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Le conte, la conteuse et les oreilles…

Ma rencontre avec la conteuse Pétronella Van Dick
Marie-Hélène Guillemin-Batchelor

Pétronella conte des histoires… (photo : André Roy)

Il était une fois…

On ne peut s’empêcher d’ouvrir grand les oreilles quand on entend ces mots. Ils suscitent la curiosité, dérident nos traits trop souvent tendus et actionnent l’interrupteur de notre imaginaire. On a juste envie d’être là, détendu, présent, et d’écouter.

Qui dit conte, dit conteur ou conteuse. Est-ce là un métier ? Une passion ? Un art ? C’est tout cela à la fois. Mais d’abord, il faut que je vous raconte ma rencontre avec la conteuse Pétronella Van Dick.

La conteuse aux pieds nus

Sachant qu’il se donnait une soirée de Contes de Loups en avril dernier dans notre région, nous sommes partis en groupe assister à ce spectacle. Quelle merveilleuse découverte ! Les histoires de loups peuvent parfois être effrayantes. Et pourtant, elles étaient si bien racontées par une « meute de conteuses », que nous étions tous sous le charme. Il régnait dans la petite salle une atmosphère d’amitié bienfaisante et généreuse, un calme, une douceur et un bien-être qui ne ressemblaient en rien à l’excitation que procure un spectacle, mais plutôt à une sorte de communion ancienne et magique. J’ai voulu en comprendre le pourquoi.

Pétronella Van Dick est une belle femme aux yeux vifs, au sourire immense. Elle dégage une bonté et un grand calme. Lorsqu’elle conte de sa voix chaude, tout son être participe. Comme elle est très proche de son auditoire, les vibrations sont ressenties par toutes les paires d’oreilles présentes. Debout, elle conte pieds nus.

Pourquoi pieds nus ?

« Pour être entièrement en contact avec mon corps. »
« Pour être là où je suis, totalement présente. »

Sa présence totale explique l’envoûtement sous lequel on se trouve quand on l’écoute. Une phrase de Freud me revient : « Au commencement des temps, les mots et la magie étaient une seule et même chose. »

L’Art de la Parole

Quel déclic a amené Pétronella à devenir conteuse ?

Une maitrise en arts dans la poche, elle a travaillé et évolué dans divers milieux culturels et artistiques. Puis, il y a une vingtaine d’années, suite à une rencontre avec un groupe de conteurs dans un festival à Montréal, elle a été attirée par la magie de l’art de la parole. Ce qui l’a touchée, c’est l’extrême humilité et la simplicité généreuse des conteurs, comparativement aux acteurs de théâtre, de cinéma et de télévision. Car le conte n’a jamais été considéré comme un art noble, étant donné son origine populaire. Il a longtemps été regardé de haut dans les milieux intellectuels.

Cette rencontre avec les conteurs a suscité une véritable passion chez Pétronella. Tombée dans la marmite du conte, elle en a fait une vocation. La fabuleuse découverte de ses origines, l’interprétation qu’on en fait et les variantes auxquelles chacun à donné lieu à travers le monde avaient de quoi contenter Pétronella et de quoi régaler le public pendant longtemps. Car des contes, il en existe beaucoup.

Pourquoi l’être humain a-t-il besoin de contes ?

Pétronella explique que, chez l’être humain, il y a toujours eu un besoin fondamental de se regrouper, d’être ensemble et de parler. Le conte évoque des histoires qui nous plongent dans l’imaginaire. Se rassembler pour écouter une histoire est un remède bénéfique qui exerce un effet puissant, celui de nous faire oublier la réalité. Le conte peut contrer la solitude ou soulager la maladie. Il peut aussi faire oublier des moments tristes ou difficiles. Un ami de Pétronella, le conteur Jihad Darwiche, rapporte que, durant les combats au Liban, sa mère et les femmes du quartier réunissaient les enfants et leur contaient des récits qui, le temps d’une histoire fabuleuse, leur feraient oublier les horreurs quotidiennes et la dureté de l’existence.

Maison de rêve

Dans le but de faire connaître le conte et ses bienfaits, il y a une vingtaine d’années, Pétronella a mis sur pied dans l’Estrie un organisme culturel qui porte aujourd’hui le joli nom de « Maison des Arts de la Parole ». Depuis dix ans, elle donne des ateliers sur l’art de conter. Les cours s’étalent sur huit semaines, à raison de deux heures et demie par semaine. Pour bien conter il faut se pratiquer beaucoup et souvent. Il faut trouver la cohérence entre la gestuelle, l’histoire et la parole. Il faut aussi trouver des contes qui correspondent bien à la personnalité du conteur ou de la conteuse.  « Le conte, explique-t-elle, n’est pas un jeu d’acteur, mais la conscience de tout ce que l’on est. »

Le rêve de Pétronella

Pétronella a un beau projet à long terme. Continuer à distribuer du rêve et de l’imaginaire. Raconter d’une manière inspirante. Faire comprendre que le conte aide au développement de la mémoire et de l’intelligence. Poursuivre le rite social du « passeur de mots » qui regroupe les gens autour d’une histoire.

Rappelons-nous que chez nous, dans nos belles écoles du primaire, l’imaginaire est omniprésent. À Frelighsburg chacune des classes est représentée par une  fable. À Saint-Armand chaque classe correspond à un conte. Vous souvenez-vous de la rentrée des classes où la nouvelle directrice, Anne Bérat, assise sous un bel arbre, entourée des enfants, a inventé un conte et en a fait le récit ?

Nos élèves ont bien de la chance d’avoir un si beau départ dans l’imaginaire. Ils ont l’espoir d’un avenir meilleur car les contes finissent toujours très bien !  Un jour…  ah… un jour… s’ils rencontrent Pétronella, il y aura des étincelles magiques des deux côtés. Et, ils s’inventeront des  histoires merveilleuses à dormir debout…

Michel Hindenoch, grand conteur français que Pétronella Van Dick connait bien, a écrit ce magnifique poème qui définit et résume parfaitement ce que veut dire conter.

Tiré du site : www.lessinguliers. fr/spip.php?rubrique1

Les contes sont de nulle part
Et pourtant on les retrouve partout.
Ce sont eux, les plus grands voyageurs.

 Ils n’ont pas de nationalité,
Ils parlent toutes les langues,
Aucune frontière n’a jamais pu les arrêter.

 Aucune époque, aucun terroir,
Aucune famille, aucun bavard,
N’ont jamais pu se les accaparer.
Et Dieu sait s’ils ont tous essayé…

 Ils sont le miroir de l’homme.
Une seule chose peut les briser : le silence…

 Pour que leur marche planétaire
Ne s’arrête pas devant ma porte,
Je leur donne ma voix, ma langue, ma musique.
C’est ma manière.
C’est la monture que je leur donne.

 Je suis conteur :
Je suis un homme d’aujourd’hui,
Des histoires plus vieilles que le monde
Et plus jeunes que la dernière pluie.

 Je suis conteur.
Et je suis le frère de tous les autres,
Quels qu’ils soient, où qu’ils soient,
Et peu importe comment ils font,
Ni de quel droit,
Pour peu qu’en racontant,
Ils aient eu à la fois,
Ne serait-ce qu’une seule fois,
L’âme et la bouche ouverte…

Michel Hindenoch

Semer des contes aux quatre vents

Pétronella a aussi fondé le festival « Les jours sont contés en Estrie », qui se déroule en Estrie. Ce qui ne veut pas dire qu’elle se cantonne à cette région ; elle déploie ses soirées de contes partout, même tout près de chez nous, comme à Cowansville et à Frelighsburg. Elle sème ses contes aux quatre vents ! En fait il suffit qu’une vingtaine de personnes aient le désir d’une soirée de contes, pour qu’elle propose parmi son grand répertoire, des contes par thèmes (de femmes, de loups ou autres sujets).

La Maison des arts de la parole va bien plus loin en proposant des contes « clef en main » : des histoires sur mesure pour des entreprises, pour des associations culturelles ou pour des évènements spéciaux comme…un anniversaire ! Quelle joyeuse idée d’offrir un tel cadeau : « Tenez mes amis, on s’offre une soirée de contes des mille et une nuits pour fêter les 80 ans de ma tante… ». Imaginez un peu l’enchantement d’une telle soirée …

Contes …Conter…Conteur…Conteuse

Le mot vient du latin computare, qui signifie  « calculer ». Computare a donné le verbe compter, mais aussi, conter. Jusqu’à l’époque de Louis  XIV, le mot « conter » signifiait autant raconter  que calculer. (En anglais, ordinateur se traduit par computer, qui a ce même sens de comptabiliser, énumérer.) Le mot « conter » était utilisé  dans le sens d’énumérer des faits ou les évènements d’une histoire.

Par exemple on disait : « Contez-nous comment  ceci est arrivé … ». Puis il a évolué. On l’employait toujours pour raconter une histoire, mais  on augmentait cette dernière d’ajouts inventés,  d’un soupçon d’imagination, de quelques touches d’originalité, pour l’embellir ou la pimenter. On retrace cette évolution dans des expressions comme  « conter des sornettes », « en conter des belles  » ou bien « conter merveilles ».

Et de merveilles en merveilles, le conte est devenu ce qu’il est : un récit imaginaire et, pendant bien longtemps, oral. Celui ou celle qui raconte oralement une histoire se sert de ses connaissances, de son imaginaire et de ses talents d’improvisation.

Par la suite, certains de ces contes ont été transcrits par écrit et on a oublié que leur transmission s’était d’abord faite sous forme orale. Heureusement, et pour notre plus grand plaisir, dans les années 1970, le Québec a connu un renouveau pour les contes et l’art de conter, si bien que les festivals se multiplient, comme c’est le cas ailleurs sur la planète.


Autrefois, il suffisait pour être conteur de savoir raconter une bonne histoire. Tous les camps de bûcherons avaient leur conteur, qui permettait aux gars de passer de bonnes soirées après leur dure journée de travail. Comme les histoires étaient vraiment très bonnes, elles se sont transmises oralement d’une génération à l’autre. Malgré les ajouts, les modifications et les altérations selon les conteurs, leur structure est restée intacte. Aujourd’hui on aimerait bien les étudier, les analyser et les répertorier. Les frères Grimm ont effectués de gros travaux de classification au début des années 1800. Mais il reste beaucoup à faire. Car depuis que l’être humain parle, il raconte !

Ce travail n’a jamais donné un résultat entièrement satis faisant. Les diversités du conte sont trop vastes pour qu’on arrive à en classifier l’imaginaire, où tout semble possible : le surnaturel y est omniprésent, les animaux parlent et se transforment, les pays sont fantasques, il y a distorsion du temps et de l’espace. Tout est permis, tant que l’imagination est à l’œuvre. Il est intéressant de constater qu’on peut retrouver la même histoire à travers le monde quand son thème est universel : les princes, les animaux, les marâtres, les êtres irréels, les vilains et les gentils ont des points communs primitifs qui se retrouvent dans toutes les cultures. On a découvert une version chinoise de Cendrillon qui date de plus de mille ans ainsi que  des Blanche-Neige russes…

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