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Une autre journée dans le nord-est albertain

Lettre Bitumineuse
Éric Madsen

La raffinerie Horizon par une nuit fraîche d’octobre, tel le Mordor dans Le Seigneur des anneaux de Tolkien (Photo : Éric Madsen)

Je suis électricien à l’emploi de DL Instrumentation à la raffinerie Horizon, propriété de la CNRL (Canadian National Ressources Limited) au nord de Fort-McMurray, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Eldorado des sables bitumineux albertains.

Présentement nous sommes plus de mille travailleurs à fourmiller jour et nuit dans cette raffinerie opérationnelle depuis environ huit mois. Afin de donner une idée de sa grandeur, la raffinerie et son contour font quatre kilomètres et demi de long par un kilomètre de large. Sur le site, il a trois campements pouvant accueillir deux mille travailleurs chacun. En ce moment, un seul de ces sites est occupé, soit le McKay River Lodge. La main-d’œuvre actuelle est principalement canadienne, provenant de toutes les provinces, mais elle est en majorité albertaine, québécoise, néo-brunswickoise et terre-neuvienne. Lors de la construction qui a duré deux ans, on a dénombré plus de trente langues parlées sur le site, de quoi donner des maux de tête aux propriétaires.

À ce jour, les investissements dans cette seule raffinerie dépassent les treize milliards de dollars. Ici, tout est démesuré. À la mine, là où les sables sont prélevés, des camions pouvant transporter plus de 360 tonnes de terre dans leurs bennes cohabitent avec les quatre plus grosses niveleuses au monde ; celles-ci sont employées pour aider à l’entretien des routes, parfois devenues de vraies patinoires de boue, durant une trop longue période de pluie. Car il pleut souvent ici, où tout devient gris, terreux et sale. Pas étonnant qu’on vende de la vitamine D au dépanneur du camp.

Durant mon dernier séjour, aucun rayon de soleil pendant neuf jours, sans oublier le froid parfois sibérien qui peut sévir durant des semaines. C’est ce même froid qui explique ma présence ici, par le nombre phénoménal de câbles chauffants nécessaires au fonctionnement des procédés, afin d’éviter le gel des innombrables conduits.

Je suis d’accord avec vous, l’industrie des sables bitumineux est une horreur environnementale. Les pétrolières toujours avides de l’or noir n’ont aucun discours ambigu : « Nous sommes ici pour le fric, pour exploiter au maximum ce vaste terrain aussi grand que la Floride, et après l’Alberta, ce sera au tour de la Saskatchewan d’y goûter ». Au pays de Stephen Harper, on ne donne pas dans la dentelle, profitons au maximum de cette manne maintenant, au diable les répercussions sur le territoire et les Autochtones, sur la santé des gens. Soyons heureux qu’un affreux bungalow grand comme ma main se vende, en ce moment à Fort McMoney, plus de 600 000 $. Les sables sont bons pour la business, that’s it, that’s all. Et vous ne savez pas quoi ? C’est loin d’être terminé. La pétrolière française Total arrive l’an prochain, les Chinois aussi, et ici à Horizon le début de la phase 2 commence au printemps prochain, dans un plan avoué de construire neuf phases au total, afin d’être la plus grosse raffinerie au monde.

N’y a-t-il pas un dicton qui dit de ne pas cracher dans la main qui nous nourrit ?Certes on pourra me reprocher d’encourager le système, de perpétuer le gâchis, d’être l’autruche qui se cache la tête dans le sable bitumineux. Alors pourquoi y retourner ? Après 22 ans dans l’industrie de la construction au Québec, l’envie de voir ailleurs n’est pas étrangère à cette décision. Les enfants sont grands et autonomes, tout comme mon épouse. Voir du pays et accumuler des aéroplans gratuitement, vivre une expérience hors du commun à ajouter au c.v. Oui, tout ça et même plus. Mais soyons honnêtes, c’est aussi pour le sacro-saint dollar qu’on y va, car la paye est à l’image du mal albertain : big.

P.S. : Faites-moi signe quand Québec sera prêt à construire son hôpital universitaire à Montréal, ça pourrait m’intéresser…

Salut.

Éric Madsen