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La Bataille des Plaines d’Abraham

La demi-heure qui a changé le monde
Guy Paquin

La prise de Québec, tableau de Hervey Smyth (1734-1811)

Chapitre 8 : le jour de la bataille

L’Homme Rouge et l’Homme bleu

Bleu

Montcalm, juché sur Hippolyte, brandit très haut son épée et parcourt les rangs de son armée. Il entend les cris de ses hommes : « Conduis-nous, général ! », « À l’attaque ! ». Le marquis met pied à terre et demande au régiment de Guyenne : « Alors, mes Gascons, êtes-vous prêts ? » Un rugissement unanime lui répond : « Oui ! »

« Et vous, Langlade, et vos amis des Grands Lacs ? » « Mon général, Kashakawasheka m’a dit que son mousquet était bien propre et qu’il n’arrêterait de tirer que si l’arme s’échauffait trop. Alors, m’a-t-il dit, je rallumerai ma pipe, le temps que mon fusil refroidisse assez pour tuer d’autres Anglais. » « Dites-lui, Langlade, que j’irai lui apporter de mon tabac s’il en manque durant la bataille. »

Un petit soldat à tête de fouine demande en italien à son ami s’il voit bien l’Homme Bleu. « Sûr, répond le géant, c’est celui qui passe sur son cheval noir. » « Quand il pointera son sabre vers l’ennemi, lui répond le petit, nous marcherons, mais pas avant. »

« Monsieur, Monsieur, regardez ! » L’aide de camp Langlade indique l’extrême nord du dispositif français. Montcalm sort sa longue-vue et s’écrie : « Il arrive au front dans une calèche ! Je n’en connais qu’un pour faire ça ! Tenez, Langlade, regardez ce spectacle rare. » Langlade ajuste la lorgnette et constate : « M. de Vaudreuil. » « Tel que je le connais, dit le général, il doit avoir quelques provisions de bouche et une bonne bouteille à bord. On dira ce qu’on voudra, mais fou, c’est comme ça que je voudrais l’être. »

Langlade pointe la longue-vue sur les Anglais, à une-demi portée de canons de la Butte-à-Neveu. « Ils ont plusieurs canons et ils creusent des retranchements. » Montcalm vérifie. « Décidément, milord Wolfe n’est pas aussi sot que le croit Vaudreuil. S’il se retranche là-bas, c’est qu’il ne veut nullement nous charger. C’est très contrariant. » « Qu’allons-nous faire alors, mon général ? » Montcalm se tait.

Montbeillard arrive et son cheval piaffe d’impatience. « Doucette s’énerve, Marquis. On vient de ravitailler Royal-Roussillon et elle a entendu les premiers grondements des deux canons anglais. » « Si nous donnons à Wolfe le temps d’établir des tranchées ou même des redoutes, nous n’en viendrons pas à bout. Et il aura tout le temps de monter d’autres canons. Mais, nom de Dieu, que fait Bougainville ? N’entend-il pas le canon ennemi ? »

Dans sa calèche, M. de Vaudreuil compose déjà la lettre qu’il enverra à Versailles, s’attribuant les mérites de la victoire. Il regarde l’Homme Bleu au loin et souhaite que, au plus chaud des combats, une balle ou un boulet le fauche. Ainsi, Montcalm mort, le gouverneur du Canada n’aura pas à partager les lauriers de la victoire.

Rouge

Le capitaine écossais se tient bien droit devant l’Homme Rouge à cheval. Les Highlanders l’ont appelé pour régler la question de savoir s’ils peuvent exempter certains des leurs de servir pendant la bataille. Le général met pied à terre et les écoute. « Nous avons quatre porte-drapeaux et deux cornemuseurs. Ils ne sont pas armés et ce sont des cibles faciles. » « Je vous accorde un seul cornemuseur. Que l’autre reste derrière ou qu’on lui donne un fusil et qu’il se batte. Pour les porte-drapeaux, deux suffiront. » « Et pour les tambours, Monsieur, pour rythmer la charge ? » « Pas de tambour, parce qu’il n’y aura pas de charge. » « Pas de charge ? »

« C’est exact », confirme l’Homme Rouge qui remonte à cheval et s’éloigne.

Il repasse devant les six blocs de trois à quatre cents militaires chacun qui composent sa réplique à la charge des Français. Il s’assure que les hommes de troupe ne tireront que quand les Français l’auront fait. « Recevez leur tir en premier. Vous répliquerez quand ils seront à recharger les mousquets. Ensuite, notre canonnade les fixera sur place. Vous achèverez alors le travail. Vos officiers vous ont indiqué dans quelle direction tirer. Tenez-vous-y. »

Le capitaine William de Laune arrive à cheval. Il sort un livre de sa poche et le brandit bien haut en disant : « La recette de la victoire ! »  Wolfe regarde la plaquette usée par des lectures répétées. « Vous vous souvenez, général ? Vous me l’avez donnée il y a des lustres. » Wolfe lit le titre : A Treatise of Military Discipline. Il esquisse un sourire.

« Je pense encore beaucoup de bien de l’arme effrayante qu’est la discipline militaire. Quelques milliers de soldats capables de recevoir le tir de l’ennemi sans broncher découragent l’adversaire mieux que les mouvements tactiques les plus brillants. La question est maintenant de savoir si les Français de Monsieur de Montcalm sont allés à semblable école. »

« Mon général, s’il vous plaît d’accorder quelques instants à la question que m’ont faites les marins qui ont halé nos canons jusqu’ici. » « J’écoute. » « Ils veulent rester et se battre avec les soldats. » « Avec quoi ? Ce sont des matelots. » « Ils ont des sabres d’abordage, Monsieur. » « De Laune, dites-leur de se retirer et puis tournez-leur le dos pour ne pas voir s’ils vous obéissent ou non. Comme ça, ils agiront selon leur conscience. » « Bien Monsieur. » « Vous pouvez aussi leur dire que le mot d’ordre de la journée est : Stand fast !  ».

Le général se place sur une éminence à droite de ses ligne afin d’être vu de tous ses soldats. Il respire un bon coup et caresse l’encolure de son cheval. Il se redresse et profite un court moment du beau soleil d’automne, du bleu du ciel et des nuages d’ouate qui décorent l’azur. « Un temps pour jardiner », pense-t-il. Puis, il retire son tricorne et adresse sa prière à Dieu ou à la magnificence du monde. Il remet son couvre-chef. Il entend alors un bruit staccato venu de l’est. Les tambours français battent la charge.

 

 

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