En matière de politiques vertes, on peut affirmer, sans trop se tromper, que nos gouvernements ont une palette qui va du vert pâle au vert « jaquette d’hôpital ». On a vraiment du mal à y voir du vert qui ose s’exprimer franchement. C’est proprement désolant en cette époque où, semaine après semaine, les données scientifiques nous rappellent que le temps presse et qu’il sera bientôt trop tard pour éviter le pire, où nos enfants et nos petits enfants ont commencé à nous dire « Mais qu’attendez-vous pour bouger ? » où de plus en plus de municipalités adoptent la Déclaration d’Urgence climatique, où les citoyens signent massivement le Pacte pour la transition…
Il y a quelques semaines, nous apprenions avec tristesse le décès de l’agronome Richard Lauzier, qui a beaucoup travaillé auprès des agriculteurs de Brome-Missisquoi dans le but de trouver des solutions de rechange aux pratiques agricoles contribuant à la pollution endémique dans la baie Missisquoi (voir à la page 5). À la fin de sa carrière, il nous confiait son inquiétude face à la trop lente progression de la nécessaire transformation de nos pratiques agricoles. Quand il a pris sa retraite, il était le dernier agronome, dans Brome-Missisquoi, à l’emploi du Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).
Peu après son décès, un autre ancien agronome du MAPAQ faisait la manchette. Congédié pour avoir informé les médias sur l’influence indue que les fabricants et vendeurs de pesticides exercent sur l’orientation du travail des scientifiques d’un centre de recherche principalement financé par le MAPAQ, Louis Robert a alors présenté sa candidature à la présidence de l’Ordre des Agronomes du Québec lors de l’élection qui a eu lieu le 9 mai dernier.
Il proposait d’importants changements, souhaitant notamment « que l’agronome responsable de la recommandation ne soit pas rémunéré d’une façon ou d’une autre par une société impliquée dans la fabrication, la distribution ou la vente d’intrants ». Il pensait pouvoir mettre au pas l’industrie et voulait s’inspirer de la France, qui a récemment voté une loi interdisant qu’un agronome soit à la fois vendeur et conseiller en agriculture. Michel Duval, le président sortant contre lequel il se présentait, disait ne pas être prêt à aller aussi loin pour le moment. « Je ne vous dis pas qu’on n’ira jamais à ce point-là, mais pour l’instant, on n’est pas rendus là » a-t-il déclaré peu avant l’élection.
Le 9 mai dernier, pas moins de 64 % des agronomes du Québec ont voté. Un taux de participation record, semble-t-il. Sur les 1927 agronomes qui se sont exprimés, 956 ont appuyé Louis Robert, tandis que 971 votaient pour le statut quo que proposait le président sortant. Les changements proposés par Louis Robert ont donc été rejetés par 15 voies uniquement.
Ce rejet du changement, qui l’a emporté de peu, était-il justifié ou justifiable ? Il y a lieu de se le demander face à un résultat aussi serré. D’autant plus que, dans les jours qui ont suivi cette élection, on apprenait, de la bouche du sous-ministre à l’Environnement, Marc Croteau, que 15 agronomes québécois ayant des liens avec des distributeurs, des vendeurs ou des fabricants d’atrazine, étaient responsables de près de la moitié des prescriptions de cet herbicide. Et quelle fut la réaction du ministre ? Bien qu’il se dise préoccupé par les prescriptions de pesticides par un « petit groupe d’agronomes », Benoit Charette, estime que « le gouvernement ne doit pas se précipiter pour agir ».
Même le ministre de l’Environnement a un faible pour le vert très pâle, voire délavé.