Le grand brochet (Esox lucius) et le brochet maillé (Esox niger)
La rivière aux Brochets est pour moi un des plus beaux corridors fluviaux du Québec. De son origine, située au lac Carmi (Vermont), elle descend un lent gradient altitudinal ponctué de légères ruptures de pente. Elle s’évase dans les marécages tourbeux bipartites de son embouchure qui font partie du territoire de Saint–Armand.
Il y a très longtemps que les humains remontent et descendent paisiblement la rivière aux Brochets. Les recherches de l’archéologue Claude Chapdelaine (1990-1995 – que les premiers Amérindiens à y venir appartiennent à la période de l’Archaïque (10 000 à 3 000 ans Univ. de Montréal) nous informent « A.A. »1). Les plus vieux indices, des pointes de chert2 vieilles de 5 000 ans (Archaïque laurentien), ont été trouvés dans une basse terrasse appartenant à la famille Gasser, située à proximité des premiers rapides en aval de la rivière. Durant l’été, la pêche était aussi importante que la chasse. La rivière aux Brochets est reconnue comme un important lieu de frai pour plusieurs espèces, comme le doré jaune et le grand brochet (Esox lucius).
Le frai du grand brochet a lieu en avril, aussitôt que les glaces ont libéré les frayères. Celles-ci sont idéalement des endroits peu profonds (15 à 20 cm) où la végétation est dense. Les zones de frai se situent en périphérie des marécages tourbeux de l’embouchure de la rivière et dans les plaines inondables en amont, aujourd’hui en culture. Le frai a lieu de jour, mâle et femelle roulent ensemble sur le côté et expulsent simultanément laitance et œufs par des vibrations rapides du corps. Les œufs sont ainsi éparpillés au hasard et ne font l’objet d’aucun soin. Pour assurer la survie, il en faudra donc un très grand nombre. On estime ce dernier à 32 000 en moyenne par femelle adulte, mais il pourrait atteindre 500 000 chez les plus grosses. Pendant leur première semaine les jeunes sont inactifs ; ils demeurent fixés à la végétation à l’aide de ventouses qu’ils possèdent sur la tête.
Tout récemment, il y a 400 ans cette année, le géographe Samuel de Champlain venait au Pe-Ton-Bowk accompagné d’Algonquiens et de Hurons ainsi que de neuf hommes dont Godet des Maretz et le pilote Jean Routier dit La Route. Lors de leur remontée de la rivière des Iroquois (rivière Richelieu), ils y nomment la rivière de Gennes (aujourd’hui rivière Yamaska). Le 12 juillet 1609, les trois hommes arrivent devant un lac immense ; immédiatement, ce plan d’eau reçoit le nom de lac Champlain. Samuel de Champlain vient y combattre près de 200 Iroquois et tue leurs trois chefs avec son arquebuse. Selon les récits officiels, ce sont les premiers Européens à pénétrer ce vaste bassin versant par le nord. À cette période, 10 000 Abénakis vivaient sur le territoire qui est aujourd’hui le Vermont. Il semble que Champlain ne soit pas venu à la baie Missisquoi, mais un collaborateur de ses expéditions y est sûrement venu. Ses cartographies puisaient parfois dans les récits oraux des Amérindiens.
La suite temporelle de l’occupation du territoire nous informe d’une lente colonisation et de la mise en valeur de la vallée du Saint-Laurent et du Richelieu. En ce qui concerne la région de la baie Missisquoi, c’est vers le début des années 1730 que les Français et les Canadiens commencent à fréquenter de façon soutenue ses voies navigables. La rivière du Brochet apparaît sur les cartes (voir la carte). Le sieur Auger, arpenteur du roi, viendra y délimiter les premières seigneuries.
Vis-à-vis le site archéologique Gasser, aux premiers rapides, d’abondantes prises de grands brochets ont été réalisées vers 1880. The water seemingly alive with these frisky fellows… lisait-on dans une publication locale. La destruction massive des géniteurs qui s’en est suivie porte ombrage à la toponymie de cette belle rivière. Amateurs de canot et de kayak, je vous recommande fortement de faire comme les Amérindiens et nos ancêtres, et de descendre paisiblement cette grande veine de notre territoire qui abrite une flore riparienne et forestière ainsi qu’une faune unique et particulièrement riche pour le sud du Québec.
S’y enivrer une fois, c’est y rester à jamais en esprit.
Sources
Lacoursière, J., 1995. Histoire populaire du Québec-Des origines à 1791. Ed. Septentrion, 481 p.
Lussier, C. 2004. Profils historiques du bassin versant de la baie Missisquoi. Corporation Bassin Versant Baie Missisquoi. Portrait du bassin versant de la baie Missisquoi. 100 p. + cartes et tableaux.
Ministère de la Marine et des Colonies (1731). Carte. Reproduction réalisée par Mc Aleer (1906)
Ministère des Ressources Naturelles et de la Faune (2006). Les poissons sportifs du Québec. Affiche.
McAleer, G. 1906. Etymology of Missisquoi. A study in the indian place name Missisquoi. The Blanchard Press, Worcester Mass. 103 p. Villeneuve, F., Février – Mars 1980. « Le grand brochet (Esox Iucius) », Revue La plongée, Volume VII, No. 3.
Notes
1. A. : Avant l’Actuel
2. Groupe de roches sédimentaires siliceuses formées de calcédoine et d’opale
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