Fondatrice de l’entreprise Le Rizen de Frelighsburg, Stéphanie Wang travaille depuis dix ans dans le monde de la petite agriculture biologique, écoresponsable et socialement engagée. Elle a récemment publié, sur le site web du Rizen*, un texte portant sur la nécessité de mettre sur pied des fermes pérennes. C’est à la fois le cri du cœur d’une maraîchère biologique et le bilan d’une diplômée en sociologie qui observe que les terres agricoles changent de vocation pratiquement aussi souvent qu’elles changent de main. Nous en livrons ici quelques extraits.
Selon moi, la question centrale est la suivante : peut-on se permettre de consacrer autant de temps et de ressources à la libre entreprise et de la laisser décider du futur de l’agriculture ?
Les économistes le disent : le prix des terres agricoles dépasse nettement la rentabilité des activités dans ce secteur. Le modèle de l’agriculteur propriétaire ne fonctionne plus. Dans ce contexte, les subventions destinées aux entreprises agricoles, tout comme les autres formes de soutien à l’achat d’une terre agricole, ne font qu’entretenir un modèle où seuls les plus privilégiés, les plus novateurs, les plus résilients ou les plus acharnés d’entre nous persistent. Plusieurs y sacrifient leur santé financière, physique et psychologique, et parfois leur vie…
Au moment où le prix des aliments monte en flèche dans les épiceries, les quelques grands distributeurs alimentaires enregistrent des profits record. L’esprit du capitalisme nous mènera à notre faim, si l’État providence n’intervient pas pour redéfinir les règles du jeu.
On ne raconte pas assez souvent comment le gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau a finalement réussi à abolir le régime seigneurial près de deux cents ans après la conquête britannique en créant, en 1953, le Syndicat national du Rachat des Rentes seigneuriales, qui garantissait un prêt aux agriculteurs, leur permettant de racheter les rentes des derniers détenteurs de droits seigneuriaux.
C’est ainsi que sont nées les municipalités et villes du Québec, avec l’État comme créancier de quelque 60 000 cultivateurs rachetant la terre en payant, non plus une rente au seigneur, mais une taxe municipale.
Si on se permettait de nouveau de reprendre le contrôle de nos terres agricoles ? Cette fois en les libérant des chaînes de la propriété privée afin que fleurissent partout des fermes résilientes face aux changements, portées par une collectivité plurielle, régénératrices des sols, prospères et pérennes.
Des fermes dont la terre pourrait, par exemple, être protégée grâce à une fiducie d’utilité sociale agroécologique (FUSA) afin que sa vocation soit inscrite juridiquement à perpétuité.
Sur ces terres, la main-d’œuvre pourrait être organisée en coopératives ou en organismes à but non lucratif pouvant jouir d’un droit de propriété superficiaire ou d’un autre type de propriété justifiant des investissements à long terme.
Chaque génération apporterait ses couleurs, ses méthodes et son marketing. Cependant, on n’aurait pas à drainer, à amener l’eau et l’électricité, à racheter machinerie et équipements, à construire serres et bâtiments, et surtout à remettre la terre sur le marché chaque fois que ceux et celles qui l’occupent changent.
Alors, peut-être qu’on pourrait enfin s’offrir un salaire dépassant celui d’un ado commençant sa carrière chez McDo. Ceux de la relève agricole pourraient, quant à eux, décider de se joindre à une ferme existante qui les fait vibrer ou bien démarrer une nouvelle ferme pérenne, le cas échéant.
En tant que membres travailleurs d’une ferme pérenne collective, ceux de la relève conserveraient leur élan entrepreneurial puisqu’ils disposeraient d’un droit de vote et pourraient assumer divers rôles et responsabilités au sein de l’entreprise.
Oui, nous avons besoin de fermes pérennes diversifiées où poules, four à pain, fleurs et arbres fruitiers se côtoient. Ce dont nous rêvons tous et toutes quand nous cultivons la terre, mais qu’on a rarement le temps de créer en une vie.
Nous voulons des fermes pérennes dans l’espace-temps, que l’on peut bâtir à l’infini, pour construire nos sols sans interruption, sans craindre que celle qu’on occupe devienne le stationnement d’un centre commercial.
Nous voulons des fermes pérennes agroécologiques sachant parfaitement que, alors que la crise écologique frappe à nos portes, on ne peut plus continuer à déverser des produits de synthèse et des boues d’épuration sur nos sols et dans nos cours d’eau.
Nous voulons des fermes pérennes de proximité, comme pour les hôpitaux et les écoles, qu’on trouve dans un rayon raisonnable autour de toutes les communautés. Car manger est un droit aussi essentiel que l’accès aux soins de santé et à l’éducation.
Les possibilités sont immenses : si seulement on pouvait faire le saut d’un modèle individualiste à un modèle collectif d’entreprises agricoles.
*https://www.lerizen.ca/politique
Consulter nos articles précédents portant sur Stéphanie Wang :
https://journalstarmand.com/rizen/
https://journalstarmand.com/stephanie-wang-32-ans-passionnee-et-deja-sage%e2%80%89/