La Mort du général Wolfe, tableau de Benjamin West (1770)
Chapitre 10 : Après la bataille
Lettre du capitaine De Laune à M.William Pitt
Québec, le 14 septembre 1759,
Votre excellence,
Les troupes du roi sous le commandement du général James Wolfe ont battu hier l’armée française du général Montcalm à Québec. Nous sommes maintenant les maîtres de la ville et si le général Amherst peut prendre Crown Point sur le lac Champlain, il pourra faire le siège de Montréal et achever notre but dans cette campagne : faire du Canada une colonie britannique.
Le général Wolfe, si désireux de servir son roi et le Parlement des Commons, a pris un risque énorme pour accomplir votre volonté et celle de tous les députés du roi George, notre souverain bien-aimé. En pleine nuit, il a réussi l’exploit de placer plus de deux milles hommes sur le seul théâtre propre à une bataille rangée contre les troupes françaises, un vaste espace plat nommé à Québec « Plaines d’Abraham ».
Notre général a fait le pari risqué suivant : que nos hommes de troupe et nos officiers se comporteraient selon la plus parfaite discipline militaire et recevraient sans broncher la charge des ennemis. Le général croyait à la victoire de nos hommes parce que, comme il aimait à le répéter : « Le Marquis de Montcalm est à la tête d’un grand nombre de mauvais soldats alors que moi, je suis à la tête d’un plus petit nombre d’excellents soldats. »
La charge désordonnée des Français, leurs tirs imprécis et sporadiques et, surtout, notre réplique massive et visant des cibles spécifiques ont donné raison au jugement de M. le général Wolfe. Chaque balle a atteint son but et le saisissement des troupes ennemies a vite cédé le pas à leur panique générale. Nous avons calmement tiré quatre rondes de munition tandis que les hommes de Montcalm arrivèrent tout juste à tirer une seule fois et ne visèrent aucune cible particulière. La plupart des soldats ennemis n’ont rien visé du tout, se contentant de vider leur arme.
Hélas, hélas, votre Excellence, il a suffi de seulement trois tirs bien ajustés pour nous priver d’un héros avant même la reddition de l’ennemi. Le général Wolfe chevauchait devant nos hommes, stimulant la vaillance de tous et réclamant à hauts cris qu’on tienne bon en attendant patiemment que les soldats français soient tout près pour tirer.
Ses ordres furent suivis parfaitement. Mais notre héros chevauchait bravement devant nos troupes. Il a offert aux francs-tireurs français la cible parfaite. Une balle lui a d’abord transpercé le poignet. Il fit panser sa main sans même descendre de cheval. Il filait sur sa monture vers la gauche de notre dispositif quand une autre balle l’atteignit à l’aine. Par bonheur, il portait un grand manteau bien épais et cela absorba le choc.
Quand la quatrième salve britannique acheva de décimer les régiments de Guyenne et de Béarn, le général reçut une balle française en pleine poitrine. Il a vidé les étriers et s’est écrasé par terre. Tandis que nos Écossais sortaient leurs claymores du fourreau et partaient en courant à la chasse aux soldats français qui fuyaient, Wolfe a perdu connaissance.
Quelques officiers se sont portés à l’aide du général. Il a ouvert les yeux et a entendu quelqu’un des nôtres crier « Ils s’enfuient ! » « Qui fuit ? », demanda-t-il alors. « Les Français, Monsieur. » « Ordonnez au colonel Burton de couvrir le pont de chaloupes sur la rivière, que l’ennemi ne puisse prendre ce chemin pour nous échapper. » Puis, votre Excellence, le général Wolfe est mort.
Je dois à la vérité de confesser que je suis de ceux qui, dans les derniers mois, avaient pris notre général en grippe. Son abord rugueux, ses sautes d’humeur et ses refus répétés d’avoir recours à ses brigadiers généraux pour l’assister dans la conception des plans stratégiques ou tactiques ont dressé contre lui Messieurs ses brigadiers.
M. Saunders était devenu clairement hostile à Wolfe. Il faisait circuler au mess des officiers des caricatures du général son supérieur. Je suis un de ceux qui se sont amusés à voir l’image de Wolfe en train de humer les latrines pour s’assurer qu’elles sont bien propres.
Aujourd’hui, je réalise que Townshend a été imposé au général par votre excellence. Je me rends compte aussi qu’un abime social séparait M. Wolfe de M. Townshend. Ce dernier était fils de vicomte et neveu d’un duc. Il était aussi immensément riche. James Wolfe, lui, provenait d’une modeste famille et ne devait son rang militaire qu’à sa valeur.
Il m’est devenu évident que les rapports entre Wolfe et le brigadier général Monckton étaient eux aussi tendus à l’extrême. L’Honorable Robert Monckton était le fils puiné du Vicomte Galway et cela suffisait dans notre Angleterre pour bâtir une muraille de Chine entre cet homme de peu d’esprit et le général Wolfe.
Quant au général James Murray, comme Saunders, il était à Québec parce que Wolfe
l’a voulu à ses côtés. Quoique fils du baron Elibank et héritier de toute la morgue typique à la noblesse britannique, Wolfe a voulu de lui pour l’avoir observé au front dans la prise de Louisbourg. C’est un être exécrable, brutal et dangereux autant pour ses hommes que pour quiconque lui apparaît faire obstacle à son ambition.
Les profonds écarts sociaux qui minent notre patrie et fractionnent l’unité qu’on y souhaite nuisent aux succès militaires. C’est l’ambition du général Wolfe qui l’a poussé à refuser d’associer ses brigadiers à la conception de ses plans du siège et de la prise de Québec. Il a voulu que le succès éventuel ne soit issu que de lui, simple Briton, fils d’un colonel de la Royal Navy ne devant son grade qu’à sa valeur.
Cet acharnement à vaincre ou à périr tout seul, sans n’avoir rien à devoir aux créatures issues des couches supérieures, a failli faire échouer la prise de Québec. Mais c’est aussi à cette obstination qu’on doit la victoire.
Que votre Excellence pardonne à votre serviteur ces observations fort peu militaires. Et que votre Excellence soit assurée que je suis et reste
Votre serviteur.
William De Laune
Ainsi s’achève la série de feuilletons historiques
La bataille des Plaines d’Abraham
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Bravo Guy Paquin pour cet excellent compte-rendu d’un événement de la plus haute importance concernant notre histoire nationale! Fort agréable à lire! Je fréquente régulièrement les Plaines d’Abraham qui sont devenues tout à coup plus animées, plus « vivantes » à la lecture de votre récit.
Merci au Journal Le St-Armand pour ce beau cadeau littéraire.