Photo : Jean-Pierre Fourez
Devenir vigneron-producteur au Québec, c’est un peu comme cultiver des fraises au Groenland : ce n’est pas évident ! Et pourtant, la Route des vins regroupe un peu plus d’une trentaine de vignobles qui offrent des crus bien particuliers. Le Vignoble de la Sablière, petite exploitation sur le chemin Dutch, tente de vivre et souvent de survivre dans cette aventure utopique.
La création
Les propriétaires, Irénée Belley, artiste peintre, scénographe pour le cinéma et la télévision, et Sandra Moreau, professeure de sociologie formée aussi en danse contemporaine, se sont rencontrés chez des amis, au mont Pinacle, en 1991, et sont tombés amoureux de la région (et l’un de l’autre, il va de soi !). En 1992, ils achètent la ferme abandonnée de M. Courchesne sur le site d’une ancienne carrière de sable, qui fut en exploitation dans les années 60 à 80, et ils commencent à bâtir leur rêve : faire du vin. En 1993, ils rendent la maison habitable et rénovent un bâtiment de pierre, puis y ajoutent une annexe pour les installations vinicoles.
Dès la première année, ils plantent 5000 pieds de vigne Seyval et commencent à acheter le matériel de vinification « pour 125 000 $, dit Irénée, et en 10 ans, on n’est pas encore rentrés dans nos fonds ! » Deux garçons, Marius et Maxence, naissent avant même les premières bouteilles.
Les vins
L’année 1996 voit la création du premier cru La Sablière élaboré à base de Seyval vert qui lui donne des allures de vinho verde du Portugal. Faible en alcool (8,5°), perlant, au goût citronné de limette avec une pointe de gaz carbonique : ce sont les marques d’un terroir dur et ingrat.
En 1997, Irénée et Sandra récidivent avec Le Saint-Armand, issu également du Seyval, mais fait à partir de raisins plus matures.
Le Folichon arrive en 1998, fait à partir du cépage le maréchal Foch. C’est un rosé élaboré à partir de raisin rouge foulé et macéré dans un moût blanc durant la fermentation. Ce vin obtiendra la Coupe d’or au Festival de la gastronomie du Québec, en 2003.
Le dernier-né, en 1999, est La Bernache, vin apéritif au léger goût de porto. Vinifié à 11°, on lui ajoute de l’alcool après un an de cuve pour titrer à 17°.
Les vignes
Qui dit vin dit raisin. Qui dit raisin dit vigne. Et qui dit vigne dit travail, travail, travail… Un vignoble occupe son vigneron à l’année. La taille se fait au printemps, pour choisir les sarments porteurs, de même que le désherbage (sans herbicide à la Sablière). Puis vient le traitement fongicide contre le mildiou et l’oïdium. Là encore le choix de traitement s’impose : écologique avec du soufre et du cuivre, qui nécessite de recommencer l’opération après un pouce de pluie.
Dès l’apparition des premières feuilles, ce sont les opérations de palissage, qui consistent à fixer les sarments sur les fils, et d’émondage, pour ne garder que les plus prometteurs. L’effeuillage éclaircit le plant et permet une meilleure exposition au soleil.
Quand les grappes sont à maturité, vers la fin septembre, ce sont les vendanges et le pressage.
De tout ce processus, les 9000 pieds de vigne de La Sablière produisent environ 7000 bouteilles à partir de 5000 litres de jus issus de 9 tonnes de raisin.
La vente
C’est l’année suivante que l’on embouteille la production de l’année précédente qui s’est « faite » en cuve. Maintenant, il faut la vendre, et c’est là que ça se corse. Une bonne partie de la production se vend à la boutique du vignoble, où touristes et visiteurs de la Route des vins achètent quelques bouteilles. La Société des alcools du Québec, pour sa part, n’encourage pas les producteurs locaux. Elle préfère le « volume », c’est-à-dire les grosses quantités qu’elle peut acheter à un prix ridicule couvrant à peine les frais de production. La SAQ garde ses tablettes pour ses « meilleurs vendeurs » et les produits à la mode comme le vin et le cidre de glace. Les vins locaux représentent moins de 1 % de ses ventes. Il s’agit en fait d’écouler les bouteilles non vendues et de récupérer, à tout le moins, l’équivalent des coûts de production. La Sablière a néanmoins deux produits disponibles à la SAQ : le Folichon et la Bernache. La loi actuelle ne permet pas aux épiceries ni aux dépanneurs de vendre les vins du Québec. Bref ! Vendre son vin est une opération hasardeuse et peu rentable par rapport au coût de production et au travail. Il faut s’accrocher dur pour survivre ou alors devenir gros au prix d’investissements majeurs.
Vignoble en péril
L’avenir s’annonce difficile pour La Sablière, car la réalité vient à bout des rêves les plus beaux. Le vignoble étant situé à la marge des vignobles de Dunham, seuls quelques aventuriers se risquent jusqu’à Saint-Armand et ce, au cours des plus beaux jours d’automne seulement, ce qui ne permet pas au vignoble d’écouler toute sa production.
Dans ce climat d’incertitude, Irénée et Sandra diversifient leurs activités. Ils ont créé le Plan B, un théâtre rural qui offre durant l’été des spectacles, des expositions et de la danse, et qu’ils veulent développer.
Triste nouvelle : l’année prochaine, il n’y aura pas de nouvelles productions de La Sablière car le raisin de cette année a été vendu à un producteur plus gros. L’abandon de la vinification permettra de couper les frais et d’offrir une qualité de vie moins stressante et plus propice à la vie familiale. Mais on peut encore cependant se procurer les vins, en particulier la Bernache, directement au vignoble.
Irénée et Sandra tiennent à remercier toutes les personnes du village qui les ont soutenues et ont apprécié leurs vins. Quand le vin est tiré, il faut le boire ! Dit-on. Alors, bonne chance ! Irénée et Sandra.