et corvéable à merci.

Quant à la perte de valeur nutritionnelle des nouvelles variétés de maïs, qui s’en soucierait ? En effet, ne disposons-nous pas aujourd’hui du porc (de même que du bœuf et du poulet), que l’on peut désormais élever « hors-sol » dans les endroits les plus reculés du globe et qui constitue une des plus formidables machines à transformer le maïs en calories et en protéines ?

Toutefois, ce passage d’une alimentation essentiellement végétarienne à une nourriture carnée ne va pas sans conséquences, tant pour la santé animale et humaine que pour celle de la planète, comme nous le verrons dans le prochain numéro.

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