On ne cesse de redécouvrir, de se réapproprier, de renommer. Ainsi, on a vu, durant les dernières années, le discours médiatique accorder une importance accrue aux « régions » du Québec. Éco-tourisme, néo-ruraux, agriculture- bio, produits du terroir, la liste est longue. Le paysage littéraire québécois n’échappe d’ailleurs pas à la tendance.
Si la littérature québécoise moderne se définit principalement en ce qu’elle se distingue du roman de la terre – c’est-à-dire de ces oeuvres qui, du XIXe siècle jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, dénonçaient l’exode rural en donnant une vision idéalisée de la vie paysanne -, tout porte à croire que la production littéraire contemporaine tend à réinvestir ces thèmes qui ont été délaissés depuis longtemps au profit des revendications et des affirmations attenantes à la Révolution tranquille ou encore de la littérature intimiste post-référendaire.
Bien sûr, on ne résume pas l’histoire de la littérature québécoise en quelques lignes, néanmoins, il semblerait qu’on puisse observer, dans un bon nombre d’oeuvres parues depuis les années 2000, un certain « retour en région ». Et plusieurs tentent de cerner ce phénomène en lui trouvant une appellation appropriée. Et c’est là que les choses se gâtent. Non pas qu’il ne faille pas qualifier cette tendance marquée des auteurs de la jeune génération à mettre en scène villages, forêt et travail manuel, mais les termes proposés – bien qu’ils aient été expliqués avec précautions, nuances, voire parfois avec un brin d’ironie – n’inspirent pas toujours confiance. Quelques précisions sur trois expressions d’un débat qui, ici et là, dépasse la sphère littéraire.
D’abord, le « néo-terroir ». Si le « néo-terroir », ou le « postterroir » selon quelques-uns, ne nourrit pas nécessairement, comme la tendance régionaliste, une conception idéalisée de la ruralité et de la tradition, il ne dénote pas moins un rapport enthousiaste avec le territoire et, plus encore, avec une certaine américanité. Plus précisément, le néo-terroir ne défendrait pas une conception passéiste des régions du Québec, mais bien un présent exempt d’illusions. C’est d’ailleurs dans cette perspective que fut évoquée l’idée d’une « urbanité métissée ». Cette formule étrange, tirée notamment d’une analyse d’Arvida de Samuel Archibald, souligne, entre autres, la persistance d’un certain regard citadin sur la réalité régionale. Ainsi, tout porte à croire que la nouveauté propre à l’expression « néo-terroir » ne tiendrait pas tant de la représentation de la mutation des régions ou encore d’une « ruralité métissée », mais simplement d’une nouvelle appropriation urbaine des terri- toires périphériques.
Ensuite, « l’école de la tchén’ssâ ». Il s’agit de l’expression la plus loufoque et la plus reprise. Si le critique Benoît Melançon avance que « cette école est composée de jeunes écrivains contemporains dont les oeuvres se caractérisent par une présence forte de la forêt, la représentation de la masculinité, le refus de l’idéalisation et une langue marquée par l’oralité », la formule reste équivoque car elle semble ne prendre en compte qu’une infime partie de la littérature contemporaine qui parle « d’autre chose » que des métropoles ou des thématiques qui leur sont reliées. De plus, faire « école » à partir de l’image de la scie à chaîne laisse une impression de lame émoussée, une odeur d’huile chauffée. Non pas que la chain saw ne soit pas un symbole puissant, au contraire, mais peut-être que la réduction des « régions » à cette image n’a rien à voir avec la représentation accrue de la réalité rurale dans la littérature québécoise contemporaine.
Enfin, il est toujours certain que ces expressions – et il en existe d’autres encore – témoignent de la curiosité grandissante des écrivains actuels à l’égard du territoire québécois. On retrouve aujourd’hui un bon nombre de fictions qui s’emparent des thématiques de la ruralité pour en faire le cadre de leur récit. Certes, cette recrudescence des intérêts pour les lieux éloignés des centres urbains, qu’ils soient référentiels ou imaginaires, n’est pas inédite. Il serait toutefois paradoxal d’avancer, comme certains l’ont fait, que ce phénomène évoque une certaine « démontréalisation » de la littérature québécoise. Pourquoi ? Simplement parce que « démontréaliser » signifie qu’on place encore Montréal au centre de nos références. En fait, qu’on le veuille ou non, la seule réelle nouveauté dévoilée par ces formules, est l’exotisme complaisant avec lequel on interprète les fictions qui s’ancrent davantage dans des contextes ruraux.
La frontière entre réel et fiction s’obscurcit une fois de plus. Réalité, oeuvres littéraires, propos d’auteurs, commentaires critiques, on s’y perd facilement. Mais, en dehors de ces considérations, quelques interrogations persistent. L’appellation néo-terroir, est-elle justifiée ou s’agit-il, une fois encore, d’un regard citadin, extérieur et exotique sur la vie en région ? À qui s’adressent ces expressions qui, si rapidement, souhaitent marquer les traits d’une nouvelle tendance ? Et enfin, ce renouveau des représentations littéraires et cinématographiques actuelles – s’il existe – de quoi nous parle-t-il, au fond ?
Pour les intéressés, vous pouvez également consulter le numéro d’avril 2012 de la revue Liberté, intitulé Les régions à nos portes ou encore le numéro d’automne 2014 de la revue Spirale, intitulé Territoires imaginaires, ainsi que les romans Arvida de Samuel Archibald, Atavismes de Raymond Bock et La Garçonnière de Mylène Bouchard.
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