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- L'Histoire en feuilletons -

La Bataille des Plaines d’Abraham

La demi-heure qui a changé le monde
Guy Paquin

Montcalm blessé est ramené à Québec, aquarelle de Louis Bombled (1862-1927)

Chapitre 9 : Après la bataille

Lettre de M. de Bougainville à Mme de Montcalm

Madame,

Je me trouve chargé du triste devoir de vous annoncer une nouvelle bien cruelle. Monsieur de Montcalm, votre époux, a donné sa vie pour son roi. Il a été frappé par des éclats d’un tir à mitraille anglais alors qu’il conduisait vaillamment nos troupes à l’assaut pour sauver Québec et tout le Canada.

Je ne crois pas qu’il y ait aucun effort de consolation possible pour vous au moment de lire ceci. Cependant, j’ose espérer que, quand le temps aura, je ne dis pas effacé, cela ne se peut, mais au moins amenuisé votre chagrin, la lecture de ce qui suit sera un baume sur votre blessure.

Il y a trois ans, en juillet de 1757, je fis la connaissance de Monsieur le marquis de Montcalm. Nous avons voyagé de concert au Lac des Deux-Montagnes pour nous assurer du concours résolu des nations qui y vivent : les Nipissings, les Algonquins et les Iroquois. C’est lors de ce voyage que je pus apprécier les grandes qualités de M. le Marquis.

Il s’engagea avec moi dans ce périple des plus inconfortables qui se peut : pagayer toute la journée, dormir sous les étoiles et manger ce qu’on trouve. Il fit le voyage courageusement, souvent le sourire aux lèvres. Je vis que c’était un homme selon mon cœur, curieux de tout et réjoui par toutes les beautés de la faune et de la flore.

Quand notre petite armada de vaisseaux d’écorce arriva chez ces gens que j’ai mentionnés, il leur offrit un banquet selon leur goût. Puis, il reçut avec grâce les paroles amicales de nos hôtes, les remerciant avec des égards comparables à ce qui se pratique à Versailles quand le Grand Turc envoie une délégation.

À la fin de ces cérémonies de bienvenue, il convia les gens des trois Nations à venir avec nous au fort anglais de William Henry, à le prendre pour le Grand-Père français notre roi, à tuer beaucoup d’ennemis et à lever quantité de chevelures. Ce discours donna les résultats qu’il en attendait.

Selon le plan de votre époux, nos alliés des Trois Nations se placèrent entre Fort William Henry et Fort Edward afin d’intercepter toute estafette allant solliciter des renforts. Quant au gros de la troupe française, elle se mit à creuser des tranchées par lesquelles notre artillerie se rapprochait chaque jour davantage du fort.

J’ai eu l’insigne honneur d’être choisi par Monsieur le Marquis pour prendre bouche avec Monro, le général anglais du fort. Celui-ci avait fait hisser un drapeau blanc et M. de Montcalm me donna des instructions pour amorcer les pourparlers de reddition. Je fus donc le témoin direct de la magnanimité de Montcalm. Il laissa la vie aux soldats anglais et les autorisa à sortir du fort en parade, portant leurs couleurs.

À Carillon, Monsieur votre époux a fait montre d’un courage tel que des soldats français épuisés, affamés, ont reçu sans céder un pouce la vingtaine de charges des Anglais. Notre ouvrage d’abattis était si bien fait que nos hommes ont pu protéger le fort lui-même et recevoir les Godons sans broncher. Au soir, l’ennemi nous a laissé le terrain.

Il fallait alors voir notre cher Marquis, en chemise comme ses hommes, aussi crotté qu’eux à cause des efforts et de la chaleur, verser le vin et servir à manger à notre monde avec un sourire éclatant. Ce soir-là, Madame, fut le vrai triomphe de Monsieur de Montcalm.

De retour à Québec, il fallut lutter pour que l’inepte Vaudreuil Cavagnal ne puisse s’attribuer le mérite de la victoire. Je me suis chargé de cette tâche avec une joie vengeresse, je l’avoue sans ambages. J’ai intercepté une lettre du Gouverneur écrite pour faire croire au monde que c’était lui le vrai responsable de la plus cuisante défaite des Anglais depuis le début de la guerre. Je sus comment détromper le roi, ses ministres et même Madame de Pompadour.

Nous avons écrit tous les trois, M. de Bourlamaque, le chevalier de Lévis et moi-même. La réputation de notre général exigeait cette charge à trois. Il fallait à tout prix empêcher les immondices coulant de la plume de Vaudreuil de tacher le mérite impeccable de votre époux. J’ai constaté par moi-même lors de ma venue à Versailles l’an dernier que plus personne de croyait les rodomontades de ce faussaire.

Je dois, Madame, vous narrer l’ultime journée de notre héros. J’espère atténuer quelque peu par ce récit, dans la mesure où cela est possible, le chagrin immense qui vous accable. Il a constaté le premier, en compagnie de l’excellent Montbeillard, les préparatifs des Anglais sur ce funeste théâtre de bataille que furent le lieu-dit « Plaines d’Abraham », presqu’aux portes de Québec.

Ceci fait, il a dû faire l’antichambre du Gouverneur qui, en ce terrible rencontre*, dormait bien paisiblement. Éveillé, Vaudreuil-Cavagnal a continué avec toute l’obstination des demeurés de refuser armes ou troupes, prétextant que la présence des Anglais était un leurre et que Montbeillard et le Marquis était les dupes de cette ruse. Je n’étais pas présent lors de cet entretien, mais Montbeillard m’a dit plus tard que votre époux avait presque tiré l’épée pour convaincre le Gouverneur. Ce dernier a finalement cédé sur toute la ligne.

M. de Montcalm se rendit compte de l’intention ferme de Wolfe, le général anglais, de ne pas charger nos troupes. Il décida donc que ce serait les Français qui donneraient l’assaut, avant que les Anglais fissent monter sur les Plaines d’Abraham davantage d’hommes. Le tambour battit la charge et toute notre armée s’ébranla. En moins de trente secondes, nous marchions au pas de charge, mais notre mouvement s’effrita à cause des ravines du terrain.

Je ne sais pourquoi la troupe se mit à tirer très prématurément. Un mousquet ne vaut plus rien si on tire à plus d’une certaine distance. Les balles ne firent donc aucun dommage à l’ennemi, mais ce tir prématuré laissa notre armée sans munitions arrivée à distance efficace.

De plus, les régiments eux-mêmes ne furent pas unanimes dans leur charge. Tandis que les hommes les mieux entrainés rechargeaient leurs armes et reprenaient l’assaut, beaucoup rechargèrent puis restèrent couchés. Le chevalier de Lévis m’a dit que l’échec final dépendait presque complètement de cette absence de discipline. Les Anglais, eux, s’entrainaient chaque jour au tir sur cible.

Me reste, Madame, à raconter le trépas de votre cher époux. J’ai eu trop d’amitié pour lui et je ressens trop de douleur pour narrer cela. Qu’il suffise donc de dire qu’il fut touché mortellement quand il chevauchait vers la porte de la ville pour y organiser la résistance aux ennemis qui en approchaient. Montbeillard l’a soutenu et le fit entrer à Québec. Il est mort au petit matin, ayant reçu les consolations de la Religion.

Je vous quitte en vous souhaitant la même force d’âme que votre époux a eue dans son ultime bataille.

Louis-Antoine de Bougainville, colonel et aide-de-camp de Louis-Joseph de Montcalm, lieutenant général du roi de France en Canada

* rencontre  : au masculin, correspond à un ancien usage signifiant « événement fortuit ».

Cette série se conclura la semaine prochaine avec la mort au combat du général Wolfe.

 

 

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