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- Démocratie -

Le cas de Sutton

La rédaction

Robert Benoit

En 2015, alors qu’un groupe de citoyens de Sutton contestait des projets de développent domiciliaire entrepris par le conseil municipal, nous avions publié l’article qui suit. Les élus municipaux refusant de remettre en question leurs projets, les citoyens ont entrepris des recours juridiques. Aujourd’hui Robert Benoit, qui faisait partie du groupe des contestataires, est maire de Sutton. Son conseil a mis un frein aux développements résidentiels intempestifs après que bon nombre de Suttonnois se soient plaints de problèmes d’approvisionnement en eau potable.

Le développement d’une municipalité, cela se planifie et, tant qu’à planifier, autant le faire en consultation avec les citoyens. C’est la démarche privilégiée par la MRC de Brome-Missisquoi, qui encourage les municipalités du comté à adopter une démarche démocratique et participative dans le but de déterminer les grandes lignes qui présideront au développement des villes et villages de son territoire. C’est également la raison pour laquelle le gouvernement québécois impose aux élus municipaux un certain nombre de règles visant à prévenir de possibles dérapages en matière de développement.

On cherche ainsi un sain équilibre entre les impératifs de développement du territoire et ceux visant la protection de l’environnement, du patrimoine et de la santé publique. On cherche également à s’assurer que les stratégies de développement adoptées et les voies envisagées pour l’avenir du territoire correspondent aux besoins de la population et obtiennent l’assentiment et le soutien d’une nette majorité de citoyens.

C’est merveilleux quand les règles sont respectées et que tout le monde est d’accord. C’est plus laborieux quand les visions divergent et que l’on tend à passer outre aux règles ou, disons, à les interpréter de manière « créative ». Cela s’est vu, cela se voit en ce moment et cela se verra encore à l’avenir dans plusieurs municipalités. Le cas de Sutton peut être très instructif à cet égard. Vous pourriez y reconnaître des événements vécus chez-vous.

Une petite ville en milieu rural

Avec sa population d’un peu moins de 4000 âmes réparties sur un territoire de moins de 250 km2, Sutton est emblématique des milieux ruraux de notre région. Activités agricoles, industrielles, commerciales, culturelles et récréatives s’y côtoient. Cependant, comme c’est le cas pour toutes les petites municipalités, l’augmentation de ses revenus et le maintien de ses services passe par l’implantation de nouvelles unités résidentielles.

Or, il arrive que les choix stratégiques concernant les types de développement résidentiel et leur emplacement déplaisent aux uns alors qu’ils apparaissent comme incontournables et essentiels aux autres.

C’est ainsi que, fin 2014, des membres du conseil municipal de Sutton rencontraient un groupe de promoteurs, gens d’affaires, entrepreneurs et arpenteurs qui ont fait valoir leurs doléances quant aux « obstacles au développement ». En mars 2015, le maire Dandenault présentait un projet de modification des règlements de zonage et de lotissement visant notamment une augmentation de la longueur et de la pente autorisées en vue de la construction de chemins et d’entrées de cours en région montagneuse.

Aux yeux de nombre de citoyens, ce projet avait pour effet de modifier significativement la vision du développement résidentiel poursuivie jusque-là par la municipalité alors que, pour le conseil municipal et un certain nombre de promoteurs, c’était la seule possibilité qui permettait de poursuivre le développement de Sutton.

Recours juridiques

S’ensuivirent quelques assemblées houleuses, une pétition citoyenne, un dialogue de sourds, puis, en août dernier, 24 citoyens déposaient en Cour supérieure  une demande de jugement afin d’annuler les modifications réglementaires votées par les élus ainsi qu’une demande d’injonction visant à les empêcher d’aller de l’avant dans leurs projets de développement domiciliaire. Réunis au sein du Regroupement pour un développement durable à Sutton, ces citoyens estiment que les modifications apportées aux règlements risquent de causer des dommages importants à l’environnement et au paysage. De plus, ils affirment que le conseil municipal n’a pas le droit de procéder à des modifications réglementaires de cette ampleur sans consulter a population.

Pour Robert Benoit, un des membres de ce regroupement, le conseil municipal n’a pas agi de manière démocratique ; il contournerait même les règles et ce de manière discutable. Le maire, de son côté, estime qu’il est inacceptable qu’un groupe de citoyens puisse entraver le travail de gens qui ont été élus pour gouverner.

Au moment d’écrire ces lignes, on était sur le point de déterminer une date pour le début des audiences en Cour supérieure. Il s’agit certes d’un dossier à suivre de près puisque les enjeux qui opposent le conseil municipal de Sutton et une partie de sa population ressemblent à bien des égards à des débats qui ont actuellement cours dans d’autres municipalités de la région et qui pourraient également essaimer ailleurs dans le futur.

Dans le cas présent, il s’agit d’une problématique touchant les développements domiciliaires en milieu montagneux, mais des problèmes de même nature pourraient également se présenter en milieu forestier sensible, à proximité de cours d’eau ou dans un sanctuaire d’oiseaux migrateurs, par exemple. Les mêmes causes engendrent généralement les mêmes résultats. L’issue du processus en cours à Sutton pourrait donc s’avérer riche en enseignements pour l’avenir du développement de plusieurs municipalités de la région.

Trois ans plus tard, en septembre 2018, trois juges de la Cour d’appel du Québec rendaient un jugement unanime en faveur des citoyens de Sutton. Selon Robert Benoît, « cette décision est importante pour Sutton mais aussi pour toutes les municipalités du Québec quant à l’interprétation de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), et en ce qui concerne le développement durable et l’exercice de la démocratie municipale ».

Ce jugement a eu pour effet de casser et d’annuler les règlements de zonage et de lotissement ainsi que tous les règlements subsidiaires adoptés en 2015 par l’administration Dandenault. Robert Benoît fait remarquer que « cette décision devrait aussi favoriser la mobilisation citoyenne sur les questions d’aménagement du territoire puisqu’elle confirme le rôle crucial des tribunaux comme contrepoids efficace à l’observation nonchalante des lois ».

 Voir notre article publié en 2018 au sujet du jugement de Cour : https://journalstarmand.com/lanti-democratie-deboutee-a-sutton/