Deux hommes marchent en forêt. Ils s’arrêtent devant un majestueux érable centenaire : « Regarde, dit le premier, quel arbre extraordinaire ! Quelle merveille de la nature ! »· « C’est vrai, dit le second. Il y a là-dedans au moins 20 cordes de bois de chauffage. » Deux regards sur une seule image. Deux visions. D’un côté, le poète pour qui la beauté de l’arbre nourrit son âme mais pas son ventre. De l’autre, le réaliste sur qui l’esthétique a peu de prise et pour qui l’arbre est une valeur marchande.
Quoi qu’il en soit, l’arbre et les deux hommes sont appelés à changer car le propre du monde humain, animal, végétal ou même minéral est de changer. Qu’on le freine, le pousse ou l’ignore, le changement a lieu.
Ferdinand Têinnies, sociologue allemand (1855-1936), divise les regroupements humains en deux catégories : le mode communautaire fondé sur la compréhension, la concorde et le partage, et le mode sociétal basé sur la convention, le contrat et l’échange. En gros, la vie communautaire de village est chaleureuse alors que la vie urbaine est froide et anonyme. Brian R. Wilson, sociologue anglais (1927-2004), prétend que la communauté est en régression constante à travers le monde et que désormais la société moderne règle ses problèmes par des processus rationnels. La cohésion sociale s’organise autour des lois et des règlements plutôt qu’autour des valeurs spirituelles et morales.
Saint-Armand n’échappe à aucun de ces phénomènes. La question est de savoir si nos deux promeneurs ainsi que nos deux modes de regroupement humain peuvent s’harmoniser et s’unir dans le changement inévitable. Y a-t-il moyen de trouver entre nous une voie originale de manière à ne pas subir passivement le changement, mais à trouver les moyens de lui donner une direction et un sens ?
Finalement, on le coupe ou on ne le coupe pas, cet érable ?