Impressionnant : il faudra 36 heures chez les Ixodidae infectées pour que les borrélies migrent de leur tube digestif à leurs glandes salivaires ! Euh… quoi ? Vous n’êtes pas émerveillés ? Et pourtant, ce fait scientifique pourra vous être très utile, peut-être même vital, advenant une rencontre fâcheuse avec l’un des rejetons de cette immense famille.
Avec son nom exotique, Ixodida n’est cependant ni gitane, ni déesse aztèque. Descendante très, très lointaine du scorpion, elle fait plutôt partie d’un ordre d’arachnides acariens. Oui, j’ai bien dit « acarien ». Ah… voilà qui pique enfin votre curiosité ! La tique, puisqu’il faut l’appeler par son nom, nous intéresse désormais parce qu’elle est devenue une menace.
Rappelons toutefois qu’avant son pullulement récent dans nos campagnes, elle se promenait déjà sur notre boule depuis près de 250 millions d’années, prenant ainsi quelques longueurs d’avance pour déjouer les espèces qu’elle affectionne tout particulièrement, dont nous les humains ! Si ce n’était que pour se gorger de notre sang comme ça, en passant, ça pourrait encore aller, mais comme 30 à 40 % d’entre elles sont désormais vecteurs de nombreuses maladies, notamment de la maladie de Lyme – laquelle peut s’avérer très grave – il vaut mieux apprendre à connaître son ennemi !
Tout d’abord dissipons une légende rurale : la tique ne tombe pas des arbres. Il s’agit en fait d’un prédateur qui vit près du sol, à l’affut, accroché à quelque haute herbe ou à d’autres végétaux près des points d’eau, souvent dans des zones d’ombre, l’humidité étant indispensable à son hydratation, comme à celle des autres animaux qu’elle affectionne. Voilà donc un prédateur archi-patient qui attend un passage fortuit pour sauter sur son « hôte », fut-il humain ou animal, sauvage ou domestiqué. Cerf de Virginie, lézard, serpent ou tortue, vache ou passereau, randonneuse ou cultivateur, quel qu’il soit, la tique est ravie de s’agripper et de faire le voyage.
Sans tarder, elle se met à la besogne : trouver une ouverture dans le derme ou l’écaille et y plonger son rostre, sorte de thorax forant. Mais, mystère… aucune sensation de piqure. En effet, pour ne pas se faire détecter, la tique vous aura préalablement injecté un peu de sa substance anesthésiante. Ni vu ni connu ! Elle peut alors sortir de sa trousse son tube de colle biologique qui la fixera solidement et lui permettra en toute aisance d’enfoncer lentement le reste de son appendice thoracique au cours des heures qui suivront… Elle pourra alors s’occuper tout à son aise, aspirant votre sang tout en injectant de sa salive pour agrandir la petite crevasse et se rapprocher ainsi encore davantage de vos capillaires sanguins bien chauds… Oh… le bonheur simple ! Et puis sachez également que cette chimiste réussit aussi à injecter un petit cocktail de molécules qui affaiblira l’immunité locale et insensibilisera votre système nerveux ! Prodigieux ! Quand je vous disais que ses quelques 250 millions d’années d’ancienneté allaient lui donner une longueur d’avance !
Et cette avance se confirme encore davantage récemment par la progression de divers facteurs concourants : les changements climatiques qui favorisent sa distribution plus nordique, l’accroissement du nombre de cultures à la lisière des forêts, la densification des élevages de sangliers, de cervidés et de rongeurs en enclos et enfin, le recul de plusieurs de ses prédateurs naturels, décimés par les polluants et les produits chimiques de toutes sortes. Certains de ces prédateurs ont en effet désormais la vie dure : les araignées, les guêpes, des champignons parasites, des bactéries pathogènes et des nématodes, des vers microscopiques. Par contre, des mammifères insectivores tels le hérisson, la musaraigne et la taupe demeurent de précieux alliés de même que les écureuils et les opossums ainsi que certains oiseaux, tels les étourneaux. Respectons- les tous !
Ouais…c’est bien beau de savoir tout ça, mais si je me faisais piquer ?
D’abord l’évidence : s’en rendre compte ! Étant donné ce qu’on sait maintenant, cela n’est pas nécessairement assuré car on n’a absolument rien senti. Donc, après une randonnée en forêt ou après des activités, les jambes nues, dans les herbes hautes et autres végétations basses, mieux vaut procéder à une petite inspection de routine : chercher minutieusement la petite tache brune coupable, une tique étant aussi minuscule qu’une tête d’épingle.
Si vous en trouvez, pas de panique ! Allez tout de suite relire la première ligne de ce papier : « il faudra 36 heures chez les Ixodidae infectées pour que les borrélies migrent … ». Cela veut dire que si votre tique est infectée – tout de même, moins de la moitié le sont – il lui faudra une grosse journée pour vous contaminer. On estime que les risques de transmission sont en effet de moins de 1 % au cours des premières 24 heures. Ouf ! La vigilance est donc indiquée.
Mais voilà qu’il faut maintenant se débarrasser de l’intruse ! La brûler avec un tison, l’écraser sans merci ou bien la noyer patiemment dans une compresse d’alcool ? Rien de tout cela ! Il faut réussir à l’enlever sans provoquer la régurgitation de son contenu bactérien dans votre peau… Ouille, la belle image ! Mais reprenons nos esprits : donc, ne surtout pas comprimer la bête ; il faut plutôt essayer, en utilisant des pinces à épiler, de la serrer tout juste assez pour réussir à la tenir et à l’extraire. Mais doucement… sans rotation, puisque, malheur, son abdomen pourrait alors se détacher de la partie enfoncée dans votre derme ! Y aller presqu’en ligne droite : avec une toute légère torsion pour aider à la dégager, tout en gardant à l’esprit une autre de ses joyeuses sophistications : son rostre enfoncé dans votre peau est couvert de petites épines qui cherchent à s’ouvrir si l’on tente de l’extraire, pour ainsi retenir son appareil buccal dans votre peau… Il y aura donc quelque résistance à prévoir.
Et puis, après vous être épongé le front et vous être félicité de votre dextérité, n’oubliez pas de désinfecter le lieu de carnage. Ensuite, il est vivement conseillé de suivre de près l’évolution de la plaie pendant au moins trois semaines. Si, malgré tous vos beaux efforts, une rougeur accompagnée d’une fièvre apparentée à un état grippal devait apparaitre, il vous faudra évidemment consulter. En cas de contamination, il existe heureusement des antibiotiques très efficaces.
Sur ce, je vous souhaite une bonne fin d’été !